samedi 27 décembre 2008

Novembre des Canuts

Le 22 et 23 novembre 2008 a eu lieu une manifestation commémorant la révolte des Canuts de 1831. Un numéro 0 qui a confirmé ce que nous ressentions au moment de la mise en route de ce projet. Cette période de l’histoire des tisseurs de soie passionne. La conférence de Ludovic Frobert, les extraits de la pièce de théâtre Eloge des Canuts ont été suivis par une centaine de personnes. Dimanche matin plus de 80 personnes ont effectué le trajet sur les pas des Canuts ponctué d’interventions de la compagnie du Chien Jaune. L’après-midi un public nombreux, entre 80 et 100 participants, a pris part au débat de haute tenue sur les publications syndicales et écouté l’association Musicale Populaire de Lyon. Ajoutons les visiteurs de l’exposition que nous n’avons pas comptabilisés.
Un succès et un encouragement qui nous obligent à préparer dès maintenant l’édition 2009 du Novembre des Canuts. Les bases de cette manifestation ont été affirmées les 22 et 23 novembre. Nous les rappelons : L’épine dorsale est l’Echo de la Fabrique, le programme doit être à la fois culturel, ludique, informatif, historique et montrer le lien qui existe entre les combats, réflexions, suggestions et analyses des Canuts des années 1830 et ceux d’aujourd’hui. Ce projet porté conjointement par la Compagnie du Chien Jaune et Robert Luc, ne saurait déroger à ces fondements. Par contre, dans ce cadre, toutes les idées, toutes les compétences, les disponibilités sont les bienvenues. C’est pourquoi nous lançons la première réunion de ce collectif dès ce mois de décembre.
Toutes les personnes intéressées par cette manifestation et voulant être tenues au courant de sa préparation peuvent prendre contact avec :
Compagnie du Chien Jaune
7 rue Justin Godart 69004 Lyon
Tél : 04 72 00 84 63
Cie.chienjaune@free.fr
Robert Luc
34 rue Henry Gorjus 69004 Lyon
Tél : 04 78 27 11 51
anne.weyer@neuf.fr

Le Tarif et les canuts

On sait que la revendication, l’établissement d’un tarif écrit et augmenté, a été à l’origine de la révolte de novembre 1831. On sait également qu’elle n’a pas été satisfaite. Cette revendication a-elle complètement disparu ? Non si l’on s’en réfère à ce texte :
Extrait du livre de J-S Lapierre et Emile Leroudier « Historique de la Fabrique Lyonnaise de Soieries » édité par « La Soierie de Lyon » publications Pierre Argence, 285 avenue Jean-Jaurès Lyon (pas de date d’imprimerie mais l’on peut considérer que cet ouvrage paru autour de 1924, dernière date citée dans l’ouvrage.) Emile Leroudier, adjoint au maire, véritable auteur de la Plaisante sagesse lyonnaise et vice président des Amis de Guignol, est mort en 1937.
« En 1864 le gouvernement impérial annule les lois du 16 février 1791 supprimant les jurandes et corporations, et celle du 14 juin de la même année interdisant les coalitions professionnelles. Ils autorisent les chefs d’ateliers et les ouvriers à se concerter pour discuter de leurs intérêts sous la condition qu’ils n’exerceront ni violences ni menaces portant atteinte au libre exercice de l’industrie et du travail. Ceux-ci en profitent immédiatement pour établir eux-mêmes un nouveau tarif car depuis 1831 ils sont retombés presque entièrement sous le pitoyable régime du marchandage. »

Les Canuts et Jacquard

Le 28 septembre 1834, Marius Chastaing, dans le numéro 2 de la Tribune Prolétaire, écrit :

"JACQUARD.
Il ne fut pas savant, mais il eut du Génie. Le propre du Génie est de planer au-dessus des Sciences ; car il est une inspiration providentielle, une mission d’en haut.
M. GROGNIER, Disc. Funéraire.
Joseph-Marie JACQUARD est mort à Oullins le 7 août dernier à 1 heure du matin, il était né à Lyon le 7 juillet 1752. Son père Jean-Charles Jacquard était maître ouvrier en étoffes, d’or, d’argent et de soie ; sa mère Antoinette Rive Antoinette, liseuse de dessins ; son aïeul fut Isaac-Charles Jacquard, habitant et tailleur de pierre de Couzon. Jacquard fut d’abord apprenti relieur ; mais son goût l’entraîna bientôt vers la mécanique appliquée au tissage de la soie, il fut loin de retirer de ses premiers essais la gloire qui, plus tard, l’a récompensé de ses nobles travaux. Des tracasseries sans nombre furent son partage. Nous aurions voulu les taire pour l’honneur de l’humanité ; mais nous devons au contraire les rappeler pour soutenir le génie chancelant prêt à se rebuter et lui montrer que la consécration de ses efforts se trouve infailliblement dans la persévérance. La vie de Jacquard n’a rien de remarquable ; proscrit à la suite du siège de Lyon, en 1793, sa maison fut livrée aux flammes ; mais il échappa au danger par le dévouement de son fils qui l’appela auprès de lui et le plaça dans les rangs des défenseurs de la patrie. Peu de temps après, le fils de Jacquard expira entre les bras de son père, de la mort d’un soldat, sur le champ de bataille combattant l’ennemi. Jacquard revint à Lyon, lorsque la tourmente révolutionnaire fut apaisée, et se livra à ses occupations favorites. Sa vie fut simple, pénible et laborieuse, elle fut celle d’un citoyen vraiment patriote dans l’acception la plus étendue ; moins patriote, Jacquard eut écouté les offres séduisantes de 1’étranger ; elle fut celle d’un ouvrier, d’un prolétaire. Nous l’avons dit, Jacquard éprouve de nombreuses contrariétés avant de parvenir à faire adopter la machine ingénieuse qui porte son nom. Un homme moins profondément pénétré de son idée y aurait renoncé, il ne se rebuta pas et bientôt Napoléon devint son protecteur ; le grand homme savait porter un coup d’œil rémunérateur sur toutes les parties de son vaste empire. La machine Jacquard fut adoptée universellement ; de cette époque date une ère nouvelle pour l’industrie.
Aussi modeste et patriote dans la bonne fortune que dans la mauvaise, Jacquard ne crut pas que l’or devait seul payer les travaux du génie. La décoration de la Légion d’honneur qui alors méritait vraiment ce nom, une simple pension furent les seules récompenses matérielles qu’il obtint et il en fut satisfait ; sans doute il n’ignorait pas qu’une autre lui était acquise bien plus belle, car elle survit à l’homme. Cette récompense, c’est un nom immortel. Le nom de Jacquard ne périra pas.
Ce n’est pas seulement dans les fastes de l’industrie que le nom de Jacquard sera répété d’âge en âge, mais aussi dans ceux des bienfaiteurs de l’humanité. Si cette race d’hommes étiolée, souffrante et rachitique, ayant des mœurs, une physionomie, un langage à part, race destinée à la privation des jouissances de la vie, dévouée au supplice de la mort lente des hôpitaux, si cette race a disparu, c’est à Jacquard que nous le devons, hâtons-nous de le proclamer. C’est à la suppression des machines que la fabrique employait avant la découverte de Jacquard, qu’il faut attribuer, l’amélioration physique que les ennemis mêmes de la classe ouvrière reconnaissent avec un secret dépit ; car ils n’ignorent pas que de cette amélioration physique est née une amélioration morale, et que de l’une et de l’autre combinées surgira L’EMANCIPATION.
Notre récit a été simple comme la vie de Jacquard. Ici notre tâche devient pénible, il nous faut raconter ses derniers moments. Consolons-nous, Jacquard a dû payer le tribut que l’humanité doit à la nature. Il s’est éteint à 82 ans, sans avoir ressenti les infirmités compagnes trop ordinaires de la vieillesse. Un cortège nombreux qui l’aurait été bien davantage, si le temps eut permis d’avertir les Lyonnais, a suivi, à sa dernière demeure, l’homme du progrès, le citoyen utile. Des discours ont été prononcés sur sa tombe par M. BEZ, curé d’Oullins, M. PICHARD D. M. allié du défunt et M. GROGNIER, secrétaire de la société d’agriculture et arts utiles de Lyon, dont nous avons oublié de dire que Jacquard était membre. M. BONAND, négociant, a consenti, au nom de ses confrères, l’engagement de concourir à l’élévation d’un mausolée en l’honneur de cet industriel. Cette pensée est réalisée ; le conseil des prud’hommes a pris une initiative qui lui appartenait et a décidé, le 26 août, l’érection d’un monument funéraire. Espérons que les vœux des souscripteurs seront bientôt remplis.
Félicitons-nous des honneurs rendus à la mémoire de Jacquard, car ils rejaillissent sur la classe dont il faisait partie, nous y puisons d’ailleurs un haut enseignement moral. Jusqu’à ce jour la vanité bourgeoise, l’esprit de caste ou de coteries avaient fait le plus souvent les frais des apothéoses nécrologiques. Ici, c’est un homme du peuple auquel des hommes d’une classe réputée supérieure rendent dommage. Nous sommes heureux de voir accorder à ces hommes d’élite, en la personne de l’un d’eux, la distinction sociale, que l’envie, la morgue aristocratique, les passions haineuses et cupides leur disputent de leur vivant. Il est temps que l’artisan habile, l’ouvrier de mérite, dont les bras nerveux et les mains dures, soumis à l’action d’une intelligence supérieure, se sont épuisés à produire utilement et sans cesse, aient aussi, après leur mort, une voix qui redise leurs fatigues et leurs travaux. Cette tâche religieuse, c’est aux amis du peuple, aux prolétaires comme eux à s’efforcer de la remplir. Essuyons la noble sueur qui découle du front des travailleurs.
L’académie de Lyon vient de mettre au concours l’éloge de Jacquard. Nous l’espérons ce noble appel sera entendu et que notre estimable concitoyen trouvera un panégyriste digne de lui. L’histoire ingrate et peu conséquente a conservé la mémoire des dévastateurs du monde, des brigands célèbres ; elle a laissé dans un oubli coupable, irréligieux, la mémoire des citoyens utiles, des hommes de bien. Que cette abominable partialité cesse pour l’avenir. Il est plus glorieux de travailler dans sa sphère quelque obscure qu’elle soit au bien-être de ses frères, à l’avantage du genre humain, par le développement des sciences et arts, par les travaux du génie, par la pratique des vertus, que d’ensanglanter la terre, d’égorger les hommes et d’incendier les villes.
Jacquard doit être immortel !!!"

