dimanche 30 décembre 2007

Les canuts et la boule lyonnaise

Ancien le jeu de boules ? Plus qu’on le croit ! Justin Godart, dans son « Anthologie du Jeu de Boules » parue aux Editions du Cuvier en 1938, ne craint pas d’affirmer que les premiers témoignages de son existence remonte au XIème siècle avant Jésus-Christ. A cette époque, un jeune grec constatant que dans les exercices pratiqués, on courrait, on sautait, on lançait mais on ne faisait rien rouler, ce fit proposer un jour par Ephénéon, un mathématicien « de fabriquer une sphère plus petite que les pierres rondes qu’on lancerait et qui serait le but à atteindre ». Et puis on pourrait tracer des lignes, établir des règles. La sphérique, ancêtre du jeu de boules était née. C’est l’enthousiasme du côté de la faculté et l’illustre Gallien, médecin grec déclare : « La sphérique permet de reposer les membres fatigués et d’exercer ceux qui sont engourdis ». Les romains vont suivre. Pour preuve, on peut voir sur un sarcophage à Florence une scène représentant la vie du défunt qui n’est pas sans rappeler les gestes de nos boulistes.
Le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXème au XVème de Frédéric Godefroy montre l’importance du jeu de boule à cette époque à travers les mots collectés et les exemples. Ainsi : « Quant on veut bouler et jouer à la longue boule, avant que la jetter on fait cinq ou six pas… ». Mais cet engouement n’est pas du goût de tout le monde et bientôt le pouvoir va sévir. Les rois estiment que ce jeu des plus pacifiques détourne les sujets d’exercices plus profitables à la défense du royaume, comme le tir à l’arc et à l’arbalète. En l’an 1369, Charles V publie un édit dans lequel il interdit outre les jeux de dés, de tables, de palmes, de quilles, de palet, de billes… et les jeux de boules !
L’Eglise au XVIIème siècle n’est pas en reste. Il faut croire que les moines et autres religieux ne craignaient point d’en « rouler une » au détriment des tâches plus sacrées puisque le Synode de Paris en 1697, défend aux ecclésiastiques « la boule en lieu publics et à la vue des séculiers. » Beaucoup de témoignages affirment que certes, le clergé obéira et ne s’exhibera plus sur la place ombragée du village, mais pratiquera ce jeu sur les belles galeries des cloîtres et dans les régions froides, n’hésitera pas à aménager des greniers, comme au couvent de Noirmoutier.
Toujours dans cette évocation des démêlées du jeu de boules avec les pouvoirs, il est difficile de ne pas citer cette affiche d’Esquiros, préfet de Marseille, en date du 22 octobre 1870 :
Avis aux Campagne

On m’assure que, dans certaines communes rurales, quelques gardes nationaux apportent une extrême négligence à l’accomplissement de leurs devoirs patriotiques.
J’autorise les maires à déclarer mauvais citoyens tous ceux qui, à l’heure des exercices militaires, se livreraient à des jeux ou à des récréations intempestives.
Trêve aux amusements et aux exercices d’adresse, quand la France est sous les armes.
Laissons dormir les boules quand les boulets déchirent le sol sacré de la patrie.
»

Le jeu de boules source de polémiques ? Sans aucun doute. Si les pouvoirs s’en méfient, certains écrivains craignent le pire en l’interdisant. Ainsi Noré Brunel dresse un tableau apocalyptique en cas d’interdiction : « Demandez-vous ce qu’il adviendrait si le jeu de boules était aboli ? Demandez-vous ce que feraient tous ces ouvriers, tous ces commerçants, tous ces petits bourgeois, si le jeu de boules n’existait pas ?.... Les trois quarts de ces joueurs en seraient réduits à passer leurs loisirs dans les cafés, à jouer à la belote dans une atmosphère enfumée et alcoolisée. Cent mille Lyonnais discuteraient politique autour de tables chargées de bouteilles, et je vous assure bien que ces débats de bistrot n’arrangeraient pas les choses. » Et notre écrivain lyrique de conclure : « Nos mœurs seraient moins belles si le jeu de boules n’existait pas. »

D’autres auteurs ont défendu la boule dans leurs écrits et souvent avec talent. Ainsi par exemple le texte de Bernard Durand qui dresse un portrait saisissant du joueur : « Le joueur doit avoir de 45 à 50 ans ; c’est pour lui la belle saison de la vie, l’âge de la perfection : il a conservé la force qui exécute, il a acquis l’expérience qui dirige. » Et à propos de l’attitude du bouliste qui vient de lancer la boule : « Il la couve, il la protège du regard, il la conseille, il voudrait la voir obéissante à sa voix ; il en hâte ou bien il en ralentit la marche selon qu’une ravine ou un monticule l’arrête au passage, ou la précipite à une descente ; il l’encourage du geste, il la pousse de l’épaule, il la tempère de la main ; suspendu sur la pointe du pied, le bras tendu, le visage animé par une foule d’émotions diverses, il imprime à son corps les ondulations les plus bizarres. On dirait que son âme a passé dans sa boule. »

Evidemment Justin Godart lui-même, n’oublions pas qu’il fut ministre de la santé, trouve de grandes vertus au jeu de boules. « Les joueurs » constate-t-il « vont passer des heures à aller et venir, à se courber, à lancer leurs boules avec des gestes harmonieux nécessitant l’effort de tous les muscles, soit pour jeter le poids, soit pour maintenir l’équilibre du buste. » Essentiel à la santé mais aussi au tissu social, à l’apprentissage de la vie en collectivité : « La quadrette est solidaire : la maladresse de l’un retarde la victoire de tous : chaque coup est étudié en fonction de l’ensemble des possibilités de l’équipe ». L’ancien ministre conclut : « Ce n’est pas un des moindres avantages du sport-boules que cette éducation de l’équipe, que cette subordination volontaire de l’individu au groupe, que ce combat où le succès est collectif. »

Les canuts et la poésie

Le 25 octobre 1831, les délégués des négociants et les délégués des canuts signent les nouveaux tarifs, tarifs plus complets et augmentés. C'est la joie chez les canuts. Une joie qui se manifeste aussi par des poèmes comme celui d'Antoine Vial :

"LE VINGT-CINQ OCTOBRE 1831.
Air du bon Pasteur (de Béranger).

Lisette, ma douce amie
Pare ton corset de fleurs
Dieu, protégeant l'industrie
Vient de finir nos malheurs.
Tu ne seras plus pauvrette
Allons ! Reprends ta gaîté
Chante avec moi, bonne Lisette
Chante vive la liberté !

Autrefois, sous nos vieux maîtres
Le magistrat orgueilleux
Fier de ses nobles ancêtres
Aurait repoussé nos voeux :
Aujourd'hui, sans étiquette
L'artisan est écouté
Chante avec moi, bonne Lisette
Chante vive la liberté !

Riante apparaît l'aurore
Plus de chagrins, de soucis
Je me réjouis encore
Du bonheur de mes amis
Du travail, une couchette
Puis vient la prospérité
Chante avec moi, bonne Lisette
Chante vive la liberté !

N'écoutant point le caprice
D'un financier courtisan
Désormais on rend justice
En faveur de l'artisan
Peut-être un riche regrette
Mainte vieille autorité
Chantons toujours, bonne Lisette
Chantons vive la liberté !

Vois-tu mes amis, mes frères
Fiers de porter ce drapeau
Autour de couleurs si chères
Ne former qu'un seul faisceau !
En vain viendrait la tempête
Le Français est redouté
S'il peut chanter, bonne Lisette
Chanter vive la liberté !

A.V."

A l'énoncé des résultats des accords, des négociants, minoritaires mais qui sont les plus importants, faisant travailler un grand nombre de canuts, vont refuser les nouveaux tarifs. C'est ce qui déclanchera le mouvement du 21 novembre. Le 1er novembre, date à laquelle les nouveaux tarifs doivent entrer en application... rien. Antoine Vial reprend sa plume...

"A MA LISETTE.

(2me chanson.)
Air du bon Pasteur (de Béranger.)

Ma Lisette, ô toi que j'aime !
Quel sort, hélas ! Te poursuit !...
Tu crus au bonheur suprême
Ce bonheur s'évanouit
Des grands la voix indiscrète
A prédit un prix nouveau
Tisse toujours, bonne Lisette
C'est l'étoffe de mon drapeau.

Ce bleu, sans aucun nuage
Semble l'azur de tes yeux
Ce rose est la douce image
De tes attraits merveilleux
Ce blanc, qu'un noble regrette
Entre deux est assez beau
Tisse toujours, bonne Lisette
C'est l'étoffe de mon drapeau.

On trompe ton espérance ?
Sois riche de mes amours !
Gagne peu, mais sers la France
Et je t'aimerai toujours
Le guerrier, sous son aigrette
Mettra ce léger réseau
Tisse toujours, bonne Lisette
C'est l'étoffe de son drapeau.

Que de goût et que d'adresse
Lise, dans ce que tu fais
Ce tissu, que ta main presse
Me rappelle nos hauts faits
De ton père c'est la fête ?
J'en veux parer le tombeau
Tisse toujours, bonne Lisette
C'est l'étoffe de son drapeau.

Allons ! Chante, mon amie
Chante un meilleur avenir
Ne crains point ce noir génie
Qui semble nous désunir
La liberté, sur sa tête
A secoué son flambeau
Tisse toujours, bonne Lisette
C'est l'étoffe de mon drapeau.

A. Vial

samedi 29 décembre 2007

Les inventions concernant le tissage sur soie

Les inventeurs qui au fil du temps ont perfectionné le métier à tisser ne manquent pas dans la région. Par la force des choses le textile a donné naissance également à l’industrie chimique et dans ce domaine, les idées géniales n’ont pas manquées.

Le très médiatique Joseph Marie Jacquard ne fut pas le seul à vouloir améliorer le fonctionnement des métiers à tisser. En 1470, Jean le Calabrais supprime les tireurs de lacs en ramenant les cordes plus proches du tisseur. Au début du XVIIème siècle, le Lyonnais Claude Dangon invente le métier à la grande tire pour lequel il obtient d’ailleurs, un privilège. Une invention qui porte le nombre de lacs, ces cordons déliés, de 800 à 2400. Resté méconnu, Garon vers les années 1700 perfectionne ce métier avant que Basile Bouchon n’invente un papier perforé à la main qu’un enfant, applique contre le métier. Ce système permet la sélection des fils de chaîne.On lui doit également un métier fonctionnant avec des aiguilles. A la même époque Falcon va remplacer le papier de Bouchon par une chaîne de cartons perforés. En 1745, Jacques Vaucanson, un « touche à tout » génial, père des automates, s’intéresse au métier à tisser. Il va le mécaniser en reportant les mouvements dans la partie supérieure. Hélas pour notre Grenoblois, on trouve ce procédé peu productif et il ne sera pratiquement pas utilisé. Arrive alors Philippe de Lassalle, né à Seyssel, surtout connu pour être « le premier dessinateur de Lyon » d’après les chroniqueurs de 1760. Dans son atelier de la rue Sainte Catherine, il va avoir l’idée de rendre les semples (l’ensemble des cordes, plus tard les crochets) interchangeables et d’appliquer le battant de John Kay, l’inventeur de la première navette volante, au métier à tire. En 1804, arrive Jacquard…et son métier. En 1817 Breton va créer la pièce coudée, pièce essentielle dans sa mécanique.
Tissage et chimie sont indissociable, la soie se teint. Hommage à Octavio Mey, négociant lyonnais. En 1655 il va mâchonner quelques brins de soie dans sa bouche. Un gamin aurait été réprimandé, Octavio lui, va faire fortune. Il vient d’inventer le lustrage de la soie. Moins de chance pour Emmanuel Verguin, savoyard et chimiste à Lyon. En 1858 il invente le rouge aniline mais ne dispose pas des capitaux nécessaires pour son développement industriel. Il vend son brevet aux frères Renard de Mulhouse qui eux, appelleront ce produit… la fuschine… de « fusch », « renard » en allemand !
Aujourd’hui la première région d’entreprise textile continue d’innover. Prelle invente deux nouvelles techniques pour des tissus anti-feu et des broderies tissées, les établissements MDB-Texinov basés à la Tour du Pin viennent de créer un tissu qui posé à même le sol permet une solarisation du raisin. Sans parler du challenge ITECH qui révèle chaque année des chercheurs dans le domaine du textile industriel.

Joseph Marie Jacquard de la taille de la pierre au métier à tisser

Né à Lyon le 7 juillet 1752, il décède le 7 août 1834 à Oullins. S’il fut tailleur de pierre à Couzon, sa renommée est due à son idée géniale de tenir compte des diverses autres inventions pour créer son métier. Une combinaison des aiguilles de Bouchon, des cartes de Falcon et du cylindre de Vaucanson. Le tout devient une mécanique qu’il faut placer en haut du métier, ce qui va obliger les tisseurs sur soie à quitter les quartiers Saint-Georges, Saint-Paul et Saint-Jean pour les hauteurs de la colline croix-roussienne. Les immeubles ateliers seront construits avec des hauts plafonds. Cette mécanique donne au tisseur la possibilité de commander individuellement les fils de chaîne, il a donc à sa disposition un nombre d’armures…infini.