mercredi 28 mai 2008

Contribution pour connaître le véritable esprit des canuts des années 1830

Les canuts oeuvrent dans une industrie de produits de luxe. Pourtant cela ne les empêche pas de porter un regard critique sur les manifestations qui promeuvent ces articles comme l’exposition de 1834. Ils le font à leur manière en reprenant un article paru dans le journal « Peuple Souverain », journal républicain, afin de le faire connaître aux lecteurs de l'Echo de la Fabrique.
LES EXPOSITIONS DES PRODUITS DE L’INDUSTRIE.
Tous les journaux ont annoncé une exposition des produits de l’industrie française, fixée au mois d’avril prochain. Nous pensons que notre ville, qui compte peu de rivales en industrie, ne sera pas la dernière à répondre à cet appel.
Le peuple y gagnera-t-il quelque chose ? L’expérience que l’on a tirée des expositions passées, ne nous en laisse guère l’espoir. A cet égard nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en leur mettant sous les yeux les réflexions suivantes que nous empruntons au Peuple Souverain :
« Il faudrait un volume pour énumérer toutes les vanités que soulèvent ces sortes d’expositions et le peu de résultats qu’elles procurent.
« Nous n’avons presque jamais vu aucun de ces intéressants producteurs des objets les plus nécessaires au peuple, obtenir des médailles ou des encouragements, la faveur en dispose d’ordinaire, veut-on savoir pourquoi ?
Parce que l’industriel, qui cherche moins encore à éblouir les yeux et à favoriser le luxe qu’à vêtir commodément, chaudement ou économiquement la classe la plus nombreuse des consommateurs, ne se hasarde pas à envoyer à l’exposition un échantillon de ses draps ou de ses tissus de coton, peu apparents, mais de bonne qualité et à bon marché, bien persuadé qu’il est que rien dans ses produits ne flattant les yeux, on n’ira pas s’enquérir si, par des procédés plus ingénieux ou par une plus grande économie, il est parvenu à produire le même objet à 10, 15 ou 20 p. % de moins.
Mais qu’un célèbre fabricant ait exposé un riche tissu de cachemire, une belle mousseline blanche ou peinte, ou une superbe étoffe de soie brochée d’or et d’argent, oh ! Alors, chacun d’admirer ; et sans qu’on daigne s’informer de l’utilité de ces produits et de la quantité qu’on en peut consommer, le fabricant est sûr d’obtenir des médailles, des encouragements, l’honneur même d’être complimenté par sa majesté, et la décoration par-dessus le marché.
Combien de temps encore aurons-nous à signaler ces funestes erreurs, et quand verrons-nous la véritable richesse reconnue où elle est, et non dans ces brillants colifichets qui servent tout au plus à parer quelques opulentes héritières, et dont la consommation annuelle égale à peine celle d’un jour de nos plus modestes tissus ?
Que l’on ne croie pas pour cela que nous n’ajoutons aucun prix aux brillants produits dont quelques fabricans distingués ont enrichi notre industrie ! Loin de là, nous estimons que tous ceux qui peuvent trouver un placement qui dédommage des frais de production, créent toujours une nouvelle source de richesse profitable au reste de la nation.
Mais ce dont nous nous plaignons, c’est que pour être bien vue à l’exposition, il faille que la fabrication emprunte des habits du dimanche et l’appareil des fêtes ; ce que nous regrettons, c’est la fausse direction qu’une routine ignorante et vaniteuse imprime à l’industrie française, nous désirerions au contraire que cette faveur, si elle est inévitable, fût accordée aux produits les plus simples, à ceux dont la consommation est la plus générale, afin de stimuler le zèle des producteurs à les améliorer, tant pour la qualité que pour la réduction des prix.
Si au lieu de ces étalages de luxe, on encourageait une grande exposition européenne où les produits les plus communs de nos voisins viendraient se ranger à côté des nôtres, un tel acte serait vraiment grand et utile. Le consommateur, ayant plus d’objets de comparaison, en deviendrait plus difficile ; le producteur, dont l’intérêt est de toujours tenter de multiplier ses débouchés, voyant les obstacles qu’il a à surmonter, s’efforcerait d’égaler ses rivaux ; et la nation gagnerait en richesses tout ce que les progrès de l’art et du temps auraient ajouté de perfectionnement à l’industrie.
Mais, qu’on ne s’y trompe point, ce n’est pas sur les produits d’un haut prix que le gouvernement doit porter sa plus vive sollicitude. Sans doute il est bon que nos filateurs de laine et de coton essaient de filer les numéros les plus élevés ; mais si l’on songe à la petite quantité qui s’en consomme par rapport à ceux qui servent à tisser les calicots et les draps ordinaires, on verra quels sont ceux qui méritent le plus d’intérêt.
Il serait bien plus agréable à la nation d’apprendre qu’un manufacturier de l’Alsace est parvenu à tisser un calicot ordinaire à dix pour cent meilleur marché, que de savoir si l’on a fait avec nos fils une de ces percales dont la finesse étonne l’œil.
Il vaudrait mieux donner aux fabricans de Rouen les moyens de soutenir la concurrence de la Suisse, qui, sans aucune prime d’exportation, offre ses tissus à 10 et 15 pour 100 au-dessous de ceux de cette fabrique.
Il serait mieux aussi de procurer aux fabriques de St Etienne les moyens de produire aux prix d’Eberfeld les nombreux articles de quincaillerie commune qui sont d’un usage journalier, que d’encourager la production de ces brillantes superfluités, appelées métaphoriquement nécessaires, qui ne sont à la portée que de quelques puissants du siècle.
Le pouvoir, en France, a toujours eu la manie des représentations théâtrales, des écoles spéciales, des administrations dispendieuses ; et, de tous ces premiers frais prélevés sur le nécessaire des contribuables, il résulte que notre industrie est encore, à quelques égards, dans l’enfance, que nous avons à peine une marine militaire suffisante, que notre marine marchande décroît chaque jour au lieu d’augmenter, et que nos routes sont à peu près les plus mal entretenues de l’Europe civilisée. L’Angleterre, qui n’a ni école navale, ni école polytechnique, ni école de commerce, ni direction générale des ponts et chaussées, possède en revanche la première marine, les plus nombreux canaux, les plus beaux chemins de fer et les routes les plus parfaites du monde. Quelques bonnes lois et la protection bienveillante d’un gouvernement partout présent et partout respecté, ont donné au commerce et à l’industrie manufacturière de la Grande-Bretagne le quasi-monopole du monde. En France, on sacrifie tout à la décoration, de l’autre côté de la Manche, on ramène tout à un but d’utilité pratique. Nous savons broder admirablement les manchettes à l’usage de quelques centaines de courtisans ; l’Anglais vend des chemises et des jupes aux trois-quarts de l’humanité.
Une exposition européenne aiderait beaucoup à corriger nos industriels de ces manies ruineuses de petits-maîtres. L’idée en a été émise il y a déjà quelques années ; espérons qu’elle se réalisera à l’ombre des pacifiques loisirs que nous a faits le juste-milieu. L’intérêt de la civilisation la recommande, et les amis éclairés de l’industrie française doivent l’appuyer de tous leurs vœux. »
(Peuple Souverain.)