Les Canuts et les inventions sur les métiers

Il n’y aura pas de répit pour les inventeurs lyonnais. Ces quelques annonces parues dans l’Echo de la Fabrique entre 1831 et 1834 le montre assez bien
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Le sieur DUCHAMP, aux Brotteaux, rue d’Orléans, n. 7, ayant trouvé une amélioration très utile à la presse des Jacquard, en fait part à ses confrères, chefs d’ateliers. Il les invite à venir chez lui ; il leur démontrera et prouvera les avantages de cette invention dont il se sert depuis deux ans. Cette nouvelle presse n’agit qu’en remontant ; son action est nulle en redescendant. Il s’est assuré la jouissance exclusive de fabrication pour cinq ans, en faisant un acte de dépôt conformément à la loi. Il apposera sa contremarque J. D. sur chaque presse que fera le sieur Ribard, mécanicien forgeur (passage Thiaffet, Grande Côte), lequel est chargé seul de cette fabrication. Il poursuivra, comme de droit, les contrefacteurs.
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Le sieur Pacachard, chef d’atelier, demeurant rue Bouteille, n° 15, au 4me étage, 2me montée, a trouvé le moyen de fabriquer les velours crevelt, et depuis quinze mois le fruit de ses recherches est et demeure enfoui dans les archives du conseil des prud’hommes sans que l’inventeur ait pu en tirer parti ; acte de dépôt pour un temps limité est entre ses mains.
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Tranchat, mécanicien, rue du Commerce, n° 18, vient d’obtenir un brevet d’invention et de perfectionnement, pour la confection de mécaniques à la Jacquard et à dévider, longues, rondes et moulinage.Nous en rendrons un compte plus détaillé dans le n° prochain ; on peut voir ces mécaniques chez M. Morel, rue des Tables-Claudiennes, n° 14
CANNETIÈRES TRANCHAT.
Depuis quelques années diverses mécaniques ont été inventées pour le dévidage et le cannetage. Mais un perfectionnement, dont le besoin se faisait vivement sentir vient d’être ajouté aux cannetières. Son invention est due au sieur Tranchat, mécanicien, qui en a obtenu le brevet. Ce perfectionnement consiste à arrêter la cannette subitement lorsqu’un des brins casse ou que la soie d’un roquet est employée, en laissant toujours une longueur de huit pouces pour nouer. Par ce moyen, les faux tours aux cannettes sont impossibles, et l’attention pour soigner le nombre des bouts n’est point fatiguée ; toute personne, même un enfant, peut sans peine, sans gâter ni salir la soie, faire parfaitement, en quatre heures de temps, autant de cannettes qu’à un rouet pendant toute la journée. Outre cet inappréciable avantage, il en est un autre qui ne laisse rien à désirer pour la perfection des cannettes, c’est la disposition de la cantre, qui permet, en chargeant les roquets, de tendre la soie à volonté. Par ce moyen on étendra les trames dures, gros noir ou souples, elles deviendront lisses et brillantes, et l’étoffe, en diminuant de poids, prendra tout l’éclat dont elle est susceptible. Le crémage, les trames tirantes sont impossibles par l’emploi de ces canettes. Ces mécaniques procurent donc une grande économie de temps et de matières, non seulement pour le cannetage, mais encore pour la fabrication ; l’ouvrier n’étant jamais arrêté par les défauts de la cannette, tissera plus facilement et plus régulièrement. Ainsi, en rendant l’étoffe plus belle et moins lourde, le fabricant y trouvera aussi son bénéfice, et nous ne craignons pas d’avancer, parce que nous en avons les preuves, que ce dernier peut, avec bénéfices, faire une augmentation de 5 et même de 10 c. par aune, sur les étoffes fabriquées avec les cannettes provenant de ces mécaniques.
Ainsi on peut donc, sous tous les rapports, considérer l’invention des cannetières comme une véritable amélioration dans la manutention de la soie et de la fabrication des étoffes. Son introduction immédiate dans la fabrique, supprimerait entièrement le rouet à cannettes, dont l’usage remonte à l’époque la plus reculée de l’invention du tissage, et avec lequel on ne fait péniblement qu’une seule cannette à la fois. Véritable galère pour les enfants, que la misère du père de famille force à captiver trop jeunes à ce travail ; travail qui, en les privant de l’éducation qui leur est due, les rend souvent difformes ou bossus par la mauvaise position de leur corps, étant obligés de tourner continuellement et d’une seule main, une roue ce, qui ne laisse pas d’être fatigant. L’humanité réclamait donc depuis longtemps un nouveau mode pour le cannetage, et nous avons lieu d’être surpris, après tant de mécaniques inventées pour la fabrication des étoffes façonnées, que celle qui permet de supprimer l’insipide rouet, soit venue la dernière.
Les cannetières du sieur Tranchat, répondent à tous les besoins, espérons que les avantages seront compris des fabricants et des chefs d’atelier, il est de l’intérêt des premiers d’aider les seconds a s’en procurer, et dans peu tous les ateliers posséderont des cannetières, tous y trouveront avantage et l’ouvrier aura la satisfaction de pouvoir faire instruire ses enfants.
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Le sieur David, mécanicien, à Lyon, place Croix-Pâquet, prévient MM. les fabricants, chefs d’ateliers et devideuses, qu’il établit ses nouvelles mécaniques économiques, pour lesquelles il est breveté, à une seule roue comme avec plusieurs, avec une seule corde comme sans corde, par le procédé des roues tournant horizontalement, dont le plan circulaire fait mouvoir les broches, l’axe général ou moteur ayant été par lui placé au centre des mécaniques rondes à dévider et à faire les cannettes, moyens qui lui ont fait supprimer sur l’ancienne méthode, engrenage, cordages, poulies, etc., et lui a donné la facilité d’y adapter le cannettages simultané. Toutes mécaniques de ce genre qui ne sortiraient pas de ces ateliers seront confisquées, les contrefacteurs poursuivis. Il adapte ces nouveaux procédés aux anciennes mécaniques, fait des échanges contre les vieilles, et revend ces dernières à un prix modéré. Le nombre d’ouvriers qu’il occupe le met à même de livrer plusieurs mécaniques le jour même qu’on lui en fait la commande. Elles s’établissent à volonté, de forme ronde, longue ou en fer à cheval. Les roquets et cannettes se font de trois formes différentes, si on le désire, bombés, cylindriques et en pain de sucre. On peut régulariser le mouvement des broches, ou leur donner des mouvements différents pour dévider les matières fortes et faibles.
M. David, fabricant d’étoffes de soie, annonce avoir trouvé le moyen de substituer le papier au carton dans les mécaniques à la Jacquard. Il a demandé un brevet d’invention. Nous ne savons pas encore jusqu’à quel point cette invention peut être vraie et satisfaisante.
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Brevet : Machizot, rue du Chariot d’Or, à la Croix-Rousse, et Molozait, rue Vieille-Monnaie, n. 8, offrent aux chefs d’atelier des mécaniques à cannettes à arrêt sans soterelles ; ils en font d’une dimension beaucoup plus petite que celles faites jusqu’à ce jour.
------------------------------------------------------------------------------------------------ROUSSY, Breveté.Prévient le public qu’il continue de vendre les régulateurs comptomètres de son invention dont les principales qualités sont : 1° d’être simples, de n’avoir point de compensateurs et de pouvoir faire toutes sortes d’étoffes fortes ou légères ; 2° de faire toutes les réductions depuis 20 jusqu’à 750 divisions au pouce, inclusivement ; 3° ces régulateurs tiennent toujours la pièce tendue, même dans l’instant où l’on fait une coupe, laquelle peut être d’une longueur à volonté, l’étoffe étant libre et l’ouvrage tout compté ; 4° les étoffes ne se roulant pas, elles ne sont pas comprimées ; aussi les étoffes brochées or, relevées, y conservent tout leur relief et acquièrent une grande perfection.Le sieur Roussy se dispense de rappeler tous les éloges et encouragements qu’il a reçus à ce sujet ; il offre aux personnes qui voudront en prendre connaissance, de leur faire voir ces mêmes régulateurs comptomètres fonctionnant dans son atelier, rue des Marronniers, n° 5, au 2e, seconde montée.
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perfectionnement dans l’éclairage.
Une importante amélioration vient d’être faite dans l’éclairage dont on se sert dans tous les ateliers de fabrique. M. Fassler, chef d’atelier, après de nombreuses recherches, est enfin parvenu à donner aux mèches pour les lampes un apprêt dont les avantages suivants sont le résultat : 1° La clarté que l’on obtient par l’emploi de ces mèches est le double plus grande que celle rendue par le procédé actuel ; 2° elles suppriment la fumée, ce qui est d’une grande importance pour la fabrication des étoffes claires ; 3° elles ont l’avantage de n’avoir jamais besoin d’être mouchées ; au point qu’une lampe garnie d’une de ces mèches, et qui contiendrait une livre d’huile, peut brûler sans que la clarté soit altérée et sans faire le moindre mouchon. Enfin, elles offrent une économie d’un 8e dans la consommation de l’huile.
Tous ces avantages réunis doivent assurer à M. Fassler un prompt débit de sa découverte, et nous engageons les chefs d’atelier à encourager l’industrie d’un de leurs confrères par l’adoption d’un procédé aussi économique.
Les dépôts de ces mèches, à 25 c. l’aune, sont aux Brotteaux, chez l’inventeur, rue de Condé, n° 5, et à Lyon, chez M. Michel, marchand de vin, rue Désirée.
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lampe météore.
Le sieur Galland fils, ferblantier, rue des Farges, n° 112, prévient le public qu’il est l’inventeur de la Lampe météore, qu’il vient de déposer au conseil des prud’hommes qui, par ce dépôt, l’a autorisé à en conserver la propriété pendant cinq ans. Cette lampe, qui se fabrique de diverses formes, en fer-blanc, étain et cuivre, offre de grands avantages ; d’abord elle ne donne aucune ombre, sa clarté est du double de celles qui ont été en usage jusqu’à ce jour ; mais, ce qui la rend indispensable aux chefs d’ateliers, c’est qu’elle ne consomme qu’une once et demie ou 45 grammes d’huile en sept heures.
Ses dépôts sont :
Chez MM, Bel, négociant, rue des Capucins, n° 7 ;Paquet, épicier, rue Vielle-Monnaie , n° 27 ;Schuslre, plieur, rue Donnée, n° 4, au 4me ;Mougeol, menuisier, rue Belle-Lièvre, près la place de la Trinité ;Galland aîné, ferblantier, place du Plâtre, n° 4 ;Peyzaret, rue d’Orléans, n° 7, aux Broteaux.
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Le sieur ROSTAING, mécanicien de Paris, inventeur des métiers au quart, demeurant rue du Mail, n° 4, à la Croix-Rousse, a l’honneur de faire connaître à MM. les chefs d’atelier qu’il vient de perfectionner de nouveau ses rétrogradans, employés avec avantage jusqu’à ce jour à Paris et à la fabrique de la Sauvagère, où il a été employé pour ce genre d’industrie. Ce nouveau système consiste a régler la rotation par le moyen d’une simple vis, et faciliter le travail de l’ouvrier par son extrême justesse et par la douceur de la bascule qui enlève les valets. Il confectionne également les crochets pour les changement de griffes ; se charge de les placer et en garantit l’exécution ; le tout à juste prix.
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BREVETS D’INVENTION (janvier 1832)
Par une ordonnance royale du 7 octobre, insérée au Bulletin des Lois, n° 111, il est accordé des brevets d'invention à diverses personnes de notre ville, savoir :
M. Jaillet jeune (Claude), liseur de dessins, montée St-Sébastien, n°11, pour une mécanique propre à fabriquer toutes sortes d'étoffes façonnés.
M. Felissent (Ennemond), rue St-Polycarpe, n°3, pour un appareil de dessication par l'air, échauffé directement par le feu.
M. Ducel (Basile), mécanicien-chimiste, rue Mercière. n° 58, pour des moyens de confection de calorifères, propres à la dessication des soies teintes, des tissus en soie, en laine et en coton, ainsi que pour le dessèchement des gélatineux et des colles fortes.
M. Courtet (Auguste), mécanicien, rue de la Sphère, n°10, pour une mécanique propre au crépage des étoffes de soie, coton ou laine moulinés, qu'il nomme crêpe-crêpe, régulier et perfectionné.
MM. Morateur (Antoine), charron, et Thibaudon (François), boisselier. à la Guillotière, pour un procédé propre à faire monter par une ascension constante, oblique ou verticale, un volume d'eau de seize cent, de diamètre, à la hauteur des édifices les plus élevés, même des montagnes ordinaires, à l'aide d'une pompe à vent.
M. Moasset (Philibert), mécanicien, rue Vieille-Monnaie, n°8, pour des mécaniques propres au dévidage des soies.
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Parmi les nouveaux procédés qui sont destinés à rendre un grand service à la classe industrielle par une amélioration sensible qu’ils apportent dans le travail, nous devons citer l’invention des nouvelles bascules-rouleaux, très simples et de la plus grande justesse, offrant de nombreux avantages sur toutes celles mises en usage jusqu’à ce jour ; elles ont l’immense avantage de pouvoir être employées dans les fabriques de tous les pays, pour toutes les étoffes, n’importe la qualité et la quantité des matières qui sont employées à la chaîne.
Cette bascule est fermée par un rouleau de 6 à 8 pouces de circonférence, ayant un boulon de fer. Au milieu dudit rouleau, de forme carrée d’environ 3 pouces sur chaque surface, se trouve emboîtée une cheville de bois de 18 pouces de longueur, sur laquelle on pose un poids de dix livres, et la chaîne se trouve aussi tirante qu’avec un poids de 40 livres sur les bascules ordinaires.
Avec le nouveau procédé, les cordes passant d’un rouleau à l’autre ne s’usent pas, et le rouleau de la chaîne joue avec autant de facilité qu’avec une besace et n’en donne point l’embarras, puisqu’un poids de dix livres charge, par ce nouveau moyen, autant qu’un de 150 livres à besace.
Cette bascule offre encore l’avantage de ne point dégrader les murs, de ne point embarrasser le derrière du métier ; le bec de la bascule et sa charge étant sur le devant.
Voir, pour ce nouveau procédé, M. Le Cusin, qui en est l’inventeur, et qui en fait usage dans son atelier, rue de Flesselles, n° 6, au 3e
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Vincent, bréveté,
Rue Monsieur, n° 11, aux Broteaux
Prévient les chefs d’ateliers qu’il tient un dépôt de Navettes de tous genres, et est l’inventeur de celles dites cuirassées. Ayant lui-même un atelier, il est à même d’apprécier l’économie et les avantages de ces navettes qu’il a perfectionnées, et qu’il vend à des prix au-dessous du cours. Il pique les rouleaux, garnit les tampias, et se charge des raccommodages, à des prix très modérés.

vendredi 28 décembre 2007

La révolte de 1834 : analyse

J-B Monfalcon est le représentant de la bourgeoisie soutenant Louis-Philippe. A ce titre, ce qu’il écrit sur la Fabrique, sur la révolte de 1834 (son livre paraît en juin 1834), sur les ouvriers est particulièrement intéressant pour connaître l’esprit de la société au pouvoir à cette époque. D’autant que ses réflexions sont à mon avis, encore d’actualité sur un certain nombre de points.
En exergue de « L’Histoire des insurrections de Lyon » cette formule : « Arbeite und Hoffe » « Travaille et espère ».

Sur les fabricants :
« Le fabricant n’est pas un simple commissionnaire ; il ne se borne pas à recevoir les commandes de l’intérieur et de l’extérieur, à servir d’intermédiaire passif entre le marchand qui vend la soie et l’ouvrier qui la tisse : le fabricant est l’industriel véritable ; il fournit, non seulement la matière première, les capitaux, mais encore le dessin qui constitue l’étoffe. Toutes les chances de perte sont pour lui, si l’étoffe fabriquée ne s’est pas vendue ; lui seul est responsable ; il est l’unique entrepreneur. Dans la production des tissus de soie, le fabricant est la pensée qui crée et l’ouvrier, l’instrument qui exécute. »

A l’idée d’une association possible entre le fabricant et l’ouvrier, il répond :
« C’est impossible.Il n’existe que des rapports nécessairement fortuits entre les chefs d’atelier et les fabricants ; aucune solidarité autre que celle du contrat du moment ne peut les lier. Il faudrait une convention entre eux et alors la participation aux bénéfices suppose, de droit, une participation égale à la perte. L’ouvrier est dans l’impossibilité de la faire. Serait-il équitable de ne l’associer qu’aux bénéfices dans l’exercice d’une industrie où le fabricant apporterait la part principale, ses capitaux et le dessin de l’étoffe ? Et le secret du grand-livre, comment serait-il gardé ? Que deviendrait la sûreté des opérations commerciales si le chef d’atelier, devenu sociétaire, était en droit d’exiger communication des livres de compte et de caisse ? »

Sur le rôle de chacun :
« La prospérité de la fabrique ne doit pas consister, pour l’ouvrier dans un haut salaire, pour le fabricant dans le plus grand abaissement possible du prix des façons ; elle résulte du nombre et de l’importance des demandes, de l’abondance de la consommation, de la valeur à laquelle l’étoffe se maintient. Il faut que l’ouvrier et le fabricant gagnent : celui-là doit retirer de ses labeurs les moyens d’entretenir sa famille ; celui-ci est en droit de demander à son commerce, un bénéfice proportionné aux capitaux qu’il expose. Si le prix de la main d’œuvre est descendu trop bas, comment l’ouvrier pourra-il pourvoir à sa subsistance ? N’est-il pas juste qu’il soit nourri de son travail ? Si les prétentions du tisseur sont trop élevées, comment le fabricant soutiendra-t-il la concurrence étrangère ? Peut-on raisonnablement le forcer à vendre à perte ? Le bien sagement compris de la fabrique ne demande pas le sacrifice des intérêts des uns à l’intérêt des autres. Il s’agit de régler leur rapport. Les bénéfices du fabricant et le salaire de l’ouvrier viennent de la même source, la consommation. Si l’insuffisance des salaires forçait les ouvriers à quitter notre ville que deviendrait la fabrique ? Si l’esprit d’insurrection des masses forçait les capitaux à disparaître et les négociants à suspendre leurs affaires que deviendrait l’ouvrier ? Fabricants et tisseurs ont un même besoin les uns des autres. »

Sur les révoltes :
« Il serait bien temps de parler aux ouvriers en soie de leurs devoirs après avoir si longuement entretenus de leurs droits. Il serait surtout utile de leur démontrer, par l’expérience des ateliers depuis quatre années que l’inévitable résultat des coalitions et des insurrections, c’est la cessation du travail et l’abaissement du salaire. Ce qui les ruine, on ne saurait trop le leur répéter, la véritable cause de leur misère, c’est l’émeute ; toute amélioration dans leur condition matérielle repose sur ces deux conditions : « tranquillité et travail ! » Qu’ils laissent la politique, ils ne sauraient la comprendre et elle ne peut leur apporter que du dommage en les égarant sur leurs vrais intérêts ; qu’ils renoncent pour toujours à leur impuissante et funeste association ; la paix et la liberté, voilà la vraie association nationale et la seule qui puisse leur être profitable. »

Sur les ouvriers :
« Les classes qui vivent uniquement du travail de leurs mains n’ont point acquis encore assez de lumières pour discerner ce qui convient le mieux à leur intérêt, sans nuire aux intérêts de tous. Et jusqu’à ce qu’elles aient acquis à cet égard les idées qui leur manquent, elles seront exposées à élever des réclamations dont le succès, s’il était possible, ne tarderait pas à empirer leur condition. »
« Ils vous trompent ceux qui cherchent à exciter votre indignation contre le luxe des riches ; car c’est le luxe qui vous fait vivre : c’est lui qui alimente vos métiers ; c’est lui, lui seul, qui consomme vos brillantes étoffes ; sans lui, vos femmes et vos enfants manqueraient d pain auprès de vos métiers inoccupés. Votre industrie est une industrie de luxe ; c’est le luxe qui a fait de Lyon l’un des plus grands centres de l’Europe commerçante. »
« Sans l’économie, l’ouvrier ne peut dans les bons jours pourvoir aux jours mauvais. C’est par elle que se font les transitions de la classe pauvre, mais laborieuse, à la classe aisée ; avec elle, l’homme actif et industrieux n’est jamais embarrassé du présent et inquiet de l’avenir. Bien entendue, l’économie fait des petites fortunes et conserve les grandes. Activité et prévoyance telle est la voie lente, mais sûre qui conduit l’ouvrier au bien-être ; « travaille et espère », telle doit être la devise de l’homme, quelle que soit sa condition. »
« Le maître ouvrier lyonnais ne vit pas comme faisaient ses pères : il a contracté des habitudes qu’ignoraient ceux-ci, le goût des théâtres et celui des plaisirs coûteux ; il fréquente les cafés et est en général bien vêtu le dimanche. Son logement n’est plus un noir taudis, dans une rue étroite et infecte ; des maisons vastes, bien éclairées et bien aérées, ont été construites pour lui dans de très beaux quartiers. Ainsi d’un côté, diminution forcée des salaires et de l’autre augmentation croissante des dépenses. »

La révolte de 1834 : 6ème chapitre

Cinquième journée

Dimanche 13 avril à 8 heures une proclamation du préfet Gasparin permet la circulation dans les rues.
Le drapeau noir flotte toujours sur Saint Polycarpe et il y a des fusillades dans ce secteur. Des groupes de républicains occupent la montée de la Boucle, le faubourg de Bresse (sic) et le plateau de Fourvière.
A 11 heures la liberté de circulation est retirée. Beaucoup de Lyonnais vont rester coincés dans les allées.
A 12 h 30 le commandant du génie, Million, conduit une colonne d’attaque sur Fourvière par La Mulatière et Sainte Foy. A 16 h 30 le drapeau noir est abattu. Le quartier de Saint-Georges qui résistait fait sa soumission dans la soirée.
Il ne reste plus que la Croix-Rousse et le faubourg de Bresse. Le général Fleury adresse une dernière sommation. Pas de réponse. « Il emploiera la force et malheur aux vaincus ! (J-B Monfalcon).

Sixième journée

Lundi 14 avril Fleury et le colonel du 27ème sont de bonne heure sur la route de Caluire, à l’extrémité du faubourg et disposent de forces importantes. Un cordon de troupes enveloppe la Croix-Rousse. Les insurgés demandent à parlementer. Aucune concession ne leur saura faite. Deux compagnies se sont portées sur un clos situé hors des portes de Saint-Clair et dans lequel se trouve une maison tenue par les républicains. La maison est emportée à la baïonnette. Les insurgés cherchent à fuir mais ils sont acculés par les soldats et fusillés ou fait prisonniers. Plusieurs sont amenés à la prison de Perrache. 8 ou 10 soldats sont été grièvement blessés et leur tambour a été tué. La soumission de la Croix-Rousse n’est complète que le mardi 15 avril à 12 heures.
L’église Saint Polycarpe a été évacuée à 7 heures du matin.

Mardi 15 avril le conseil municipal se rassemble et vote un remerciement aux troupes de la garnison.

Notes :
Le bilan des morts d’après Claude Latta : 131 militaires et 190 civils.

Le bilan d’après Monfalcon : « Le chiffre des morts et des blessés qu’ont publié les journaux de Lyon, d’après de prétendus états officiels, n’est point exact. Celui que je donne est le résultat du dépouillement des tableaux qui m’ont été communiqués par le président de l’administration des hôpitaux civils ; j’ai eu de plus, communication des états des blessés et morts dressés sur des pièces officielles à l’état-major de la place, régiment par régiment ; enfin, j’ai fait, même à plusieurs reprises, pendant et après le combat, des visites dans les hôpitaux civils et militaires.
Voici un résumé officiel de l’état de situation au 31 mai des individus apportés morts ou vivants à l’Hôtel Dieu par suite des événements d’avril. Chiffre total : 218.
Apportés morts............................................................90
(46 n’ont pas été reconnus)
Sortis guéris................................................................50
Morts de leurs blessures….........................................42
Restant à l’Hôtel Dieu en traitement……………….36
Total..........................................................................218
Individus tués sur place ou morts de leurs blessures, du côté des insurgés, 132
Soldats et officiers tués sur place ou morts de leurs blessures, 155. »

(Monfalcon en fait n’est guère précis. Compte tenu que les blessés côté insurgés ont dû souvent être soustraits aux autorités, on peut communiquer comme chiffre : Plus de 300 morts.)

Témoignage d’Eugène Bonnet écrit le 22 avril 1834 :
« Je suis arrivé à bon port comme vous devez le présumer et je n’ai rien eu de plus pressé en mettant le pied à terre que d’aller m’assurer de mes propre yeux de ce que la rumeur publique nous avait déjà appris. Je ne m’attendais certainement pas à trouver de dégats. Le feu et la mitraille ont rendu hideux l’aspect de certaines rues. Dans celle de l’hôpital, les débris de deux maisons incendiées fument encore et depuis les Terreaux jusqu’à Bellecour, la plus grande partie des rues est disloquée. Partout on marche sur les débris des vitres qui dans beaucoup d’endroits ne sont pas encore remplacées. A mon arrivée, les dragons bivouaquaient encore sur la place de Bellecour, où une grande partie des arbres ont été coupés pour faire du feu. Partout les maisons sont criblées de balles. Tout enfin annonce ici le lendemain d’une révolution. A l’hôpital civil, il y a maintenant plus de 150 blessés et peut-être davantage à l’hôpital militaire. On compte à peu près 300 à 400 morts. »

Dernier article de l’Echo de la Fabrique :

« monsieur,
Les événements douloureux dont notre ville vient d’être le théâtre, et le procès dirigé contre l’Echo de la Fabrique ont rendu extrêmement critique la position de ce journal, qui néanmoins a rendu d’immenses services aux classes travailleuses, et bientôt peut-être sera leur unique refuge, la seule voix pour laquelle ils puissent faire entendre leurs griefs et exprimer leurs besoins.
Vous l’avez sans doute compris comme nous, monsieur, et comme nous vous êtes convaincu que sous l’application de la loi contre les associations, votée naguère par la Chambre des députés, adoptée par celle des pairs et enfin sanctionnée par le roi ; vous avez compris, disons-nous, que désormais les travailleurs cesseront de pouvoir se réunir et se concerter, et que dès-lors, plus que jamais, ils sont intéressés à se conserver une tribune qui les sauve du malheur incommensurable dont ils sont menacés avec nous dans l’existence de l’Echo.
Dans sa situation toute critique, l’Echo de la Fabrique, auquel le présent et l’avenir des travailleurs est intimement lié, entravé dans le cours de ses publications par les motifs que nous venons de vous indiquer, sent vivement le besoin d’être appuyé dans sa marche par un cautionnement qui le mette à même de traiter non des matières politiques, mais bien des matières industrielles auxquelles se rattachent les questions de travail, de salaire, etc., droit dont on veut nous spolier et qu’il faut revendiquer à tout prix.
Nous pensons, monsieur, que vous aurez compris la gravité des motifs que nous offrons aujourd’hui à vos méditations sérieuses, et que nous n’aurons pas compté en vain sur votre concours pour les besoins nouveaux qu’il importe de satisfaire, si l’on ne veut se mettre à la merci des oppresseurs de la grande famille des travailleurs.Lyon, le 20 avril 1834. »

La révolte de 1834 : 5ème chapitre

Troisième journée

Vendredi 11 avril. Quelques coups de feu échangés dans la nuit. A l’aube le tocsin de Saint Bonaventure sonne et le feu recommence partout. Des coups de fusils ont été tirés sur les artilleurs du pont Morand de la maison qui forme l’angle de la rue Basseville (fragment Est de la rue de l’Arbre Sec). Elle est foudroyée par la batterie. Un pétard est placé sur une maison de la rue Mercière par la troupe. L’explosion fracasse les portes et les devantures des boutiques et ébranle, jusque dans leurs fondements ces maisons anciennes. De gros projectiles tirés par les insurgés depuis la terrasse de Fourvière, tombent sur les maisons de la place Bellecour. Comment on-ils pu se procurer deux canons ? Ils proviennent du fort Saint Irénée. La troupe évacue la rive droite de la Saône pour se consacrer à renforcer Bellecour. Le faubourg de Vaise est entièrement aux mains des insurgés. La population paraît de leur côté.
A Saint-Étienne tous les métiers de passementerie sont arrêtés. 3 000 tisseurs se réunissent devant l’Hôtel de Ville. Echanges de coup de feu. La troupe garde le pouvoir et les Stéphanois ne pourront rejoindre Lyon.
Les insurgés paraissent manquer d’armes. Ils vont en chercher dans les communes autour.
« La Guillotière fait sa soumission dans la soirée. » (J-B Monfalcon).

Quatrième journée

Samedi 12 avril. La neige tombe à gros flocons. Le froid est vif. « A quelles fatigues les troupes ne son-elles pas exposées ! Elles bivouaquent en plein air ; tandis que les révoltés se retirent le soir dans leur demeure. » (J-B Monfalcon).
Depuis 3 jours toutes les communications entre les quartiers sont interrompues. Pas de lettres envoyées ni reçues mais surtout les malades restent sans secours et il est des maisons dans lesquelles se trouvent depuis plusieurs jours des morts. Contrairement à l’affirmation de Monfalcon, la Guillotière est loin d’être soumise ! Il écrit : « Le Guillotière a recommencé le feu. Ce faubourg est une ville ; si elle reste au pouvoir des insurgés, la position de la garnison de Lyon pourra devenir critique. »
Les troupes du quartier St Jean sont amenées pour s’en servir à l’attaque de la Guillotière. Dans un premier temps il est décidé de raser le faubourg. Au dernier moment, la troupe est envoyée en trois colonnes. Le bataillon du 21ème prend possession du faubourg.
Massacre à Vaise :
Vaise est sous domination républicaine. Le général Fleury est résolu à l’attaque. Le fort Saint-Jean tire sur les insurgés. Des troupes partent des Chartreux, de la caserne d’Orléans et descendent à la caserne de Serin. Alors qu’une partie des troupe partent prendre par revers le faubourg, une autre pénètre par le pont de Serin, jusque dans la Grande Rue, arrive à la Pyramide, se dirige à gauche et opère une jonction avec ceux venant de Pierre Scize. Menace de brûler le faubourg si la population est hostile. Monfalcon : « La résistance des républicains est très faible, ils lâchent pied dès qu’ils se voient attaquer en face. Ceux qui se sont embusqués dans les maisons, continuent à tirer sur la troupe. Ils tuent 3 officiers, en blessent un autre et tuent ou blessent 10 soldats ou sous-officiers » (sic). Au port Mouton les soldats sont assaillis par une grêle de balles. Ils ripostent, s’élancent dans les maisons. 15 morts sont comptés auprès de la Pyramide. Les 15 soldats du bataillon disciplinaire qui ont rejoint les insurgés sont fusillés sur place. Tout homme trouvé les mains et les lèvres noircies par la poudre, passe par les armes. 47 cadavres attestent de la vengeance des soldats : 26 sont ceux d’insurgés pris les armes à la main ; 21 n’appartiennent pas au parti qui a combattu : on y voit des enfants, des femmes, des vieillards impotents. (J-B Monfalcon) A 4 heures du soir la résistance a cessé.