lundi 12 mai 2008

Les conférences

Pour les associations, institutions, collectivités etc je propose des conférences débats sur la Croix-Rousse et l'histoire des canuts. Quelques thèmes possibles :
- L'histoire de la Croix-Rousse
- Le Gros Caillou et les remparts de la Croix-Rousse
- La révolte de novembre 1831
- La révolte de 1834
- L'histoire du premier journal ouvrier L'Echo de la Fabrique
- L'Echo de la Fabrique et le Conseil des Prud'hommes
- L'Echo de la Fabrique et l'enseignement
- L'Echo de la Fabrique et le droit d'association
- L'Echo de la Fabrique et la condition des femmes
- L'Echo de la Fabrique et la liberté de la Presse
- L'Echo de la Fabrique et la sante
- L'Echo de la Fabrique et les Saint-Simoniens
- L'Echo de la Fabrique et les Fouriéristes
- Les Voraces et la révolution de 1848
- Le compagnonnage et les canuts etc...

Sur Lyon et les communes contiguës : Tarif : 100 €
Hors Lyon : 100 € plus frais de voyage

samedi 19 avril 2008

Avril 1833 annonce les futures organisations ouvrières

Dans cet extraordinaire laboratoire social qu’est l’Echo de la Fabrique, quelques articles parus en avril 1833 retiennent l’attention. Ils annoncent un tournant important dans la prise de conscience ouvrière de la nécessité de dépasser les clivages corporatistes pour aboutir à une solidarité prolétarienne. Cette étape essentielle dans l’histoire des travailleurs est d’autant plus forte, plus symbolique qu’elle est franchie à l’occasion du conflit des ouvriers tailleurs de pierre. Or le compagnonnage qui était le mode d’organisation et de défense des ouvriers, est né des tailleurs de pierre. Il y a là une véritable rupture avec les pratiques historiques des travailleurs manuels. Nous reviendrons prochainement sur l’histoire du compagnonnage avec ses aspects positifs et négatifs mais en attendant quelques textes d’avril 1833 permettant de comprendre ce qui est en train de naître à Lyon.

L’Echo de la Fabrique du 7 avril 1833 réagit vivement quand il apprend que 3 ouvriers tailleurs de pierre sont arrêtés pour le délit de coalition.

"Les ouvriers tailleurs de pierre ont fait, il y a près d’un mois, des conventions avec les maîtres tailleurs de pierre : un tarif a été librement arrêté entre eux tous. Quelque temps après un sieur Rivière, signataire des conventions, n’a plus voulu s’y soumettre ; ses ouvriers ont quitté son chantier et ont cherché ailleurs un travail mieux rétribué. Rivière a porté plainte, et les sieurs Châtelet, Morateur et Breysse ont été arrêtés comme coupables de coalition et coupables en outre d’avoir fait cesser le travail dans le chantier de Rivière. Ces trois pères de famille ont paru devant le tribunal correctionnel après huit jours de détention. Le tribunal les a acquittés et n’a pas même cru devoir entendre leur défenseur, Me Chanay. Ils pensaient être mis en liberté, mais le procureur du roi a interjeté appel, et des hommes qui sont nécessaires à leur famille, sont ainsi détenus préventivement parce que tel est le bon plaisir de M. Chegaray. Il a, nous le savons, usé de son droit, mais le vice de nos lois ne devrait-il pas être amendé par la sagesse de nos magistrats. Quel danger y a-t-il pour la société dans la mise en liberté d’hommes qui, s’ils étaient coupables, n’auraient à craindre qu’une condamnation à quelques jours de prison. Pourquoi cette punition préventive, sans utilité pour la société, sans compensation pour les malheureux qui y sont soumis."

Le journal des canuts rappelle qu’en octobre 1831, pour le même délit, les ouvriers en soie n’avaient pas été poursuivis et encore moins soumis à une arrestation préventive :

"Allons plus loin : les ouvriers tailleurs de pierre ne sont ni plus ni moins coupables que les ouvriers en soie, que les ouvriers tullistes. Les circonstances sont identiques. D’où vient qu’on emploie une manière de procéder différente ? Les ouvriers en soie, les ouvriers tullistes n’ont pas été soumis à une arrestation préventive ; les premiers n’ont pas même été poursuivis. La justice cependant ne doit pas avoir deux poids et deux mesures. Voudrait-on laisser croire que les ouvriers en soie n’ont dû leur liberté qu’à la crainte que leur nombre inspirait, et non à la justice de leur cause, à la sympathie du pouvoir pour la classe prolétaire ? De deux choses l’une, ou M. Varenard ne fit pas son devoir en octobre 1831, ou M. Chegaray fait plus que le sien en mars 1833."

Puis l’Echo de Fabrique précise son rôle :

«Les ouvriers tailleurs de pierre trouveront dans l’Echo de la Fabrique un appui naturel à leur cause ; car nous nous empressons de leur l’offrir ; car nous ne voulons pas qu’on oublie que l’Echo de la Fabrique, quoique journal d’une industrie spéciale, est aussi celui de la classe laborieuse tout entière ; il est la tribune du prolétariat. Toutes les industries sont solidaires pour la répression des abus, des privilèges, pour l’adoption de ce principe sacré qui fait la base du droit des hommes salariés Vivre en travaillant."

Enfin les tailleurs de pierre vont écrire au journal ce texte fondamental. L’Echo l’accompagne d’une présentation intéressante sur l’esprit qui anime les journalistes.

"Nous publions sans commentaire l’adresse suivante des ouvriers tailleurs de pierre aux ouvriers en soie, car nos paroles seraient trop au-dessous des sentiments que sa lecture fait naître.
Nous remercions, en ce qui nous concerne, les ouvriers tailleurs de pierre du souvenir honorable qu’ils veulent bien nous accorder. Il nous est doux de recevoir au milieu du combat et avant la victoire, le salaire de nos faibles mais consciencieux travaux.
Nous avons encore beaucoup à faire pour être dignes de cette récompense ; nous le ferons. Nous puiserons de nouvelles forces dans ce témoignage de la sympathie de nos concitoyens. Forts de cet appui que nous trouvons dans l’opinion publique, nous continuerons, sans craindre les entraves que les ennemis de la cause sacrée à laquelle nous avons voué notre existence, pourraient nous susciter, nous continuerons à marcher d’un pas ferme vers le but que nous nous sommes proposé : l’émancipation physique et morale de la classe prolétaire. Dieu et la liberté nous soient en aide. God and liberty (Voltaire à Franklin).
Aux ouvriers en soie.Nous nous empressons de vous manifester notre reconnaissance pour la généreuse sympathie que vous avez témoignée pour nos frères détenus : le journal qui s’est spécialement consacré à la défense de vos intérêts, s’est hâté de nous offrir son appui ; nous sommes heureux et fiers de cette bienveillance. Le temps n’est plus où nos industries se poursuivaient d’injures et de violences mutuelles ; nous avons enfin reconnu que nos intérêts sont les mêmes, que loin de nous haïr, nous devons nous aider, et qu’un esprit de confraternité doit nous unir tous. De tant de faisceaux séparés ne formons qu’un seul faisceau : les travailleurs ne peuvent améliorer leur sort que par une association toute fraternelle ; puisse votre exemple amener enfin l’oubli de toute funeste rivalité ; puissent toutes les professions se donner la main ! A vous appartiendra l’honneur d’un aussi noble résultat.
Recevez en particulier, M. le rédacteur, l’expression de notre gratitude pour vos généreux et constants efforts en faveur de la cause sainte de l’émancipation des prolétaires.
Pour nos frères, les tailleurs de pierre :
Signés : Savigny, Doyen, Tissier cadet, Tissier aîné, Baron, Berger, Taboulat, Louis Aimard, Gentil, Respaux, Boiron, Cousin, Pain, Mouchard, Bourgeois, Bidault, Berset, Vallèle, Perrin, Sourd père, Sourd fils, Trouvet, Michelon, Guillermin, Pilloud, Escudié, Goujon, Hourlat, Goubre, Perruquet, Imbert, Aspet, Guillaume, Aubriaque, Uze, Carret, Peterre, Drevet, Perrin cadet, Deschamp, Lefroid, Chabout, Venture, Chatte, Faure, Chapotton, Constant, Constantin, Bellevêque, Durand, Barthès, Lizet fils, Marchand, Michelon, Berguirailles, etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc., etc."

jeudi 17 avril 2008

Poésie

En 1834 sort un ouvrage imprimé à Genève intitulé La Voix du Peuple. Un recueil de poésies signé par « Le citoyen D***, Prolétaire ». Il s’agit de T. Depassio, un chansonnier républicain. Or Depassio a séjourné à Lyon où il fut emprisonné quelque temps en 1831. Le livre que nous avons pu consulter comporte une dédicace manuscrite « au citoyen Marius Chastaing » qui fut le rédacteur en chef de l’Echo de la Fabrique. Une preuve supplémentaire sur l’importance des textes poétiques mis en chanson à l’époque. Textes qui étaient lus par les canuts. Ce poème engagé, dirions nous aujourd’hui, contribue pour moi, à montrer que l’on ne peut se contenter en évoquant cette période que de textes relatant la misère des ouvriers de l’époque. Ils sont en train de poser les fondements des organisations de travailleurs et les principes d’une République juste.

Le prolétaire :
L’autre jour un homme de bien
Au salon littéraire
Me dit : « Qu’est-ce donc qu’un vaurien
Qu’on nomme prolétaire ? »
Monsieur, soyez sans effroi,
Lui dis-je, et regardez-moi :
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle vaurien.

Ce gueux qui, né sur un grabat,
Souvent meurt à l’hospice ;
Ce gueux qui sans faire d’éclat,
Sans doute par malice,
Avant de voler son pain
Préfère mourir de pain :
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

Cet effronté qui tour à tour
Sur la terre et sur l’onde ;
Barbare dont l’audace, un jour,
Civilisant le monde,
Fit vaisseaux, palais, salons,
Et n’habita que prison,
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

Sa main qui bâtit vos maisons
Et perce les montagnes,
Sait couvrir de riches moissons
Vos fertiles campagnes.
Son bras, toujours agité,
Nourrit la société ;
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

Ce brutal, cet écervelé,
Qui rit de la mitraille,
Et qui n’a jamais reculé
Sur le champ de bataille ;
Qui, du sort bravant les coups,
Se fait fusiller pour vous :
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

Ce soldat qui, dans son chemin,
Vingt fois sauve la France ;
Qui de l’Europe, dans sa main,
Vingt ans tient la balance ;
Que l’on nomme au Panthéon,
Murat et Napoléon :
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

Enfin celui qui de nos jours
A s’instruire s’applique,
Ce pillard vous disant toujours
Qu’il veut la république,
Entend, par la liberté,
Raison, justice, équité
Voilà le prolétaire,
Coquin qui ne possède rien ;
Voilà ce que sur terre
On appelle un vaurien.

lundi 7 avril 2008

Nombre de métiers à tisser

Quelques chiffres concernant le nombre de métiers à tisser

Nous avons peu de chiffres sur le nombre de métiers à tisser à Lyon au XVIIIème et XIXème siècle. C’est pourquoi l’ouvrage de C. Beaulieu, « Histoire du commerce de l’Industrie et des Fabriques de Lyon » publié en 1838 est intéressant.

En 1788 un état général des métiers travaillants ou vacants dans Lyon a été commandé par les consuls de Lyon :
Il y a 58 500 ouvriers de tout genre et 14 777 métiers.
Les tires en occupaient :…………………………........... 1 042
Les velours :………………………….…………………...........463
Les façonnés :……………………………………………..........240
Les pleins :…………………………………………….........…5 583
Les gazes et crêpes :………………………….……...…….2 007
Métiers vacants à cette époque :……………………....5 442

En 1829
Nombre d’ateliers :…………………………….……….....17 254
Ils renfermaient les métiers suivants :
Unis :……………………………….…………………........... 14 695
Grande tire :……………………….………………………......... 32
A la Jacquard :……………………………….…........………8 745
Velours :……………………………………….…………............918
Gazes et crêpes :………………………………………............964
Tulles :…………………………………………………............ 1 756
Bas :………………………………………………………............. 653
Passementerie :……………………………………………...... 500
Métiers en repos :…………………………………………...... 745
(Beaulieu signale que : « le grand nombre de métiers à la Croix-Rousse, à la Guillotière, à Vaise et dans la plupart des commune de banlieue, portait à près de 31 000 ceux mis en activité ».)

En 1837
7 000 métiers en activité dans Lyon
Tires :……………………………………………………............. 300
Velours :………………………………………………….............500
Pleins :…………………………………………………............ 3 100
Gazes er crêpes :………………………………………….........300
Façonnés :………………………………………………...........2 800

D’autre part J-F Bunel indique dans son ouvrage « Tableau Historique, administratif et Industriel de la Ville de la Croix-Rousse (1842) que d’après le recensement de 1841, il y a :
9 201 métiers à la Croix-Rousse
Unis……………………………………………………….............1 951
Façonnés………………………………………………...........…5 760
Velours………………………………………………............……..796
Velours Coton……………………………………………...........…...7
Tulles…………………………………………………………....……145
Bas…………………………………………………………….....……...19
Passementerie…………………………………………………………4
En repos………...…………………………………………………....519

Mécaniques à dévider :
Rondes : 1060
Longues : 123

Rappel : Pour cette même année le nombre de métiers dans Lyon, ses faubourgs et les trois villes de la Croix-Rousse, la Guillotière et Vaise, s’élève à 26 526 plus 1813 métiers en repos. Lyon : 17 013 ; La Guillotière : 1845 ; Vaise : 280.
Le nombre total de mécaniques à dévider est de 3 289

dimanche 6 avril 2008

Le parler Lyonnais

Si Clair Tisseur (1827-1895) est celui qui aujourd’hui permet aux gones et aux fenottes de découvrir le charme du parler lyonnais, grâce à son ouvrage « Le Littré de la Grand’Côte », sans cesse réédité, signé par un de ses noms d’écrivain, Nizier du Puitspelu, il n’est pas le seul, ni le premier à vouloir conserver ces expressions et mots si singuliers. Anne-Marie Vurpas et Gérard Truchet aujourd’hui et, avant même la publication du Littré, Jean Baptiste Onofrio. Cet homme d’exception, on lui doit la retranscription des premières pièces du théâtre de Guignol de Laurent Mourguet, a écrit en 1864 un essai d’un glossaire des patois du Lyonnais, Forez et Beaujolais.
On y apprend notamment qu’au XVIIIème siècle, à Lyon, la plupart des artisans parlent encore le patois. La bourgeoisie ne le parle plus, mais elle le comprend, et elle s’en sert encore quelque fois soit dans les divertissements de carnaval, soit lorsqu’elle veut déguiser une satire sous une forme populaire. Il nous apprend que « c’est aussi au XVIIIème siècle qu’on voit apparaître pour la première fois le dialecte canut, langage tout spécial, distinct du patois de nos campagnes et du dialecte commun de la ville, non seulement par l’emploi des termes propres à la profession de nos ouvriers en soie, mais encore par des expressions, par des tournures et par une prononciation particulière. » Pour Onofrio au XIXème siècle, « non seulement personne ne parle le patois à Lyon, mais on ne l’y comprend plus. Aussi n’y publie-t-on rien dans ce langage. C’est le dialecte canut qu’on emploie quand on veut donner à une publication une couleur tout à fait populaire. »

Quelques mots et expressions tirés de l’ouvrage de J-B Onofrio

Aboucher : Faire tomber, renverser et plus spécialement faire tomber sur la bouche, sur la face.
« La nuit je me roule dans mon lit tantôt à crabotton, tantôt à bouchon sans pourvoir quasi deurmir. »
En espagnol on trouve : abocar ; en italien : abbocare

Agacin : Cor aux pieds
« Un jour ayant rendu ma pièce au magasin
Je m’arrête aux Terreaux souffrant d’un agacin.
»

Agourra : Gourrer, tromper, frauder
« Par ne pas m’agourra,
J’y me mariarai pas.
»

Bacon : Lard, viande de porc salée
(Allez savoir pourquoi nous disons aujourd’hui un « bécone » ! ndlr)

Bambaner : Se bambaner, se promener sans but, flâner ; perdre son temps.
« Je me bambanais tout le long du bitume. »

Bugne : Espèce de gâteau frit à l’huile.
« Dans ce même temps parut en cette ville une excellent fille qu’on appelait la Jeanne. Elle était établie dans la rue Paradis. Elle y avait une manufacture de bugnes à la livre qui fit tomber toutes les autres. Elle était si bonne et le débit en était si considérable qu’après vingt années de travail elle plaça vingt mille écus qu’elle perdit dans une banqueroute. Elle en mourut de douleurs. » Supplément aux Lyonnais dignes de mémoire.