A Lyon les insurgés occupent la place de la Fromagerie, l’église Saint-Nizier, la place des Cordeliers et l’église Saint Bonaventure. Nombreux combats. 11 insurgés sont tués dans l’église Saint Bonaventure et 2 sur la place.
Combat également sur le quai de Bondy. Les soldats tiennent le pont et le canon des Chartreux est dirigé sur l’hôtel du Chapeau Rouge. Deux heures de combat font taire le feu des insurgés.
Fin de la journée. « Une grande question politique vient de se résoudre à Lyon : la république a perdu son procès pour jamais. » (J-B Monfalcon).

La révolte de 1834 : 4ème chapitre

Deuxième journée :
jeudi 10 avril

Dès 6 heures du matin le tocsin de Saint Bonaventure.
A 8 heures la fusillade commence quai de Retz (Jean Moulin).
Situation très grave à la Guillotière : Des hommes postés sur les toits font feu sur la troupe. Les batteries d’artillerie font feu et incendient plusieurs maisons du faubourg. La Grande Rue est balayée par le canon. Toute une partie de la Guillotière n’est plus qu’un amas de ruines fumantes. Vive fusillade quai de Bon Rencontre (Jules Courmont). «Au port Charlet où sont embusqués quelques ouvriers, les balles pénètrent par ricochet dans l’intérieur des maisons et plusieurs femmes sont blessées » (J-B Monfalcon). Combats le long du pont Lafayette, des Brotteaux, sur la place du Concert (partie de la place des Cordeliers). Les insurgés se gardent de se montrer en masse et les soldats refusent d’entrer dans les rues du Centre.
A midi, la caserne du Bon Pasteur (emplacement de l’ex école des Beaux-Arts rue Neyret) est occupée par les insurgés. Le drapeau noir flotte sur l’église Saint Polycarpe, à l’Antiquaille, à Fourvière, à Saint Nizier et au Cordelier. On entend le tocsin de partout.
A Perrache un bateau de foin amarré sur la Saône est enflammé par un obus. Les liens brûlent et le bateau va échouer au pont de Chazourne. Il met le feu aux piles et 3 arches sont consumées.
La place Sathonay est occupée par une compagnie du 28ème. Face aux assaillants l’armée recule. Des barricades sont élevées dans toutes les rues qui s’ouvrent sur la place. Ordre est donné de détruite celle de la rue Saint Marcel (Sergent Blandan). « Le colonel Mounier dirige l’attaque ; il veut montrer aux soldats comment on emporte une barricade, s’élance et est tué à bout portant. La mort de ce brave militaire exaspère les grenadiers du 27ème ; ils se précipitent sur le retranchement ennemi, l’escaladent, le renversent et poursuivent les insurgés. Les grenadiers se jettent sur une maison désignée, montent les escaliers, frappent aux portes avec violence, tirent sur elles et tuent au troisième étage M. Joseph Rémond, l’un des citoyens de Lyon les plus honorables et les plus estimés. Plusieurs officiers et dix soldats ont été tués ou blessés. » (J-B Monfalcon).
Pas d’engagement décisif mais à chaque instant des prisonniers sont conduits dans les caves de l’Hôtel de Ville. Le canon gronde de la terrasse des Chartreux. Un obus met le feu à la maison à l’angle de la rue Gentil. Trois fois le feu prend aux bâtiments du collège (Ampère). Le fort Saint Irénée est abandonné par la troupe.
« Le faubourg de Vaise ne jouira pas, comme en 1831, du bonheur d’être complètement étranger à l’insurrection (J-B Monfalcon). » Une petite caserne de dragons placée au port des Pattes (port Jaÿr) est investie par les insurgés et une vingtaine de soldats sont désarmée. Des barricades sont élevées. 30 hommes d’un régiment disciplinaire d’Alger entre à Vaise pour chercher des vivres et des billets de logement, encadrés par 13 soldats. Un républicain court à leur rencontre et les persuade de suivre l’insurrection. L’escorte est désarmée.
En fin de soirée une mesure d’évacuation de Lyon est envisagée dans l’Etat Major. Elle est abandonnée.

La révolte de 1834 : 3ème chapitre

Le samedi 5 avril : Journée du procès

Extraits des écrits de J-B Monfalcon :
« Le procès des six mutuellistes doit avoir lieu au tribunal de Police Correctionnelle. M. Pic président du tribunal, les juges et le parquet désirent que le jugement des mutuellistes ne soit environné d’aucun appareil militaire. Les débats de l’affaire commencent. Une multitude immense remplit l’étroite enceinte du tribunal. Cette foule n’est point positivement malveillante, mais on y remarque une vive agitation. Après un long interrogatoire des prévenus et l’audition des témoins, le tribunal fatigué par le bruit, déclare, par l’organe de M. Pic, son président, que si le silence ne s’établit point il fera évacuer la salle et jugera à huis clos. La cause est renvoyée au mercredi suivant. Cette décision est mal comprise par l’auditoire qui croit y voir l’intention d’éviter la publicité des débats. Des murmures bruyants l’accueillent : « Le jugement de suite ! Point de huis clos ! La liberté de nos frères ! » La séance est levée. »

Les incidents continuent. Un témoin à charge est pris à partie. Le président du tribunal réclame un détachement militaire. Une soixantaine d’hommes. Le désordre est à son comble et quelques soldats sont désarmés. « Quelques soldats boivent avec des mutuellistes dans la cour du palais et sur la place Saint-Jean » (JB Monfalcon.) Un brigadier de gendarmerie est reconnu comme étant un de ceux qui s’est illustré lors des événements de 1831 du côté des forces de l’ordre. « On lui arrache sa croix d’honneur dont un groupe se fait un trophée et qu’il court jeter dans la Saône avec une sorte de solennité. »(J-B Monfalcon). Les juges, le procureur du roi, le commissaire central Prat et le commissaire de police Arnault s’enfuient par une porte dérobée.

Le dimanche 6 avril :
L’enterrement d’un chef d’atelier mutuelliste est l’occasion d’un déploiement de forces et d’une menace indirecte adressée au pouvoir. Huit mille ouvriers ferrandiniers ou mutuellistes* composent le cortège funèbre ; on remarque parmi eux un certain nombre de membres de la Société des Droits de l’Homme. A huit heure du soir, après l’enterrement, quelques ouvriers en bande parcourent les rues de Lyon en chantant la Marseillaise et le Chant du Départ. On entend « Vive la République ! A bas les tyrans ! A bas le juste-milieu ! »

· « Quatre hommes marchaient de front et beaucoup de files en comptaient cinq : le cortège allant au pas accéléré mit vingt-sept minutes à passer et soixante et dix rangs défilaient par minutes ; ainsi mon calcul approximatif est exact. » (J-B Monfalcon).

Lundi 7 et mardi 8 avril :
Un grand nombre de fabricants commencent à emballer leurs marchandises et leurs effets les plus précieux. Plusieurs ont quitté la ville.

Mercredi 9 avril :
A sept heures du matin toutes les troupes sont en place. Au total 10 500 hommes. Si l’on déduit les malades, les conscrits qui ne sont pas armés et les soldats commis pour garder les forts, l’effectif de la garnison est de 6 500 hommes. 4 grands commandements : le général Fleury à la Croix-Rousse ; le lieutenant-colonel Diettmann à l’Hôtel de Ville ; le lieutenant général Aymard à Bellecour ; le général Buchet à l’Archevêché.
Disposition de la troupe :
Place Saint-Jean ; dans la cour de l’Archevêché ; à la tête du pont Tilsitt ; sur la rive gauche de la Saône, adossée à l’hôtel du Palais Royal et près des Célestins ; place Bellecour ; à l’Arsenal ; sur la place Louis XVIII (place Carnot) ; à la Guillotière ; sur la place Louis XVI (place Maréchal Lyautey) ; à l’Hôtel de Ville. Les ponts sont occupés, des pièces de canon placées sur différents points. Un fort détachement garde l’intérieur du tribunal.
A huit heures Adrien de Gasparin, le préfet, apprend que les chefs de la Société des Droits de l’Homme se sont réunis dans une maison de la rue Bourgchanin (rue Bellecordière) et que des proclamations ont été imprimées. Les autorités n’interviennent pas.
A neuf heures et demie la foule garnit la place Saint-Jean et les cours de l’hôtel de Chevrière. Les autorités sont à l’Archevêché. Les chefs principaux des diverses associations paraissent sur la place Saint-Jean. Ils ne seront pas arrêtés : « Ils n’ont commis aucun désordre et avant tout, l’autorité doit éviter jusqu’à l’apparence de l’agression ; elle se laissera attaquer » (J-B Monfalcon).
A dix heures et demie, tout à coup la place St Jean se vide. Les barricades sont commencées aux débouchés des rues qui s’ouvrent sur la place. Pendant ce temps le procès des Mutuellistes commence. Au bruit de la première détonation l’avocat des prévenus Jules Favre* s’arrête. Toutes les personnes présentes au tribunal, descendent dans la cour de l’hôtel de Chevrière et cherchent à regagner leur domicile.
« Un agent de police, Faivre, est mortellement blessé par un soldat au moment où il s’élançait sur une barricade. »(J-B Monfalcon). (S’agit-il de l’épisode évoquée par Sébastien Commissaire : « Le premier individu qui a provoqué la troupe en tirant un coup de pistolet sur elle fut tué par les soldats qui ont riposté aussitôt. Dans les poches de cet homme on trouva une carte d’agent secret : ce misérable avait été tué en remplissant son rôle d’agent provocateur ». Un agent tué par un soldat.)
A midi l’insurrection est générale, partout on achève ou l’on commence des barricades. Les combats sont particulièrement violents dans le secteur de la place des Jacobins. Le faubourg de Vaise est tranquille. La Guillotière est surveillée.
A la Croix-Rousse : « Au bruit des premières fusillades, des barricades sont élevées dans la Grande Rue de la Croix-Rousse. Le générale Fleury les fait attaquer par quelques compagnies du 27e du colonel Perron. Elles obtiennent d’abord quelque succès mais assaillies par une multitude d’adversaires qu’elles ne sauraient atteindre, elles se retirent derrière le mur d’enceinte. Une attaque a été faite en arrière du faubourg, par la montée de la Boucle, sans l’ordre du général, qui envoie sur ce point pour la soutenir, le chef de bataillon Delattre et la deuxième compagnie du 27e ; elle ne réussit point. Le général fait fermer la grille de communication de la place des Bernardines au plateau de la Croix-Rousse ; une pièce de canon est placée au –dessus du corps de garde, en face de la rue principale du faubourg que ses boulets sillonnent d’un bout à l’autre ; vingt fois abattue par son feu, la barricade sera relevée sans cesse. Bien en sûreté dans sa caserne crénelée et, maître des Chartreux, le général neutralisera complètement la Croix-Rousse pendant le durée entière de la lutte. (J-B Monfalcon)

Fin de la 1ère journée : La garnison est en possession du quartier Saint-Jean, des places Bellecour, Préfecture et Terreaux, des deux rives de la Saône, des ponts, des portes, de toutes les positions militaires.

*Jules Favre : Cet avocat Lyonnais n’a que 25 ans à ce moment là. Il deviendra le chef de l’opposition républicaine sous le Second Empire et sera sous le gouvernement de Défense Nationale en 1870, ministre des Affaires Etrangères. Il signera avec Bismarck le traité de Francfort en 1871.

La révolte de 1834 : 2ème chapitre

Les lois régissant les associations


Quelques textes sur le droit d’association puisque les dispositifs de la loi de 1834 vont le restreindre.

Historique
1789 - Dès le début de la Révolution, de nombreuses associations politiques et ouvrières se forment sans aucune autorisation des pouvoirs publics. La Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen omet le droit d'association.