Caffi : Rempli ; épais.

Calade : Pavé, rue pavée ; parvis d’une église.
« Les habitants de Villefranche-sur-Saône appellent encore la calade, le parvis de leur principale église, et la rue sur laquelle elle est située ; et comme cette rue est pour eux un lieu habituel de promenade, ils en ont pris le surnom de Caladois. »

Charpenne
: Charme, charmille
« Un village de la commune de Villeurbanne, près de Lyon et autrefois en Dauphiné, s’appelle Les Charpennes. »

Corgniola, Corniole : Gosier, gorge.
Dialogue d’une pièce de Guignol :
« Le père Pierre-Jean – Comment ! Guignol, tu dis que M. le marquis de Saint-Rémy est ruiné ! Son père lui a laissé quatre cent mille francs !
Guignol – Oui ; mais son père lui a laissé aussi une corgnole, et il a tout avalé.
»

Cuchon : Tas, amas.
« Les gros ont donc ouvert une souscription
Qui facilitera la démolition
Et de l’Observatoire et des cuchons de pierres
Que de tous les côtés déshonorent Fourvière.
»

Equevilles : balayures
M. Breghot du Lut dit qu’on le trouve dans un de nos actes consulaires, daté du 24 novembre 1590.

Fena, Fene, Fenne : Femme.
Aujourd’hui on dit fenotte qui s’emploie dans un sens aimable comme tous les diminutifs.

Gognandise : Bêtise, raillerie

Gone : Enfant, fils ; gamin ; garçon.
« Ca fait regret de voir jusqu’à de simples gonnes
Le brûle-gueule aux dents comme de grandes personnes.
»
"Du roman gona, robe ; Les petits enfants portent la robe. C’est, suivant plusieurs étymologistes, un mot d’origine celtique. Il désignait dans la Gaule, un long vêtement de peau. Gown, signifie encore robe, en anglais. »

Pitrogner : Manier grossièrement, gâter, écraser.
« Il pompe dans le jus des raisins qu’il pitrogne. »

Pontificat : Etre dans son pontificat est une locution populaire de nos province qui signifie être dans la plénitude de sa force, de sa santé, de sa beauté. On dit d’un vieillard qu’il est encore dans tout son pontificat pour exprimer qu’il a toute sa vigueur et ses facultés.

San devant derrière : Expression adverbiale dont le sens est de travers, en désordre.
L’orthographe primitive et la seule rationnelle de cette locution est c’en devant derrière, c'est-à-dire Ce qui est devant ira derrière, et réciproquement.L’orthographe sens dessus dessous n’a aucune explication raisonnable

Des os d'éléphants découverts à la Croix-Rousse

Imaginons que le Progrès ait été créé au début du XIXème siècle. Le correspondant de la Croix-Rousse, aussi peu rétribué qu'aujourd'hui, aurait pu réaliser cette interview :

Interview exclusive de Monsieur le chevalier Bredin directeur de l’Ecole Vétérinaire

Monsieur Bredin quel effet vous a fait la découverte en août de ses os fossiles dans la commune de la Croix-Rousse ?
Ce n’est pas sans une profonde émotion que je me trouve en présence de ces vieux témoins des catastrophes et des révolutions qui ont changé la face du monde ; ce n’est pas sans faire je ne sais quel retours mélancoliques sur ma destination et sur la destination de l’humanité, que j’interroge ces prestigieux témoins dont la durée effraye l’imagination d’une créature qui hier n’était point encore et qui demain ne sera déjà plus.

Que peuvent nous apporter vos observations ?
Déjà, ces immenses dépôts de bélemnites, d’échinites, d’ammonites, d’encrinites, et de tant d’autres animaux marins que nous voyons dans nos rochers calcaires, prouvent à l’observateur averti qu’à diverses reprises, les contrée aujourd’hui habitées ont été couvertes des eaux de mer ; ils lui apprennent qu’il y eut un temps où la terre n’était ni ornée par les végétaux, ni animée par les êtres sentants.

Pour revenir aux os d’éléphants, où ont-ils étés trouvés ?
Ces os, provenant de mammifères, il n’y a pas que des éléphants, ont été trouvés dans un jardin que M. Krauls, manufacturier et propriétaire, possède à Caluire, sur les limites de cette commune et de la Croix-Rousse, dans l’angle que forment entre eux, le chemin de la Boucle qui conduit au Rhône et celui de la grille qui conduit au village de Caluire, à Margnole, à Montessuy, à la Carette, etc.

Pouvez-vous préciser pour nos lecteurs… ?
Ce jardin est situé près du sommet ou de la croupe de la colline, au commencement de la pente qui s’incline vers le Rhône, c'est-à-dire sur le versant de la Croix-Rousse qui regarde le Rhône, la plaine du Dauphiné, la chaîne des Alpes, le Mont-Blanc… Il est par conséquent exposé au sud-est. Son sol en pente douce, est incliné du nord-ouest au sud-est ; plus loin la pente de la montagne devient plus rapide et s’abaisse dans le vallon assez profond qui suit le chemin de la Boucle.

Dans quelle circonstance cette découverte ?
M. Krauls faisait construire une maison dans la partie supérieure de ce jardin qui longe le chemin de la grille. Des pionniers maçons, en creusant à 4 mètres au sud-est de la bâtisse, une grande fosse dont ils retiraient une terre marneuse rouge, qui, dans nos contrées, sert à bâtir en pizai, ont trouvé à 23 décimètres au-dessous du sol, des os très volumineux qu’ils n’ont pas hésité à regarder comme provenant de ces anciens géants que l’on prétend avoir autrefois peuplé la terre.

Et vous ne croyez pas à cette hypothèse ?
Bien sûr que non ! Nous remarquons que presque tous les écrivains d’Europe, même les plus éclairés et les moins crédules, qui ont précédés le dernier siècle, attribuèrent à cette ancienne race de géants tous les os dont la grosseur était supérieure à celle des plus forts animaux de nos climats. Sous le règne de Louis XIII, on montrait à Paris des ossements d’éléphants trouvés en Dauphiné, non loin du Rhône, qu’on faisait passer pour les restes de Teutobochus, ce roi des Cimbres qui combattit contre Marcius ! Il n’y a pas 20 ans qu’on fit don à l’Ecole Vétérinaire d’un fémur d’éléphant, sur lequel on avait fait mouler ces mots : Os de géant !

Ces os, ils appartiennent tous à un ou des éléphants ?
Mais non ! Je vous l’ai dit : les uns appartiennent à un éléphant, d’autres à des chevaux, d’autres enfin à des bœufs.

Sont-ils nombreux ?
Pour l’éléphant il y a une mâchoire inférieur armée de quatre molaires, une vertèbre lombaire, une énorme apophyse épineuse appartenant à la troisième vertèbre dorsale, la première côte, les deux humérus, une tête de fémur, les deux tibias et un grand nombre de fragments divers. J’ai décrit, mesuré et dessinés ces os avec de grands détails. J’ai aussi situé exactement la position sur le terrain de tous ces os.

Quand on parle d’éléphant, on pense aux défenses…
On n’a pas trouvé de défenses dont il est néanmoins probable que l’éléphant était pourvu ; mais j’espère qu’en creusant plus profondément du côté du N. O. on découvrira ces os qui, vu leurs poids et le peu de surface qu’ils représentent, ne seront plus enfoncés dans une terre molle et légère.