1790 - L’Assemblée constituante, par la loi du 21 août 1790, reconnaît aux citoyens « le droit de s'assembler paisiblement et de former entre eux des sociétés libres, à la charge d'observer les lois qui régissent tous les citoyens. » Ce droit est intégré à la Constitution du 3 septembre 1791.
1791 - Suite à des séditions ouvrières et à la montée de leurs revendications salariales, la loi Le Chapelier (14-17 juin 1791) interdit tout rassemblement, corporation ou association d’ouvriers ou artisans :
« Les citoyens d'un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers d'un art quelconque, ne pourront, lorsqu'ils se trouveront ensemble, se nommer ni présidents, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs » (art. 2).
« Nous avons les plus fortes raisons de croire que l'institution de ces assemblées a été stimulée dans l'esprit des ouvriers, moins dans le but de faire augmenter, par leur coalition, le salaire de la journée de travail, que dans l'intention secrète de fomenter des troubles. »
Le Chapelier, présentation du rapport du comité de Constitution sur les assemblées de citoyens de même état ou profession.Archives parlementaires, 14 juin 1791, p. 210.
Marat, dans « l'Ami du peuple », vilipende l'action des représentants du peuple et voit dans la loi du 17 juin un attentat au droit d’association.
« Un attentat aussi odieux ne suffisait pas aux pères conscrits : ils voyaient avec effroi la partie la plus saine de la nation réunie en sociétés fraternelles, suivre d'un œil inquiet leurs opérations, réclamer contre les malversations et toujours prêtes à éclairer la nation et à la soulever contre ses infidèles mandataires. Que n'ont-ils pas fait pour anéantir ces sociétés tutélaires, sous prétexte qu'elles usurpaient tous les pouvoirs en prenant des délibérations, tandis qu'elles ne délibéraient que pour s'opposer à l'oppression, que pour résister à la tyrannie. N'osant les dissoudre, ils ont pris le parti de les rendre nulles, en interdisant toute délibération ou plutôt toute pétition faite par une association quelconque, sous prétexte que le droit de se plaindre est un droit individuel : ce qui suppose qu'aucune association ne peut être ni lésée ni opprimée, ou bien que toute association est obligée de se soumettre en silence aux derniers outrages. Enfin, pour prévenir les rassemblements nombreux du peuple qu'ils redoutent si fort, ils ont enlevé à la classe innombrable des manœuvres et des ouvriers le droit de s'assembler, pour délibérer en règle sur leurs intérêts, sous prétexte que ces assemblées pourraient ressusciter les corporations qui ont été abolies. Ils ne voulaient qu'isoler les citoyens et les empêcher ainsi de s'occuper en commun de la chose publique. Ainsi c'est au moyen de quelques grossiers sophismes et de l'abus de quelques mots que les infâmes représentants de la nation l'ont dépouillée de ses droits. » L'Ami du peuple, 18 juin 1791.
Article 14 du décret du 19-22 juillet 1791 relatif à l'organisation d'une police municipale et correctionnelle : Ceux qui veulent former des sociétés ou clubs politiques doivent faire une déclaration des jours et lieux de réunion auprès de la municipalité sous peine de 200 livres d'amende, 500 en cas de récidive.
Le décret du 18 août 1792 abolit les congrégations religieuses et les confréries.
1793 - Sous la Convention tombent les fragiles barrières dressées contre les excès des sociétés politiques : la Déclaration des droits de l'Homme placée en tête de la Constitution du 24 juin 1793 donne dans son article 7 le droit aux citoyens de « s'assembler paisiblement » et le droit « de se réunir en sociétés populaires » (article 122).
Le décret du 25 juillet 1793 interdit à toute autorité et tout individu d'empêcher les sociétés populaires de se réunir ou de tenter de les dissoudre sous peine de cinq à dix années de fers.
1795 - La Constitution du 5 fructidor an III subordonne l'existence des associations politiques et professionnelles au maintien de l'ordre social :
« Aucune société particulière, s'occupant de questions politiques, ne peut correspondre avec aucune autre, ni s'affilier à elle, ni tenir des séances publiques, composées de sociétaires et d'assistants distingués les uns des autres, ni imposer des conditions d'admission et d'éligibilité, ni s'arroger des droits d'exclusion, ni faire porter à ses membres aucun signe extérieur de leur association » (art. 362)
1810 - L’article 291 du code pénal napoléonien impose la dissolution de toute association de plus de vingt personnes non autorisée préalablement par les pouvoirs publics. Il punit de 3 mois à deux ans de prison les dirigeants de ces associations et de 16 à 200 francs les personnes chez lesquelles ont eu lieu ces réunions illicites.
Malgré les nombreuses demandes d'abrogation, il perdurera jusqu'en 1901.
1830 - Devant le regain des clubs, associations politiques et sociétés secrètes pendant la Restauration puis la Monarchie de Juillet, la répression s'accentue. Beaucoup de voix s'élèvent pour réclamer le droit d'association.
L'ultramontain Félicité de Lamennais s'indigne contre le régime de la Monarchie de Juillet :
Le pouvoir royal souhaite réprimer la ferveur des journées révolutionnaires de 1830 et mettre fin à l'existence des clubs.
« Nous demandons, en quatrième lieu, la liberté d'association, parce que partout où il existe soit des intérêts, soit des opinions, soit des croyances communes, il est dans la nature humaine de se rapprocher et de s'associer ; parce que c'est là encore un droit naturel ; parce qu'on ne fait rien que par l'association, tant l'homme est faible, pauvre et misérable tandis qu'il est seul : voe soli ! Parce que là où toutes classes, toutes corporations ont été dissoutes, de sorte qu'il ne reste que des individus, nulle défense n'est possible à aucun d'eux, si la loi les isole l'un de l'autre et ne leur permet pas de s'unir pour une action commune. L'arbitraire pourra les atteindre tour à tour ou tous à la fois, avec une facilité qui amènera bientôt la destruction complète des droits ; car il y a toujours dans le pouvoir, même le plus juste et le plus modéré, une tendance à l'envahissement, et la liberté ne se conserve que par un perpétuel combat. Aujourd'hui d'ailleurs les gouvernements devant suivre l'opinion publique, il faut que l'opinion publique ait en dehors d'eux un moyen de se former et de se manifester avec un caractère de puissance qui ne permette en aucun cas de la mépriser ou de la méconnaître ; et cela même est une garantie, et la plus forte garantie, dans l'état présent de l'Europe, de la stabilité des gouvernements. » Lamennais : journal L'Avenir, 16 octobre 1830.
Tocqueville souligne à la même époque la liberté d'association qui règne de l'autre côté de l'Atlantique :
« Les Américains de tous âges, de toutes les conditions, de tous les esprits, s'unissent sans cesse. Non seulement ils ont des associations commerciales et industrielles auxquelles tous prennent part ; mais ils en ont encore de mille autres espèces : de religieuses, de morales, de graves, de futiles, de fort générales et de très particulières, d'immenses et de fort petites ; les Américains s'associent pour donner des fêtes, fonder des séminaires, bâtir des auberges, élever des églises, répandre des livres, envoyer des missionnaires aux antipodes ; ils créent de cette manière des hôpitaux, des prisons, des écoles. S'agit-il enfin de mettre en lumière une vérité ou de développer un sentiment par l'appui d'un grand exemple : ils s'associent. (...) J'ai rencontré en Amérique des sortes d'associations dont je confesse que je n'avais pas même l'idée. (…) Dans les pays démocratiques, la science de l'association est la Science ; le progrès de toutes les autres dépend des progrès de celle-là. » De l'usage que les Américains font de l’association dans la vie civile (1835).De la démocratie en Amérique / Alexis de Tocqueville. - Paris : M. Lévy, 1864.
1834 - Un débat sur le droit d'association s'engage au Parlement.
« J'ai dit que l'article 291 ne figurerait pas éternellement dans les lois d'un peuple libre. Pourquoi ne le dirais-je pas aujourd'hui ? (…) Il viendra, je l'espère, un jour où la France pourra voir l'abolition, la suppression de cet article, comme un nouveau développement de la liberté. Mais jusque-là, il est de la prudence de la Chambre et de tous les grands pouvoirs publics, de maintenir cet article qui a été maintenu en 1830 ; il faut même le modifier, selon le besoin du temps, pour qu'il soit efficace contre les associations dangereuses d'aujourd'hui, comme il l'a été en 1830 contre les clubs.» Guizot, discussion de la loi du 10 avril 1834. Archives parlementaires, 12 mars 1834.
Pour le député Berryer :
« Le droit d’association est un droit sacré, c'est le droit primitif, c'est le droit générateur dans l'ordre social » (Archives parlementaires, 12 mars 1834.)
Pour Lamartine :
« L'association est dans le principe même de liberté qui constitue ce gouvernement. Il ne faut point la nier, il faut la régler (…). Sans doute cette législation sera difficile ; c'est une force sociale toute neuve à constituer (…). Mais ce qui est nécessaire n'est jamais impossible, et d'ailleurs vous n'avez qu'une alternative : ou des droits reconnus, ou des droits envahis ; ou des associations légales, ou des sociétés secrètes et illicites » (Archives parlementaires, 13 mars 1834).
Cependant, la loi du 10 avril 1834 aggrave les dispositions du code pénal. Désormais, même les membres d'associations divisées en sections de moins de 20 personnes encourent de lourdes amendes et des peines de prison. Une vague de répression politique déferle sur les associations de toute nature*.
Position de J-B Monfalcon à propos de l’association des Mutuellistes :
« Des ouvriers qui n’avaient fait usage de leurs facultés intellectuelles que pour pousser avec égalité leur navette de gauche à droite et de droite à gauche, discutaient, calomniaient l’œuvre des trois pouvoir et décrétaient la révoltes ! (…) Les conséquences terribles de l’aberration mentale des travailleurs ne sauraient faire méconnaître le ridicule des considérants de leur protestation ».
Monfalcon fait allusion à la protestation des Mutuellistes, signée par 2 544 sociétaires, ci-jointe :
« La société des Mutuellistes de Lyon, placée par le seul fait de sa volonté en dehors du cercle politique, croyait n’avoir à redouter aucune agression de la part des hommes du pouvoir, lorsque la loi contre les associations est venue lui révéler son erreur ; cette loi monstrueuse, œuvre du vandalisme le plus sauvage, violant les droits les plus sacrés, ordonne aux membres de cette société de briser les liens qui les unissent et de se séparer ! Les mutuellistes ont dû examiner et délibérer.
Considérant en thèse générale que l’association est le droit naturel de tous les hommes, qu’il est la source de tout progrès, de toute civilisation ; que ce droit n’est point une concession des lois humaines, mais le résultat des vœux et des besoins de l’humanité écrits dans le code providentiel ;
Considérant en particulier que l’association des travailleurs est une nécessité de notre époque, qu’il est pour eux une condition d’existence, que toutes les lois qui y porteraient atteinte auraient pour effet immédiat de les livrer sans défense à l’égoïsme et à la rapacité de ceux qui les exploitent ;
En conséquence, les mutuellistes protestent contre la loi liberticide des associations et déclarent qu’ils ne courberont jamais la tête sous le joug aussi abrutissant, que leurs réunions ne seront point suspendues et, s’appuyant sur le droit le plus inviolable, celui de vivre en travaillant, ils sauront résister, avec toute l’énergie qui caractérise des hommes libres, à toute tentative brutale et ne reculeront devant aucun sacrifice pour la défense d’un droit qu’aucune puissance humaine ne saurait leur ravir. »
Dumont, président de section, Guétard, chef de loge centrale…etc…etc…
*DE LA LOI SUR LES ASSOCIATIONS,
Art. 1er. « Les dispositions de l’art. 29l du code pénal sont applicables aux associations de plus de 20 personnes, alors même que ces associations seraient partagées en sections d’un nombre moindre, et qu’elles ne se réuniraient pas tous les jours ou à des jours marqués. L’autorisation donnée par le gouvernement est toujours révocable. »
« Art. 2. Quiconque fait partie d’une association non autorisée, sera puni de deux mois à un an d’emprisonnement, et de 50 fr. à 1,000 fr. d’amende.« L’article 463 du code pénal pourra être appliqué dans tous les cas.« En cas de récidive, les peines pourront être portées au double.« Les condamnés, dans ce dernier cas, pourront être soumis à la surveillance de la haute police pendant un temps qui pourra être élevé jusqu’au double de la peine. »
Art. 3. « Seront considérés comme complices et punis comme tels, ceux qui auront prêté ou loué sciemment leur maison ou appartement pour une ou plusieurs réunions d’une association non autorisée. »
Art. 4. « Les attentats contre la sûreté de l’état, commis par les associations ci-dessus mentionnées, pourront être déférés à la juridiction de la chambre des pairs, conformément à l’art. 23 de la charte constitutionnelle.« Les délits politiques commis par lesdites associations, seront déférés au jury, conformément à l’article 69 de la charte constitutionnelle.« Les infractions à la présente loi et à l’art. 291 du code pénal seront déférées aux tribunaux correctionnels. »« Les dispositions du code pénal auxquelles il n’est pas dérogé par la présente loi, continueront de recevoir leur exécution. »

La révolte de 1834 : 1er chapitre

Prélude de l’insurrection : les journées de février


Résumé de cette période en prenant comme référence des extraits de « Histoire des insurrections de Lyon en 1831 et 1834 » (1834) de J-B Monfalcon, historien, créateur du journal favorable à Louis-Philippe « Le Courrier de Lyon ». Quand c’est possible je joins les positions des rédacteurs de L’Echo de la Fabrique.

J-B Monfalcon :

« Il est un fait qu’il faut poser d’abord pour bien comprendre les événements : la question des salaires n’est plus rien depuis longtemps dans les déplorables désordres de notre cité. Ce que l’ouvrier demande, ce n’est pas une augmentation de deux ou trois sous par aune de peluche, de taffetas ou de velours. (…) Ce qu’il appelle de tous ses vœux, le but de la coalition des ferrandiniers et des mutuellismes, ce n’est pas seulement la conquête d’un tarif, c’est autre chose : il veut une part dans le bénéfices des fabricants, il exige une représentation plus large dans les jouissances de la vie sociale, il s’indigne de l’obligation du travail et de l’économie, et dit aux riches, comme Figaro aux grands seigneurs de son temps : « Qu’avez-vous fait pour devenir ce que vous êtes ? Vous vous êtes donné la peine de naître ! » Ce n’est pas leur intelligence qu’il faut accuser de cette fatale situation : elle a beaucoup grandi depuis la révolution de Juillet et les journées de novembre ; c’est l’aberration déplorable d’esprit à laquelle ils se sont laissés conduire… »

Dans le numéro 58 du 9 février 1834 on lit dans l’Echo de la Fabrique :

« Si maintenant on porte plus haut ses regards, on voit la grande famille des travailleurs sortir de l’état d’ilotisme où l’avait enchaînée de barbares préjugés et l’avidité criminelle de quelques-uns, et mettre un terme à la honteuse exploitation de l’homme par l’homme ; on la voit traiter d’égal à égal avec les capitalistes, forcer enfin le législateur à écrire dans ses codes une égalité réelle, à conférer aux travailleurs les droits politiques si injustement et si absurdement réservés jusque-là aux seuls oisifs, et arriver ainsi au gouvernement du peuple par le peuple. Mais ce peuple sera-t-il encore déclaré incapable de se régir, et devra-t-il être, comme ignorant, repoussé de toute participation aux affaires générales ? L’association répondrait alors victorieusement par des faits. Cinq mille chefs d’atelier sont unis en dépit des persécutions inquisitoriales de la police et des poursuites du parquet ; leur nombre grandit chaque jour ; ils ont leurs lois fidèlement observées, leurs chefs strictement obéis : toutes leurs mesures sont appuyées sur l’équité et prises dans l’intérêt général ; tout enfin marche avec une admirable harmonie. Dans les réunions hebdomadaires, réunions éminemment utiles, on parle des affaires de tous, des affaires de chacun ; on expose ses espérances, ses idées d’avenir ; on discute les moyens les plus propres, les plus prompts à amener l’amélioration du sort commun ; on s’instruit, on apprend à se connaître, on se moralise, et l’on avance ainsi à grands pas vers l’émancipation de tous les travailleurs. Les autres professions l’ont bien compris ; aussi, chaque jour de nouvelles demandes d’affiliation sont faites ; les Mutuellistes les accueillent avec joie ; ils oublient les injures qu’on jetait naguère à leur industrie ; ils oublient aussi que leur énergie dans le danger, leur constance, leur fermeté dans les luttes diverses engagées contre eux, les ont élevés au premier rang ; ils accueillent tous leurs frères dans une parfaite égalité. »

Le mercredi 12 février :
La société des Mutuellistes est convoquée en assemblée générale extraordinaire pour délibérer sur la question de l’interdiction générale des métiers. La séance dure toute la journée.
2 341 chefs d’ateliers présents.
1297 voix pour la cessation en masse du travail
1044 contre.
A 22 h 30 la commission exécutive décrète la suspension du travail dans tous les ateliers à partir du vendredi 14 février.
Prétexte : diminution de 25 centimes sur le prix de fabrication de l’aune de peluche.

Le vendredi 14 février :
20 000 métiers cessent de battre à 14 h
A l’occasion d’un enterrement les canuts font une démonstration de force. De 1000 à 1200 tisseurs compose le cortège qui se rend en traversant la ville au cimetière de Loyasse. Ils marchent par quatre. Deux ferrandiniers d’un côté, 2 mutuellistes de l’autre. Beaucoup portent les insignes du compagnonnage dont le port est interdit par une ordonnance. Les injonctions du commissaire de police n’y font rien.

Le vendredi 21 février :
Les négociations échouent. Les fabricants repoussent l’idée d’une mercuriale proposée par les délégués ouvriers et ne cèdent pas. « D’une concession de 25 centimes à l’inexécutable tarif, il n’y a qu’un pas ». Un grand nombre d’ouvriers commencent à travailler mais le plateau de la Croix-Rousse, véritable quartier général de la population ouvrière, a persisté dans son inaction. Des rixes, accompagnés de voie de fait, ont lieu sur la place de la Croix-Rousse. Des arrestations ont été opérées.

Le samedi 22 février :
La reprise du travail est à peu près générale. J-B Monfalcon note de nombreuses dissensions entre associations d’ouvriers.

Le dimanche 23 février :
Sans transaction avec les fabricants et sans concession aux ouvriers en peluche, tous les métiers ont recommencé à battre. Six mutuellistes sont arrêtés comme chefs de la coalition. Vingt chefs d’ateliers se déclarent solidaires en écrivant au procureur du roi.
Commentaires de J-B Monfalcon : « La loi sur les associations avait été votée, son application à la Société des Mutualistes était inévitable ; elle devait frapper la coalition au cœur. Nulle part ce désordre moral qu’avait signalé le « Journal des Débats » n’existait à un aussi haut degré qu’à Lyon : On y voyait un Etat dans l’Etat et un pouvoir illégal assez hardi pour se mettre en rébellion ouverte contre la loi et défier le pouvoir national. »

L’Echo de la Fabrique écrit lui :« Depuis deux mois environ, et dans presque tous les genres de notre fabrication lyonnaise, se faisait sentir une tendance marquée à la diminution du taux des salaires. – Alors se retracèrent au souvenir des travailleurs, formant aujourd’hui l’association des Mutuellistes, NOVEMBRE et toute sa hideur, et les angoisses du peuple épuisé de misère, réduit à demander, sous le feu des canons vomissant la mitraille, du pain pour vivre en travaillant ! – Ces jours de mort et de deuil, si près de nous encore, pouvaient se renouveler et appeler sur notre cité une tempête plus terrible et plus désastreuse ; et aujourd’hui comme alors, aucune garantie contre une si déplorable alternative n’était là pour la détourner !!! – Telles furent les graves considérations qui déterminèrent les Mutuellistes à frapper les métiers d’un interdit général, et ce fut dans la journée du 14 que cette décision fut unanimement exécutée. Ils avaient aussi (pourquoi le tairions-nous) pensé que cette interdiction générale amènerait un grand nombre de fabricants desquels ils n’avaient aucune plainte à faire, à intervenir comme conciliateurs entre eux et cette autre partie des fabricants qui, forts d’une quasi-disette de travail, ne rougissaient pas d’en profiter pour rendre plus critique encore la situation fâcheuse de l’ouvrier, mais que ces derniers feraient droit à leurs sages représentations. – Qu’aujourd’hui cette prévision n’ait pas été justifiée par le fait, nul parmi nous ne prétend l’imputer à crime à personne d’entre eux, bien qu’en vingt autres circonstances leur propre intérêt leur eût impérieusement commandé ce qu’exigeait le notre dans ce cas. »

Les voeux de l'Echo de la Fabrique en 1832 et 1833

LYON. LE 1er JANVIER 1832
Ce jour, lorsque nos manufactures prospéraient, était un jour de fête pour chaque famille ; aujourd'hui il ne leur reste plus que de tristes souvenirs. Cependant tout n’est pas perdu, et nous pouvons, ouvriers, chefs d'ateliers et négocians, nous livrer à l'espérance. Avec les institutions qui nous régissent, la France manufacturière peut être encore sans rivale, comme elle peut être, avec le trône des barricades et son drapeau, la première et la plus puissante des nations. Nous croyons, au commencement d'une nouvelle année, pouvoir répéter ce que nous avons dit tant de fois : Il faut que tous les hommes se tendent la main ; que le passé s'oublie ; que l’ouvrier, le chef d'atelier et le fabricant, dont les intérêts sont liés, fassent le sacrifice de tout ressentiment personnel pour l'intérêt de tous, afin que la paix, la concorde et la confiance se rétablissent pour durer éternellement entre des classes dépendantes les unes des autres.
Pour nous, empruntant un langage qu'un vieil usage a consacré, nous allons faire des souhaits ; puissent-ils s'accomplir pour le bien de l'humanité !
Nous souhaitons à M. le président du conseil des ministres qu'il connaisse les véritables causes de la misère des ouvriers de Lyon, et y porte remède.
Nous souhaitons à tous les préfets de mériter le titre glorieux que M. Du Molart a acquis parmi nous, de père des ouvriers.
Nous souhaitons à M. le maire de Lyon toute l’impartialité que commande le caractère dont il est revêtu, et surtout que si on lui demande de permettre la vente publique de la justification d'un ex-premier fonctionnaire il ne la refuse pas ; car il serait bien charmé qu'en pareil cas on permit la vente publique de la sienne, ce que nous ne lui souhaitons pas. Mais, dans ce siècle, qui peut compter sur la stabilité des places ?…
Nous souhaitons au député qui prétend que l'ouvrier peut vivre avec vingt-huit sous par jour, qu'il prenne pour lui cette somme et donne le superflu de ses revenus aux malheureux dont il n'a pas craint de mettre en doute la misère.
Nous souhaitons que les négocians honorables qui ne spéculent point sur la faim de l'ouvrier se fassent connaître, afin que chacun les comble de ses bénédictions.
Nous souhaitons que le petit nombre de négocians déhontés, vrais parasites commerciaux, soient démasqués et flétris par la réprobation publique.
Nous souhaitons aux ouvriers que, par le tarif ou la mercuriale, ils voient enfin cesser cet état de détresse où l’égoïsme les a plongés.
Nous souhaitons aux philanthropes qui, dans des jours de deuil, ont tendu une main bienfaisante aux infortunés ouvriers, que leurs noms nous soient connus, afin que nous puissions les publier et les transmettre à nos neveux comme des modèles d'humanité.
Nous souhaitons que toutes les âmes généreuses, dans quelque classe qu'elles se trouvent, se réunissent pour faire cesser toutes les dissensions civiles ; dussent les ennemis de la France et de nos institutions en mourir de dépit.
Nous souhaitons que le commerce reprenne toute sa splendeur ; que Lyon redevienne, pour la soierie, le magasin du monde, et fasse, par son industrie, la gloire de la France.
Nous souhaitons, enfin, aux journalistes moins de procès et surtout point d'incarcération ; car ils ont à souffrir assez d’autres petites tracasseries.

1er Janvier 1833.
Bon jour ! Bon an !
Salut ! puissant Janus, qui de ton double visage regardes avec regret l’année qui fuit pour rejoindre les sœurs qui l’ont précédée et sont inhumées dans le vaste tombeau de l’éternité, et contemples avec joie la jeune année qui s’avance pure de tout souvenir fâcheux, belle d’espérance et peut-être d’illusions.
Bon jour, bon an, citoyens ! Aux hommes heureux la continuation de leur bonheur ! Aux hommes malheureux l’adoucissement de leurs maux !… A tous la santé ; l’homme riche en a besoin pour jouir de sa félicité, comme le pauvre pour supporter sa misère. A vous, prolétaires, du travail et une place au festin dont vous n’avez ramassé jusqu’à ce jour que quelques miettes… Des droits en échange de vos impôts… Votre émancipation s’approche… Vous commencez à y croire ; c’est beaucoup ; ailleurs on la redoute, c’est encore quelque chose.
Le siècle, aujourd’hui, prend l’âge où Jésus Christ commença sa divine prédication. Lorsque le monde l’eut entendue, l’esclavage fut aboli ; oh ! si vous saviez ce qu’était l’esclavage ! le prolétaire au moins est matériellement libre ; croyez-vous qu’il soit plus difficile de rompre les chaînes qui attachent le prolétaire, que celles qui étreignaient l’esclave ? Oh ! non. Eh bien, Thomas de la civilisation, cessez d’être incrédules. L’œuvre commencée par le démocrate de Galilée, approche de sa fin. Plus de privilèges, plus de monopoles, plus d’impôts abusifs et onéreux. Proclamons pour mil huit cent trente-trois :L’émancipation physique et morale des prolétaires.

mercredi 26 décembre 2007

La santé des canuts

L’Echo de la Fabrique et la santé des canuts

L’Echo de la Fabrique du 1er avril 1832 Paris. - Nous avons regret d'annoncer à nos lecteurs qu'une maladie, qui présente tous les symptômes du choléra, s'est manifestée hier. Trois personnes sont mortes ; parmi elles se trouve le cuisinier du maréchal Lobau. Ce matin, de nouvelles attaques ont eu lieu. A l'heure où nous écrivons, on procède à l'autopsie des cadavres.(Journal du soir.)

Vouloir évoquer la santé des Canuts au XIXème siècle n’est pas une mince affaire. C’est d’ailleurs valable pour toute évocation concernant l’Histoire de l’industrie de la soie qui appartient non seulement à celle de la Croix-Rousse et de Lyon mais surtout au mouvement social universel. Certes chacun a bien une idée. Le Canut a faim, le Canut fait 18 heures de travail par jour en 1831, le Canuts vit dans un espace confiné puisqu’il est obligé de fermer ses fenêtres légèrement opaques afin d’éviter la poussière de la rue et les rayons du soleil qui viendraient frapper les fils de soie teints.
« Et cet homme, jeune encore, mais pâle et décharné, qui lève sur vous des yeux éteints par l'agonie de la misère ? Il est malade ; que ne va-t-il à l'hôpital ? Sans doute il y serait à sa place. Chez lui un travail de dix-huit heures augmente, il est vrai, ses souffrances ; mais il lui faut gagner de vingt-huit à trente-deux sous pour acheter quelques aliments grossiers que ses enfants s'arrachent entre eux et dont il se passe, parce qu'il aime mieux endurer la faim que de voir souffrir les innocentes créatures auxquelles il donna le jour. » Lit-on dans l’Echo de la Fabrique, le journal des tisseurs, en 1832.
Mais j’ai voulu tenter d’aller au-delà d’une simple description de la misère des tisseurs sur soie du XIXème siècle. J’ai voulu leur redonner la parole et j’ai ainsi négligé la description que divers observateurs ont pu écrire sur leur vie, leur aspect. Ce qui me frappe à la lecture de leur journal, c’est leur capacité d’analyse et de propositions. Cette observation m’a conduit à jeter un regard différent de celui que souvent j’observe quand on évoque les Canuts. L’héritage qu’ils transmettent par leurs écrits n’est pas seulement une description de leurs souffrances, c’est surtout des éléments fondateurs d’un mouvement ouvrier en lutte qui propose, fixe aux uns et aux autres des objectifs. C’est à ce titre que le patrimoine des Canuts est intéressant. Evoquer le passé pour le passé me semble pour moi insuffisant. Il n’a de valeur que s’il vient enrichir notre réflexion aujourd’hui. On ne peut donc résumer l’apport social des Canuts au chant, certes émouvant et combien mobilisateur, d’Aristide Bruant, « Pour chanter Veni créateur… », écrit d’ailleurs 60 ans après la révolte de novembre 1831, après ces journées du 21, 22 et 23 novembre qui posent les bases du mouvement ouvrier.
J’ai donc fait un choix. D’abord parce que je ne suis ni universitaire, ni historien pour entreprendre de longues recherches, l’état d’esprit de cette époque ne fournit pas de statistiques, de listes, pour savoir les maladies auxquelles le canut et sa famille étaient confrontés et parce que je l’ai dit, je souhaitais donner la parole aux tisseurs sur soie. Quelques noms de maladies viennent de temps en temps nous renseigner, nous permettant d’en déduire qu’ils étaient communs à beaucoup. Ainsi, Sébastien Commissaire (1822-1898), fils de canut et canut lui-même avant de devenir député en 1849.
« J’appris à faire le velours. Selon moi, il n’y a point d’étoffe dont la fabrication absorbe autant l’ouvrier que la confection du velours uni. Il faut que l’ouvrier ait constamment les yeux fixés sur son ouvrage, soit quand il le coupe, soit quand il passe le fer, toutes ses facultés physiques et intellectuelles sont en jeu, la moindre distraction peut avoir des conséquences très graves. C’est, en outre, un métier très fatiguant. La position de l’ouvrier sur le métier est des plus pénibles. Il faut qu’il travaille des deux jambes, la poitrine appuyée contre le canard qui a la forme d’un demi cylindre. Chaque coup de battant et surtout de lui dit coup de dresse, répété à chaque fer, se fait durement sentir dans la poitrine. Si l’on faisait une enquête, je crois qu’elle démontrerait qu’il n’y a pas de profession qui fournisse autant de phtisie pulmonaire que le veloutier. »
Nous sommes encore loin en effet de la reconnaissance des maladies professionnelles. D’autres maux existent, liés aux conditions de travail. Et comme logement et atelier se confondent, les enfants du canut ne seront pas épargnés. On le verra quand j’évoquerais la crèche St Bernard.
J’ai donc privilégié l’année 1832 qui est celle de l’épidémie de choléra qui fera en France 100 000 morts dont 20 000 à Paris sur une population de 650 000 habitants. Ce que vont écrire pendant cette année là, les Canuts est d’autant plus intéressant que le choléra n’ira pas jusqu’à Lyon.