Pour terminer Monsieur le directeur, nos confrères de la capitale discute sur la question de savoir si les os fossiles, appartenaient ou non à l’un des éléphants d’Annibal. Quand pensez-vous ?
Je ne crois pas. Je suis en train d’écrire pour démontrer que ces os appartenaient à l’élephas primogenius, antérieur au temps d’Annibal et que c’est une espèce qui était déjà éteinte avant les guerres puniques.

Sources Archives historiques et statistiques du département du Rhône 1825

samedi 5 avril 2008

Lyon ville rebelle

Lyon n’a pas été toujours cette ville calme, tranquille, sans excès que beaucoup décrivent aujourd’hui. La célèbre révolte des canuts de novembre 1831 est là pour nous le rappeler. Mais ce ne fut pas la seule. Beaulieu, dans son Histoire de l’Industrie et des Fabriques de Lyon paru en 1838, en dénombre neuf. Il faudrait ajouter les émeutes de 1848 et 1849 des Voraces et également la tentative de soulèvement de fin 1870 à l’initiative de Bakounine et des anarchistes*.

« La première émeute ou sédition populaire dont l’histoire de notre ville fasse mention eut lieu sous Charles VI, en 1403. La raison en était la cherté du blé.

La seconde émeute eut lieu sous Charles VIII en 1486 à l’occasion de certains règlements sur les corporations ou confréries des arts et métiers.

La troisième, arrivée en 1516, avait pour motif que les maître des métiers voulaient avoir, comme aux premiers temps de la commune, l’entière nomination de ceux qui cette année devaient entrer à l’échevinage, nomination qui alors était faite par le consulat.

La quatrième eut lieu le dimanche 25 avril 1529, à ‘occasion d’une augmentation d’impôts sur le vin. On la nomma la Rebaine.

La cinquième date de 1744, à l’occasion d’un nouvel édit sur les statuts et règlements pour la fabrique de la soierie. (Cet édit confirme que l’artisan qui achetait, tissait, vendait son étoffe disparaît pour faire place à deux professions distinctes : celle de négociant commerçant et celle de tisseur NDLR).

La sixième, dite des deux sous, eut lieu en 1786, pour l’augmentation de salaire.

La septième, arrivée en 1789, eut pour résultat l’incendie des barrières de la ville et le pillage des octrois. Ici commence le régime révolutionnaire, sous lequel eurent lieu à Lyon, ainsi que dans toute la France, jusqu’à la fin du dernier siècle, ne doivent être considérées que comme des réactions de partis.

La huitième, arrivée en 1831, appelée journées de novembre, dura trois jours (21, 22, 23 novembre) et eut lieu à l’occasion de la demande d’une augmentation de salaire de 25 centimes par aune pour les étoffes dites peluche, et d’un tarif sur les façons des étoffes.

La neuvième et dernière arrivée jusqu’à présent à Lyon peut être considérée comme la conséquence de la précédente ; les partis politiques y prirent une part très active, ce qui n’avait nullement eu lieu dans les premières. Elle dura six jours et se termina par la dispersion de ceux qui y avaient pris part, opérée par la force des armes. »

*Je résisterai à la pression de quelques Croix-Roussiens qui souhaiteraient que je mentionne les manifestations contre l’extension de la zone de stationnement payant qui se sont déroulées en décembre 2004… Et ce bien que la presse lyonnaise ait titré : La révolte des Canuts ! »

Honneur aux inventeurs

Certes, on connaît Jacquard et les Croix-Roussiens aiment à se rassembler à l’ombre de sa statue place de la Croix-Rousse, mais nous aurions tort de croire qu’il fut le seul inventeur. Saluons quelques uns de ceux qui ont contribué, comme les tisseurs et les négociants, à faire de Lyon la capitale de cette industrie.

Aguettant : invente la préparation des plumes ou poils naturels pour le tissage des étoffes de soie et autres

Ajac : invente un battant mécanique propre à la fabrication des étoffes, schals, bourre de soie.

Allais : invente et perfectionne une mécanique applicable au métier ordinaire à filoche et à l’aide duquel on peut fabriquer des tulles ou filoches, ainsi que des tulles noués dans toutes espèces de dessins.

Aubert : invente un métier à tricot sur chaîne

Banse : invente un mécanisme destiné à être adapté au battant ordinaire des étoffes de soie et propre à déterminer le jeu de deux navettes.

Beauvais et Renard ; inventent un procédé pour obtenir sur la soie une dégradation insensible de teinte dans le sens de la longueur.

Belly : perfectionne le métier Jacquard, la mécanique pour dévider la soie, le coton.

Bonnard : invente deux mécaniques propres à filer la soie en la tirant du cocon.

Breton : perfectionne le mécanique Jacquard.

Brun : invente un ventilateur propre à conditionner les soies crues, à sécher les soies teintes, renouveler, purifier l’air renfermé dans les ateliers.

Couturier : invente les moyens de fabriquer sur un seul métier, et par un seul ouvrier, plusieurs pièces d’étoffe à la fois.

Crépu : invente la teinture de crêpe.

David : invente et perfectionne la mécanique dite « ronde » pour le dévidage de la soie.

Débard-Théoleyre et Dutillieu : inventent le velours chiné, et la fabrication d’une peluche de soie imitant l’agneau d’Astracan.

Félissent : invente l’appareil de dessication par l’air échauffé par le feu.

Gensoul : invente et perfectionne la chaudière propre à être employée dans les appareils à vapeur destinés au chauffage des filatures de soie.

Giraud : invente la fabrication des étoffes et rubans avec la soie grège ; mécanisme propre à les décruer, après leur confection et à leur appliquer en même temps toute espèce de couleurs.

Gonin père et fils : inventent les teintures noir et blanc soufré.

Gout et Simon : inventent la fabrication avec le poil de lapins d’une étoffe appelée « cachemire de Paris ».

Grand frères : perfectionnent les velours chinés et unis.

Janin : invente et perfectionne la machine à fabriquer les tulles doubles et simples.

Jobert, Lucas et Cie : inventent et perfectionnent la fabrication des schals cachemire et mérinos.

Jaillet : invente la mécanique propre à fabriquer toutes sortes d’étoffes façonnées.

Jolivet, Cochet et Perrany : inventent et perfectionnent une nouvelle méthode pour fabriquer le tulle croisé.

Julien Leroi : invente un métier à bas appelé le « tricoteur français ».

Magnan : invente et perfectionne la machine à dévidoir pour l’ourdissage.

Mestrallet Joseph
: invente et perfectionne les filières de perles fines destinées à la fabrication des « traits », argent pur et argent doré, à l’aide desquels on obtient des fils de ces métaux dans toutes les proportions d’égalité et de finesse.

Meynard cadet : invente et perfectionne le métier destiné à fabriquer un tissu en soie chiné, nommé « tricot velouté ».

Monavon : invente et perfectionne l’application de planches et de cylindre en tuf, en schiste etc, à l’impression des étoffes.

Mousset : invente une mécanique propre au dévidage des soies.

Pichon veuve : invente l’impression sur soie en or et argent.

Pictet Geneviève : invente les schals tramés laine sur soie.

Pinson : invente les moyens apprêter et de presser les étoffes sans plis.

Poidebard : perfectionne l’élevage du vers à soie

Princeps : invente et perfectionne la machine à canettes.

Ragey : invente la fabrication des crêpes en soie cuite, rayée et chinée.

Rast-Maupas : invente l’appareil propre à le dessication des soies.

Ravina, Daguillon, Méhier et Jacquard : inventent les procédés de fabrication d’une étoffe pour meubles, sans couture.

Raymond : inventeur du bleu qui porte son nom.

Ricard frères : invente le papier appliqué à la mécanique Jacquard.

Seguin père et fils et Yemeriès : perfectionnent les étoffes de soie, or et argent.
Skola : invente le mécanisme à l’effet de remplacer 90 millimètres de carton par 21 millimètres de papier fort pour chaque coup de navette, adapté au métier Jacquard.

Tanard
: invente la mécanique à fabriquer le tricot sans envers.

L'actualité d'hier

La violence dans les collèges !
1er avril 1745 : Le parlement avait ordonné que les jésuites cesseraient de tenir les collèges de Lyon. Il nomme un maître de pension laïque, Antoine Nivoley comme préfet ou principal. Quand il ouvrit les classes, il y avait foule sur la place du collège. Quand le Préfet sortit, les écoliers et la populace l’accompagnèrent jusqu’à son domicile en le huant et en lui lançant des pierres. La police intervint. Trois écoliers et un taffetatier furent arrêtés. Mais Antoine Nivoley et ses six professeurs tinrent bon jusqu’en 1763.