Quelle est la situation au XIXème :
Si la peste fut longtemps la première ambassadrice de la grande faucheuse, c'est le Choléra, " pathologie à progression brutale " qui terrorisa le XIXème siècle européen. Une peur d'autant plus forte que depuis la fin du XVIIIème régnait une sorte d'optimisme latent. En effet, la peste ne faisait plus parler d'elle depuis la dernière crise de 1720-1722. Les épidémies de dysenterie et de typhus se faisaient plus rares. La vaccination contre la variole annonçait des jours meilleurs. Enfin, la mortalité était réellement en baisse. Mais il restait un élément important : l’hygiène.
Or, si les progrès en matière de santé et d'espérance de vie entre le XIXe et le XXe siècles sont souvent portés au crédit de la médecine moderne, en particulier des vaccins et des antibiotiques, on oublie souvent que si ces armes ont été indéniablement décisives dans le combat contre les maladies infectieuses, celui-ci a été amorcé avant leur avènement : le XIXe a été marqué, dans les pays alors en voie d'industrialisation, par une révolution sanitaire sans précédent, où l'hygiène a joué - incontestablement - un rôle de tout premier plan. Dans les années 1800, variole, scarlatine, rougeole et diphtérie étaient des maladies si familières qu'elles étaient considérées comme des caractéristiques de l'enfance. Les épidémies de choléra et de paludisme étaient légion. Le typhus et la typhoïde menaçaient les pauvres, la tuberculose les riches comme les pauvres. Dans les pays occidentaux au début du XIXe, les " bonnes années ", sans épidémies d'envergure, le taux de mortalité était souvent quatre fois plus important qu'aujourd'hui. Dans l'Angleterre victorienne, par exemple, l'âge moyen des décès dans les populations urbaines défavorisées était de 15 ou 16 ans… Pour comprendre l'ampleur de la révolution qui s'est alors opérée, il faut rappeler les conditions de vie de l'époque . Ordures en putréfaction, déchets humains et animaux, carcasses mortes empilées, égouts à ciel ouvert : les rues étaient de véritables cloaques. Les cabinets étaient rares. Les pots de chambre étaient déversés dans les cours d'habitations. La puanteur était légendaire, surtout en été. Si l'étiologie des maladies infectieuses était inconnue avant la théorie des microbes de Louis Pasteur en 1878, un bons sens primaire associait néanmoins certaines conditions de vie à la morbidité. Odeurs fétides et miasmes étaient considérés comme la cause de la plupart des maladies qui prévalaient. "Saleté, pauvreté et maladie " formaient une triade logique. A ce propos on peu dire que ce n’est pas tout à fait un hasard si les immeubles ateliers se construisent en haut des pentes et sur le plateau croix-roussien. Certes il y là des terrains disponibles mais aussi d’avantage d’air chassant les miasmes. C’est une colline. D’ailleurs il semblerait que le prix de location soit plus élevé pour les Canuts du plateau que pour ceux des pentes aux rues plus étroites.C'est au milieu du XIXe que s'amorce dans les pays en voie d'industrialisation une véritable révolution sanitaire, avec une nette augmentation de l'espérance de vie suivi quelques décades plus tard par une chute considérable des taux de mortalité infantile. Trois phénomènes à ce crédit : l'amélioration de l'habitat et en conséquence, une réduction de la promiscuité; l'amélioration de l'alimentation grâce aux progrès de l'agriculture et de la technologie, et surtout l'amélioration de l'hygiène. Une des transformations socioculturelles majeures du XIXème siècle a été le changement de comportement dans l'hygiène personnelle, comprenant l'hygiène corporelle et le lavage du linge. Son origine remonte au début des années 1800.En Angleterre, par exemple, une coalition informelle d'activistes sociaux de réformistes, de médecins et de scientifiques commença dès lors à prôner une réforme sanitaire. Sous leur impulsion, la législation fut modifiée dans les années 1850 et 1860 : des autorités de santé publique chargées de la collecte des effluents, de la distribution de l'eau, du traitement de diverses nuisances environnementales, etc. furent créées (une décade plus tard en Amérique). Les pionniers de ce mouvement étaient de fervents défenseurs de l'hygiène personnelle. Les premiers efforts furent d'ailleurs la réduction de la taxe sur le savon (1833), la construction des bains publics et de blanchisseries pour les travailleurs à Londres (1844), puis à travers tout le pays. Les changements comportementaux vis à vis de l'hygiène corporelle, du nettoyage du linge et de l'hygiène domestique au cours du siècle, de même que le développement de l'hygiène environnementale, ont fortement contribué à l'importante réduction de la morbidité et de la mortalité observée dans les pays industrialisés au début du XXème.
Les canuts ne sont pas en retard sur cette prise de conscience. Bien au contraire. Dès qu’il publie l’information de la mort de Parisiens par le choléra, L’Echo de la Fabrique demande à Lortet de donner quelques conseils d’hygiène mais toujours avec de soucis d’être le porte-parole des tisseurs :
« Toutes les instructions officielles, populaires et autres sur les moyens à employer pour se préserver du choléra, nous recommandent les bains comme un moyen excellent.
Il n’y a pas de doute que maintenir la peau propre et la débarrasser des résidus de la transpiration, est le meilleur moyen d’entretenir l’activité de la vie à l’extérieur du corps, et de prévenir toutes les concentrations sur les organes intérieurs.
Il est bien facile de dire à l’homme riche : Baignez-vous. Mais nous, nous voulons faire de l’hygiène à portée de toutes les fortunes.
Autrefois les Romains construisaient des bains publics pour les habitants dont ils avaient conquis les villes : aujourd’hui, grâce à l’incurie et aux dilapidations de nos gouvernements, nous n’aurons bientôt pas de l’eau à boire. Si la sécheresse continue encore, la Saône ne sera qu’un ruisseau infect, et nos pompes seront taries.
A défaut de bains publics, l’ouvrier peut aller à la rivière ; mais sa journée se prolonge ordinairement si tard, que ce n’est guères que le dimanche qu’il peut jouir du bain. Lorsqu’il est déjà accablé de fatigues, il ne pourrait charrier l’eau nécessaire, pour remplir une baignoire. D’ailleurs où prendrait-il cette eau ? Et où prendrait-il la baignoire ?
Le vieux dicton Dieu donne de l’eau à tout le monde, est encore un reproche adressé à ceux qui négligent trop la propreté du corps, et la rareté de l’eau ne saurait excuser la saleté qui couvre la figure de tant d’enfants.
Voici le moyen que je propose pour remplacer le bain. Il faut prendre une grosse éponge ou un linge de coton qui retienne beaucoup d’eau, et se faire, pendant cinq minutes ou plus longtemps, des lavages sur tout le corps, depuis la tête jusqu’aux pieds : les répéter jusqu’à ce qu’on se sente bien rafraîchi. Il ne faut pour cela qu’un litre d’eau.
Ces lotions seront faites, le matin ou le soir ; cependant l’ouvrier s’en trouvera mieux le soir, surtout s’il ne se couche pas de suite après le souper. Elles auront l’avantage d’enlever la sueur du jour, de le rafraîchir, de le délasser et de lui procurer un sommeil plus calme.
Ceux qui auraient éprouvé quelquefois des douleurs de rhumatisme, devront, après les lotions, s’essuyer, se frotter fortement avec un linge rude et se coucher de suite.
Dans les jours plus froids, et lorsqu’on n’est pas encore habitué à ces lotions, on pourra faire tiédir l’eau ; mais au bout de trois ou quatre jours, et dans toutes les saisons, on les supportera à l’eau froide (non pas sortant du puits), et elles valent mieux.
Si le choléra ne vient pas nous visiter, et que nous n’ayons rien à faire pour nous en préserver, ce moyen sera toujours excellent pour entretenir la santé dans toutes les saisons, et surtout pendant les chaleurs.
Dans ce moment, beaucoup d’ouvriers boivent beaucoup d’eau de réglisse (tisane de polisson) et en donnent à leurs enfants : nous leur conseillons de la couper avec une infusion de graines de fenouil. »
Un peu plus tard, un second article sera encore plus complet
« Au moment où le choléra semble reprendre une nouvelle énergie et faire plus de progrès, au moment où les fruits deviennent abondants, et où l’abus qu’on en fait peut prédisposer à cette funeste maladie, nous croyons de notre devoir de donner quelques conseils à nos lecteurs.
L’usage modéré des fruits bien murs, joint à d’autres aliments, ne peut pas être nuisible. Malheureusement quelques ouvriers sont obligés d’en composer la plus grande partie de leur nourriture, et comme ils sont forcés d’aller à l’économie, ils achètent des fruits qui ne sont pas de la première qualité et souvent n’ont pas atteint leur degré de maturité.
Nous leurs conseillons donc de les manger autant que possible cuits. Tous sont bons cuits, et la préparation en est simple. On les fait cuire avec de l’eau, de manière à ce qu’il reste toujours un peu de sauce ; on y ajoute (afin qu’ils digèrent mieux) un peu de cannelle ou ce qui est moins cher, un petit sachet de graines de fenouil. On peut aussi, vers la fin de la cuisson, ajouter une goutte de vin. On verse le tout sur des tranches de pain. On les mange froids ; chacun peut selon son goût ou ses moyens y ajouter du sucre. Les cerises douces (telles que les bigarreaux) n’exigent point de sucre, non plus que les petites mérises. Les abricots sont beaucoup plus acides ainsi que les prunes dont les meilleures pour cuire sont les violettes longues. Les poires et les pommes d’automne ne peuvent se cuire sans sucre. Les pêches ont beaucoup plus d’acide. Tous ces fruits sont beaucoup plus doux si on les fait cuire sans la peau, qui d’ailleurs digère toujours difficilement.
On peut encore prendre de la pâte de pain de l’épaisseur d’un pouce, lorsqu’elle est lavée la couvrir de ces fruits coupés en morceaux, et faire cuire le tout au four comme une tarte.
Cet usage de manger tous les fruits cuits est surtout très répandu dans le nord de la France et de l’Europe où souvent ils ne mûrissent pas aussi parfaitement que dans nos contrées ».
Conseils bien sûr, mais ce journal est aussi une force d’avancées sociales. Ne pas l’oublier, c’est la caractéristique du journal : A partir des événements, faire avancé les progrès social. Il va se féliciter de certaines dispositions que prennent les soyeux en rassurant avec un humour noir qu’il ne craint pas d’afficher :
« les cages et le choléra.
Le choléra est un fléau ; Dieu nous garde de nous rire de lui, surtout lorsqu’il est notre proche voisin. Cependant nous ne conseillons pas à nos lecteurs de s’en effrayer, et si les riches font leurs paquets, si l’émigration est résolue de la part des financiers ; que les industriels vaquent à leurs travaux avec calme ; le fléau ne reconnaît point d’inégalité ; il frappera aussi bien le riche dans sa fuite que le pauvre au seuil de sa demeure.
Nous devons à notre tour calmer l’inquiétude de la classe qui nous intéresse ; les feuilles publiques, en général, donnent le choléra comme n’attaquant que les classes pauvres, nous pouvons prouver le contraire ; en Pologne, en Russie, des grands de la cour, des ducs, des barons en sont morts, et le vainqueur des Balkans, celui qui devait faire avec ses Cosaques une promenade militaire jusqu’à Paris, a succombé frappé par le choléra dans cette Pologne qu’il n’avait pu vaincre.
Le choléra a, dit-on, déjà amené des améliorations parmi nous, et comme dit le proverbe, à quelque chose malheur est bon. Aussi plusieurs négocians ont fait élargir les cages de leurs magasins ; d’autres les ont rendues plus saines par des courants d’air, on en cite même qui ont placé, dans ces lieux autrefois insalubres, des vases de chlorure de chaux. Vous voyez pourtant ce que c’est que l’empire de la peur ! Philosophes, ventez la morale, c’est bien sans doute ; hommes compatissants, ventez la philanthropie, c’est encore bien, mais tout cela n’est rien en comparaison de la peur…
La morale, la philanthropie réclamaient depuis longtemps ces améliorations, il n’en était rien. Le choléra paraît en France, et voilà que la peur fait plus que les réclamations faites par des milliers d’ouvriers, voir même les critiques sévères des journalistes.
Mais surpris de ce changement subit, chacun se dit, est-ce pour les ouvriers qu’il a eu lieu, afin de les préserver du fléau, ou, est-ce de peur que ces ouvriers, la plupart indigents, n’apportent l’épidémie à messieurs du magasin ? Je ne sais, mais cette dernière version est la plus accréditée. N’importe, nous félicitons ceux qui, par mesure sanitaire, ont aéré leurs cages ou les ont fait élargir. Nous pensons que si le fléau nous visite, ce que certes nous ne souhaitons pas, on les fera disparaître tout à fait, et peut-être par pudeur on n’osera pas les rétablir. Les ouvriers dont les réclamations contre ce genre de prisons avaient été infructueuses, se rappelleront du passage du choléra, et répèteront avec nous : à quelque chose malheur est bon. »
Toujours cette volonté. Ainsi le rédacteur en chef, Marius Chataing rédige plusieurs articles mettant en perspective les enjeux de l’époque :

« Sur le choléra :
Alerte ! Alerte ! Citoyens, garde à vous ! L’ennemi s’approche. Ce ne sont pas vos souscriptions fastueuses qui le conjureront. Hommes riches, qui dans ces jours de détresse croyez être quittes envers vos compatriotes par le don de quelques écus, don qui n’effleure même pas votre luxe, il faut opposer à cet ennemi une barrière plus forte et journalière. L’amélioration physique de la classe pauvre, c’est là le cri de la société ! Il faudra bien qu’on l’entende. A l’ouvrage donc, citoyens de toutes classes : formez des associations pour vous secourir lors de la terrible invasion. Et vous, magistrats, soyez à la hauteur de votre mandat, visitez ces maisons qu’habite une population immense d’ouvriers, assainissez-les, et que tout ce qui ne pourra pas l’être tombe impitoyablement sous le marteau ; élargissez ces rues fétides ; supprimez ces cloaques habités par la misère : que l’incurie ou l’avarice sordide d’un propriétaire ne soit plus un obstacle ; marchez au nom de la loi, au nom du salut commun.
Informez-vous aussi des moyens d’existence de ce peuple confié à vos soins. Est-il vêtu et nourri comme un homme doit l’être en travaillant ? A-t-il du travail, un salaire suffisant ? Ah ! Croyez-moi, ce n’est pas par goût que le prolétaire est couvert de haillons ; ce n’est par goût qu’il se nourrit d’aliments malsains et indigestes. Le choléra approche, donnez à la population ouvrière de quoi faire face et combattre avantageusement le fléau dévastateur dont elle est la première victime.
Le fameux Barrère disait que pour connaître un vrai patriote il fallait attendre sa réponse à cette question : Au cas de contre-révolution qu’as-tu fait pour être pendu ? Eh bien ! Magistrats, il faut qu’à la sortie de ses fonctions chacun de vous redevenu simple citoyen puisse répondre sans rougir à cette question : Qu’as-tu fait pour le peuple ? »
Dans un autre article, il part de l’état de l’activité de l’industrie de la soie :
« La fabrique de Lyon qui semblait reprendre de l’activité, retombe d’une manière effrayante. On peut en juger par la différence du nombre de ballots de soie qui ont passé à la Condition : du 1er au 15 avril il n’y est entré que 160 ballots, à peu près le quart de la dernière quinzaine de mars. Ces résultats n’ont rien qui se rattache à la politique ; le fléau qui nous menace et qui ravage la capitale en est la seule cause. Si l’épidémie ne disparaît bientôt de nos contrées, si, au contraire, elle envahit notre ville, il faut s’attendre que la misère, s’unissant à ce terrible fléau, fera des ravages incalculables. »
Il en appelle aux autorités en soulignant adroitement les intérêts des négociants soyeux mais aussi de l’ensemble de l’économie nationale :
« Il nous semble que l’autorité locale, qui connaît la position de la classe ouvrière de notre ville, pourrait faire des démarches auprès du gouvernement, pour obtenir de prompts secours pour elle. Il nous semble qu’elle doit aviser au moyen de préserver cette cité, dont l’industrie manufacturière est un principe vital pour la France, d’une destruction complète ; car, qui pourrait calculer les malheurs, sous les rapports industriels, que peut éprouver une population immense sans travail, et par conséquent sans pain, livrée au plus terrible des fléaux et mourant décimée par la misère et le choléra !…
L’épidémie ne nous a pas encore envahis ; mais son avant-coureur est la misère. Les ouvriers de Lyon, dont l’espoir commençait à renaître, se voient retomber dans une position pire que celle où ils étaient ; si on ne prend point tous les moyens pour les secourir, le découragement s’emparera d’eux, et cela pourrait hâter la présence du terrible fléau. Que le gouvernement fasse tous ses efforts pour éviter leur ruine totale, et nous et eux bénirons ceux qui préserveront notre ville de tant de calamités.
Il est une classe qui peut beaucoup sur le moral des travailleurs, c’est celle des négocians ; en s’imposant quelques sacrifices, en pensant que les ouvriers peuvent leur rendre un jour ce qu’ils feront aujourd’hui pour eux, en leur donnant enfin du travail sans en diminuer les prix, afin que les ouvriers puissent subvenir aux besoins de leur famille ; ils ne seront pas seulement humains, mais ils auront bien mérité de leurs contemporains, en préservant la cité la plus commerçante du royaume d’une décadence complète. Ce n’est pas quand le choléra fera ses ravages parmi nous, qu’il faudra penser aux préservatifs, c’est avant son apparition ; et le meilleur préservatif pour notre populeuse cité, c’est d’en écarter la misère, c’est d’adoucir le sort de ces milliers de familles qui ne vivent en travaillant que du jour à la journée ; c’est enfin en leur procurant le moyen d’éviter, par un travail régulier et un gain raisonnable, cet état de dénuement qui sert d’auxiliaire à l’épidémie. »
Il en profite même pour remettre sur la table une décision qu’avait prise Napoléon en sont temps quand il avait obligé sa cour à porter des vêtements de soie :
« Des personnes notables de notre ville parlaient un temps d’ouvrir des souscriptions, avec lesquelles on aurait fait fabriquer des étoffes de soie ; on parlait aussi d’une société qui voulait se former dans le but de donner de l’activité à la fabrique, en imposant à chaque sociétaire le devoir de porter pour vêtement de l’étoffe sortie de nos manufactures ; c’est aujourd’hui qu’on devrait mettre tous ces moyens à exécution. Ces moyens n’ont rien que d’honorable, et ceux qui prendraient l’initiative, seraient sûrs de la reconnaissance d’une immense population. La France entière ne tarderait pas de s’associer à cet œuvre philanthropique, et notre ville échapperait par là aux désastres qui la menace.
Nous invitons donc tous ceux qui peuvent contribuer à préserver les ouvriers de Lyon de tant de maux, d’unir leurs efforts. Que les autorités locales et le gouvernement emploient des moyens décisifs pour venir aux secours des malheureux ; que les riches secondent ces autorités dans leurs louables efforts, et on aura trouvé le meilleur préservatif, le meilleur état de salubrité en écartant la faim de la demeure des travailleurs, et ce sera peut-être le plus sûr moyen de préserver notre cité du choléra. »

Les rédacteurs de l’Echo de la Fabrique, parce qu’il y a une demande de la part de ses lecteurs, tisseurs sur soie, ne craint point de donner des information sur ce qui se fait pour combattre l’épidémie à l’étranger, notamment quand les moyens employés rejoignent ceux qu’ils préconisent. Il ne faut oublier que le droit d’associations n’existe pas, il a été supprimé à la Révolution et qu’il n’est toléré que des associations de moins de 20 personnes. Nous sommes en 1832, en 1834, cette « tolérance » sera supprimée. Chez les Anglais par exemple :

« Le peuple anglais est le plus avancé de tous les peuples dans le système des associations. Naturellement sombres et pensifs, ces insulaires semblent ne trouver de plus grand plaisir que celui de faire partie des associations philanthropiques. Pour se trouver à une assemblée, ils oublient leurs affections, et même leurs intérêts particuliers ; leur seul désir est celui de contribuer de tous leurs moyens au bien-être de leur nation, et partant de leurs compatriotes. »
L’Echo de la Fabrique enfonce le clou à l’égard des du pouvoir :
« De cet esprit d’association, sont nées ces grandes entreprises industrielles et commerciales qui mettent les Anglais à même d’exporter leurs produits dans tout l’univers. De même, et à l’exemple des commerçants, les industriels ont formé des associations sous divers titres. La ville de Londres compte plusieurs de ces sociétés ; chacune d’elles a son journal qui est son organe particulier et traitent de ses intérêts ; l’une d’elles, enfin, compte plus de cent mille sociétaires. Depuis son existence, elle a pourvu aux besoins de tous ses membres, et en même temps, elle a réalisé un fond de réserve de plusieurs millions. Le journal de cette société, compte 25 mille abonnés environ. Des sociétés semblables sont établies dans toutes les villes industrielles, et pour chaque industrie. A Manchester, ville manufacturière qui, par sa population et son commerce, peut être comparée à Lyon, on compte plusieurs associations de ce genre ; la plus nombreuse est celle des ouvriers tisseurs, qui est aussi parvenus à amasser un fonds de réserve considérable. Elle a aussi son journal spécial qui compte près de 4,000 souscripteurs. Les moyens de correspondance et de communication de ces sociétés, sont si bien réglés que, dans quelques heures, tous ceux qui en font partie, sont instruits des nouvelles qui peuvent les intéresser. »
Il enfonce le clou également à l’égard des politiques
« Le gouvernement a toujours favorisé ces associations, il les regarde comme un besoin naturel et une source indispensable de prospérité pour le pays. On se ferait difficilement une idée des améliorations qu’ont introduites les associations, soit pour le perfectionnement de l’industrie, soit sur le moral et le bien-être des individus. »
Puis il revient à la situation créée par l’épidémie :
« Lors de l’apparition du choléra-morbus, à Londres, des membres des sociétés s’assemblèrent, et résolurent unanimement de faire tous leurs efforts, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour arrêter ce fléau destructeur. Chaque assemblée nomma de suite plusieurs membres, et de différents quartiers, pour aviser à tous les moyens de propreté et de salubrité, que pouvait exiger l’intérieur des bâtiments. On rapporte même, que plusieurs de ces membres poussèrent leurs soins jusqu’à faire des visites dans les tavernes, où ils engageaient amicalement les habitués de ces lieux, à ne pas faire des excès, mais à prendre toutes les précautions possibles pour se garantir de l’épidémie, et leur en indiquaient les moyens. C’est à ces soins tous paternels, si bien distribués et si bien entendus que, sans nul doute, la ville de Londres qui est un tiers plus peuplée que Paris, doit le peu de ravages qu’a fait le choléra ; puisque dans cette ville, l’épidémie a enlevé moins de monde en trois mois, que dans une semaine à Paris. Ainsi, les associations sont le soutien de la nation anglaise, et peut-être que sans ce principe, ce pays serait livré à l’anarchie. Aussi les lords, les commerçants et enfin tous les philanthropes encouragent-ils les associations de tout leur crédit, et les regardent comme le seul moyen d’assurer la prospérité de leur pays. »
C’est une analyse fine que fait ici l’Echo de la Fabrique. Il n’est pas dupe que le modèle anglais n’est pas non plus la panacée :
« Nous ne voulons point parler de ces administrations de bienfaisance, établies dans tout le royaume, et pour lesquelles l’état perçoit un impôt, sous le nom de taxe des pauvres. Cette taxe, indispensable en Angleterre, par la cherté des vivres, répugnerait au caractère français.
Sans doute, nous ne devons pas être les imitateurs serviles des Anglais, mais, lorsque l’intérêt de notre pays commande que nous recherchions tout ce qui peut le préserver du fléau qui le menace, nous ne devons point craindre d’emprunter à nos voisins, ce qui peut nous être utile à cet égard. »

Et comme toujours le lien est fait avec ce qui se passe à Lyon :
»Nous pouvons donc assurer, que depuis la nouvelle de l’invasion du choléra, plusieurs personnes avaient conçu, à Lyon, des idées semblables à celle des Anglais. Au moyen d’une faible rétribution des habitants de chaque quartier, on pourvoirait aux dépenses d’assainissement, lavages et arrosages d’eau chlorurée, ou tout autre préservatif commandé par les intendants sanitaires.Par ces associations, les hommes les plus zélés et les plus philanthropes se feraient un devoir de faire exécuter toutes les mesures d’assainissement, telles que réparations des pompes et des fontaines, des égouts d’éviers et des latrines, qui pour la plupart, dans les maisons habitées par les ouvriers, sont encore des lieux dégradés et infects, capables d’engendrer tous les germes de l’épidémie. »

Autre article, autre exemple que le journal va reproduire emprunté à une revue « Le Journal des Connaissances » qui va créer une caisse commune de prévoyance. De quoi réjouir les Canuts.
« formée a l’occasion du choléra-morbus.
À tous les correspondants et souscripteurs du Journal des connaissances utiles.
1° Il est formé une caisse commune de prévoyance par les membres de la société pour l’émancipation intellectuelle, souscripteurs du Journal des connaissances utiles, dans le cas où la mort imprévue d’un certain nombre d’entre eux, frappés par le choléra-morbus, laisserait un père ou une mère infirme, une veuve dépourvue de secours ou des enfants orphelins ;
2° Le fonds commun est fixé à cent mille francs ;
3° La cotisation pour chaque membre ou souscripteur est de un franc.
Au 2 mai, les premiers versements faits parmi les personnes attachées à l’entreprise du journal, se montaient à 2,450 fr.
Ce projet qui sera public en entier dans la livraison de mai du Journal des connaissances utiles, a malheureusement conservé tout son à-propos, quoiqu’il puisse paraître tardivement reproduit. L’épidémie a cessé de désoler Paris, mais elle inquiète les départements, moins encore peut-être, ceux où elle a séjourné, que ceux qu’elle n’a pas visités. Au surplus, le titre de prévoyance, ajouté à celui de caisse commune, donne à cette utile création un intérêt non temporaire, qui sera d’autant mieux apprécié, qu’il peut subvenir des circonstances critiques. »
Ce travail de journaliste les conduit ainsi à être attentif à tout ce qui se publie. Et c’est l’occasion pour eux quand les écrits de certains leur paraissent farfelus de répliquer vertement. Voilà par exemple ce qu’écrit le journal Le Revenant qui publie l’extrait d’une lettre de Lyon. Cet extrait est rapporté par la Gazette du Lyonnais.
« Depuis l’invasion du choléra-morbus, à Paris, la population se porte en foule et en pèlerinage à la montagne sur laquelle est située l’église de Notre-Dame de Fourvière. La classe ouvrière s’y fait surtout remarquer par la ferveur de ses sentiments religieux.
« Mon Dieu ! S’écrient les braves canuts, dans leurs prières, et tout haut, nous n’avons pas chassé notre roi ni notre archevêque, nous n’avons pas pillé les églises ni renversé les croix. Mon Dieu, ayez pitié de nous, et préservez-nous de la peste de Paris. »
Le commentaire ne se fait pas attendre :
« Voilà le langage que les feuilles d’un régime passé prêtent à nos ouvriers en soie, à ces hommes assez éclairés pour reconnaître de faux amis, qui les trouvent religieux aujourd’hui, et qui sous les missions du gouvernement déchu les traitaient d’impies, de réprouvés. Sans doute nos ouvriers sont religieux, mais sans superstition ; ils rougiraient de mettre en action les momeries qu’on leur prête, et si les feuilles des jésuites s’amusent à les montrer ridicules, qu’elles seront toujours pour la classe industrielle de Lyon, des objets dignes de mépris. Nos ouvriers en soie restent dans leurs ateliers, et ne vont pas en foule à Notre-Dame de Fourvière accuser leurs frères de Paris ; ils sympathisent trop avec eux ! » Solidarité prolétarienne, recherche de la vérité, solidarité quelque soit le problème à résoudre, interpellation des pouvoirs, désir fort de savoir, une grande curiosité de ce qui se passe dans le monde, soucis de faire progresser l’industrie de la soie, l’apport social et aussi humaniste des canuts par l’intermédiaire de leur journal est considérable. Ce n’est qu’un survol et je vous engage à lire les numéros parus de 1831 à 1834. Ils peuvent aider à mieux comprendre les problèmes d’aujourd’hui et peut-être même contribuer à trouver des solutions adaptées à notre siècle.