Deuil national de 8 jours !
5 avril 1791 : Les membres du Corps municipal arrêtent qu’ils porteront, pendant huit jours, le deuil de Mirabeau et que les citoyens de Lyon seront invités à rendre hommage à sa mémoire. Le 8 les Amis de la Constitution font célébrer un service pour le repos de l’ame de Mirabeau, dans l’église des Cordelier. Les spectacles sont fermés.

Intéressement à la vente !
10 avril 1805 : Napoléon qui séjourne à Lyon avec son épouse Joséphine, rend un décret qui alloue au sieur Jacquard, auteur d’un nouveau métier pour le fabrication des étoffes brochées et façonnées, qui supprime l’emploi de la tireuse, une prime de 50 francs pour chaque métier qu’il aura livré pour être mis en activité, pendant l’espace de six années.

Matheux jusqu’au bout !
12 avril 1734 : Thomas Fantet de Lagny, savant mathématicien, décède. Mais avant qu’il ne rende son dernier soupir, alors qu’il ne connaissait aucun de ceux qui entouraient son lit, quelqu’un, pour faire une expérience philosophique, lui demanda quel était le carré de douze. Il répondit aussitôt, et sans savoir apparemment ce qu’il répondait : Cent quarante-quatre !

A genoux ? Jamais !
18 avril 1555 : La Sorbonne censure les chanoines de Lyon qui, pendant la messe, à l élévation de l’hostie, refusaient de fléchir le genou et de s’incliner. Les chanoines, de forts caractères, ne tinrent point compte de cette censure. Le doyen de la cathédrale leur ayant intenté un procès pour les contraindre à s’agenouiller au « lever-Dieu » la cause fut soumise aux cardinaux de Lorraine et de Tournon. Ces prélats décidèrent le 20 juin 1564, que les chanoines se tiendraient profondément inclinés pendant l’élévation de l’hostie, afin qu’ils l’adorassent avec plus de révérence que par le passé. Un arrêt du 25 août 1655, maintint les chanoines dans le droit de ne point s’agenouiller à l’élévation. Plus tard, sur la demande de Louis XIV, ils consentirent enfin à renoncer à ce singulier privilège.

Et on est mécontent du temps !
30 avril 1573 : Le Lyonnais fut affligé de deux horribles fléaux. « L’un des fléaux, dis Rubys, fut que toutes les vignes de la province gelèrent…, et on fit point de vendanges. L’autre fléau, et beaucoup plus grand, fut la grande cherté du blé. Il y eut grande pitié au menu peuple, tant en la ville qu’aux champs. »

Z’allez me démolir cette citadelle !
2 mai 1585 : Mandelot, gouverneur de Lyon, s’empara, de concert avec les Echevins, de la citadelle de Lyon, et ayant fait désarmer la garnison qui avait pour capitaine Aimar de Poisieu, sieur du Passage, il y installe la milice urbaine. Le roi se vit forcé d’approuver cette démarche hardie. Il ordonna même, quelque temps après, le démolition de cette citadelle. Les citoyens s’y employèrent avec tant d’ardeur, que quelques mois ensuite, il n’en paraissait aucun vestige. Cette citadelle construite en 1564 par Charles IX était sur le Montagne Saint-Sébastien, au-dessus de la rue Neyret.

Le contraire eut été étonnant !
3 mai 1803 : Acceptation du legs fait à la ville de Lyon, par le major-général Martin. L’école de la Martinière sera ouverte qu’en 1832.

Ce n’était pas du théâtre !
4 mai 1795 : Mort tragique du comédien Dorfeuille. Il était comédien, certes, mais pour les Lyonnais, c’était celui qui avait présidé le tribunal révolutionnaire établi à Lyon pendant la terreur. Arrêté après la chute de Robespierre, il est traduit devant le tribunal criminel. Une foule immense couvre la place de Roanne (devant le palais de Justice). Chacun se demandait s’il avait été condamné. Non, répondit un individu qui sortait de l’audience : « la loi ne l’atteint pas. » Et bien ! Moi, je l’atteindrai, s’écrie énergiquement un homme du peuple. Aussitôt cet homme perce la foule, s’élance sur Dorfeuille, l’assomme et précipite son cadavre dans la Saône.

Un pont en fil de fer !
18 mai 1829 : Le pont suspendu en fil de fer de l’Ile Barbe, construit par l’ingénieur Favier, est ouvert au public. On doit les premières idées de la construction de ce pont à un de nos plus habiles serruriers- mécaniciens, M. Etienne. En effet, « La Gazette de France » dans son numéro du 15 avril 1732, écrivait : « Un gentilhomme lyonnais a présenté au roi le modèle d’un pont volant dont l’original sur cent toises de long et deux de large est suspendu demi toise au-dessus de l’eau, au travers de laquelle les hommes d’armes peuvent sûrement passer, et néanmoins ce pont est bâti d’une manière si légère, qu’une ou deux charrettes au plus le peuvent transporter, parce qu’il se démonte dans une heure, et se monte en aussi peu d’espace. »

Contre les grandes surfaces !
23 mai 1794 : Les représentants du peuple, Dupuy et Reverchon, adressent au Comité de Salut Public un mémoire sur la réhabilitation du commerce de Commune-Affranchie (Lyon). « Nous sommes convaincus de cette vérité que, pour républicaniser le commerce, il faudra toujours aboutir à ce résultat : multiplier les petits établissements, déterminer le nec plus ultra des produits, en bornant les moyens de les obtenir. »

Qui peut croire que l’on n’a fait aucun progrès ?
23 mai 1637 : Un sodomite est condamné au feu après qu’il aurait été étranglé ; la corde se rompit, et il fut brûlé encore vivant, en présence de plus de 20 000 personnes accourues à ce spectacle par la rareté du crime.

Y a plus de saison !
7 juin 1635 : « Aujourd’hui est tombée, demi-heure durant, une grêle de la grosseur d’un poing, accompagnée d’un vent si furieux, qu’il emporta au loin une couverture de cinq toises de haut qui était sur la tour d’une grande maison dite le château de Milan, sise en la rue Saint-Barthélemi, voisine de la montée du grand couvent des Capucins. »

On ne plaisante pas avec les piqueurs d’once !
20 juin 1769 : Un arrêt du Parlement confirme la sentence de la juridiction consulaire de Lyon qui condamne la femme Comtois à être attachée au carcan, fouettée et marquée, et ensuite enfermée dans une maison de force pour crime de piquage d’once et Michel Comtois son mari au carcan et au bannissement pour l’avoir souffert chez lui et y avoir participé. (Le piquage d’once consistait à voler de la soie sur les parties confiées par le négociant. Pour retrouver le poids, le piqueur d’once, humectait la soie.)

Défense des traditions !
21 juin 1584 : « Les échevins désirant rétablir les bonnes et louable coutumes qui de toute ancienneté ont été observées à Lyon, et entre autres celle de faire un feu de joie sur le pont de Saône toutes les vigiles de la fête de la Nativité de saint Jean-Baptiste, comme l’on faisait avant les premiers troubles de l’année 1562, depuis lesquels cette tant belle coutume à été discontinuée, ordonnent que désormais en reprenant ladite coutume l’on élèvera, chacune des veille de Saint-Jean, une pyramide de bois en laquelle le feu sera mis par le gouverneur pour le roi, et par l’un des échevins pour la ville ; il est aussi arrêté que tous les échevins y assisteront en corps avec leurs robes consulaires. »

La ficelle de la rue Terme

A propos de la Ficelle de la rue Terme

Pendant la campagne des élections municipales, les fenottes et les gones n’ont pas manqué de lire de nombreux projets concernant l’actuel tunnel routier de la rue Terme, jadis le chemin de fer de la Croix-Rousse, plus communément baptisé, la ficelle. Logique quand on sait combien un câble composé de 252 fils d’acier de 2 millimètres de diamètre chacun, ressemble à une de ces ficelles qui peuvent tout aussi bien attacher votre pantalon qu’un paquet de poreaux. Donc nous eûmes droit pendant plusieurs semaines à des promesses qui pourraient conduire les véloV à remonter plus vite, aux poussettes à escalader biberons et doudous au vent les pentes et à nos fumerons à se reposer de bambanes épuisantes. Bon, dans quelques jours, quand nos élus auront choisi leurs bureaux, trouvé la bonne clé pour y pénétrer et installé leurs photos de famille, nous demanderons de quoi exactement il en retourne. Une plate-forme ? Un tire-fesses ? Un escalier roulant ? Un téléphérique ? On verra. En attendant, ça peut les aider, nous leur offrons la possibilité de découvrir ce qu’était exactement cette fameuse Ficelle, Ficelle qu’un jour, un maire, décida de supprimer afin que les automobiles puissent d’un seul coup accéder à notre charmant plateau. Nous étions à cette époque bien peu à manifester notre désaccord concernant cette mesure. C’est ainsi…

Non seulement cette Ficelle rendait d’immenses services aux Lyonnais et aux Croix-Roussiens mais en plus c’était une prouesse technique considérable. La preuve : En 1863, la revue parisienne L’Année Scientifique et Industrielle de Louis Figuier, recueil qui porte à la connaissance du public les travaux scientifiques, les inventions et les applications à l’industrie et aux arts, de l’année, publie un long article sur not’Ficelle ! Quelques extraits :

« En 1862 a été inauguré à Lyon, un petit chemin de fer destiné à relier le rue Terme au plateau de la Croix-Rousse, et qui présente une disposition aussi hardie que nouvelle. L’inclinaison de 4 cm par mètre n’a jamais été dépassée sur aucun chemin de fer ; la rampe est ici de 16 centimètres. Encore un peu plus et les wagons auraient grimpé perpendiculairement, comme les lézards le long d’un mur.
Le chemin de fer de la Croix-Rousse ne fait usage de locomotives : il est à traction fixe, comme les chemins de fer de l’intérieur des mines. Le train est tiré de bas en haut, par un câble qui s’enroule autour d’un immense cabestan et qui sert à le hisser le long de la rampe : la descente s’effectue par le déroulement du même câble, qui retient le convoi et modère la rapidité de la chute.
Chaque train ne se compose que de deux wagons ; mais les dimensions de ces wagons sont telles qu’ils peuvent contenir chacun 100 voyageurs. Une machine à vapeur de la force de 100 chevaux fait tourner un tambour de 4 mètres et demi de diamètre, autour duquel le câble vient s’enrouler. La course du piston des machines vapeur est de 2 mètres ; les chaudières sont tubulaires et à courant d’air forcé. Un ventilateur, mis en action par une machine à vapeur de la force de 10 chevaux, envoie constamment de l’air sous les foyers, pour activer la combustion.
On a dû apporter les soins les plus attentifs à la conception du câble destiné à supporter le poids entier du train. Ce câble est formé de la réunion de 252 fils d’acier de 2 millimètres de diamètre. IL serait capable, d’après les essais authentiques qui ont été faits, de supporter un poids de 100 000 kilogrammes, tandis que l’effort à soutenir pour l’ascension du train n’atteint pas 10 000 kilogrammes. (…) L’autorité a voulu que les wagons du nouveau railway fussent armés de freins d’une puissance suffisante pour arrêter le train précipité sur la pente de la voie, dans le cas d’une rupture du câble.
Ces freins ont été construits par les ingénieurs de la compagnie MM Molinos et Pronnier et lors de la réception du chemin de fer de Lyon à la Croix-Rousse, ils ont subi, devant la commission officielle, une série d’épreuves des plus concluantes. Voici les dispositions adoptées par MM Molinos et Pronnier pour obtenir cet important et difficile résultat.
Le chemin de fer présente une inclinaison uniforme de 165 millimètres par mètres. Un train abandonné sur cette pente, toutes les roues enrayées, glisserait en prenant encore par son énorme poids une vitesse considérable. Pour parer à tous les dangers d’une rupture de câble, il ne suffit pas de munir les véhicules de freins ordinaires, il leur faut ajouter un frein supplémentaire dont l’action, jointe à l’enrayage des roues, produise un arrêt infaillible. A cet effet, chaque truck porte deux systèmes de freins, devant agir automatiquement par le fait même de la rupture de câble. (…) L’expérience a pleinement démontré l’efficacité de ces dispositions. Douze fois, en présence de la commission de réception, la rupture du câble a été simulée au moyen d’un déclic, le train marchant à le descente à raison de 2 mètres par seconde (vitesse réglementaire) ; l’arrêt s’est produit chaque fois sans secousse appréciable, après un glissement de 3 m 50 : les wagon complètement chargés pesaient 18 000 kilogrammes chacun. (…)
L’établissement de la gare de Lyon a nécessité l’ouverture d’une tranchée de 11 mètres, bordée à pic par des maisons de 4 à 5 étages, dont le soutènement a présenté les plus grandes difficultés.Une maison de 4 étages placée à cheval sur la ligne a été conservée : le tunnel qui la supporte a été littéralement découpé dans les caves de cette maison, sans porter atteinte à sa solidité. D’autres maisons placées sur un grand tunnel, ont été conservées dans des conditions analogues. En un mot les difficultés de toute nature ont dû être vaincues pour arriver à la réalisation de cette entreprise élégante et nouvelle. Leur nombre ainsi que leur importance, rendent plus remarquable le succès complet qui a couronné ce travail, dont l’heureuse idée, aussi bien que la parfaite exécution, fait le plus grand honneur aux deux ingénieurs de la compagnie MM. Molinos et Pronnier. »

jeudi 31 janvier 2008

La révolte des Canuts de 1831 (1)

Si la lecture du livre de Fernand Rude sur les révoltes canuts reste irremplaçable, il est particulièrement intéressant de connaître ce qu'ont écrit les rédacteurs de l'Echo de la Fabrique, le journal des tisseurs sur soie. Dans le numéro 5 du 27 novembre 1831, est publié ce texte :

"LYON. 21, 22 ET 23 NOVEMBRE
C'est le cœur navré et la tête couverte d'un crêpe pour le deuil de nos frères et de nos amis que nous allons rendre compte des événements qui se sont passés dans notre ville ; à Dieu ne plaise que nos larmes soient exclusives, elles seront pour tous ; et si l'égoïsme ou l’erreur de quelques hommes a entraîné cette cité dans des malheurs imprévus par eux, cette erreur a été expiée. Nous écrirons donc sans haine et sans passion. Oubli pour le passé, voilà ce que nous ne cesserons de proclamer, et nous rendrons compte de tous les faits avec calme, déplorant seulement que tant de sang, qu'un sang aussi pur, n'ait point été versé en défendant nos foyers pour la sainte cause de la patrie1.

Les chefs d'ateliers et les ouvriers voyant que le tarif n'était qu'une clause illusoire, que beaucoup de négocians ne voulaient point le reconnaître, et humiliés par quelques-uns qui ne prévoyaient point toutes les conséquences d'une conduite quelquefois répréhensible, se rassemblèrent à la Croix-Rousse le dimanche 20 novembre pour aviser au moyen d'obtenir une sanction définitive du tarif. Ils décidèrent que dès le lundi matin tous les métiers cesseraient de travailler, et que les ouvriers descendraient pour réclamer auprès de l'autorité l'exécution des clauses stipulées par MM. les membres des commissions des négocians et des chefs d'ateliers en présence de M. le préfet, de M. le maire, des membres de la chambre du commerce et du conseil des prud'hommes. La journée se passa ainsi assez tranquille, et personne ne prévoyait les scènes qui ont eu lieu.
Le lundi 21, dès le matin, quelques groupes s'étaient formés sur la place de la Croix-Rousse, ces groupes n'avaient aucun caractère hostile ; les ouvriers qui les composaient étaient sans armes et discutaient le moyen d'obtenir justice par la modération. Vers les dix heures un fort piquet de gardes-nationaux de la 1re légion se présenta sur la place de la Croix-Rousse, et au lieu d'employer la persuasion pour dissiper les groupes, il voulut employer la force ; on résista : le piquet croisa la baïonnette, mais bientôt entouré et désarmé en partie, il fut forcé à la retraite, poursuivi à coups de pierres ; ce premier acte de la force armée exaspéra les ouvriers. Depuis long-temps ils étaient menacés, on leur disait (et nous ne parlons point ici de l'autorité) qu'on recevrait leurs demandes à coups de fusils ; cependant aucune démarche hostile ne fut encore faite par eux, et vers les onze heures quelques groupes se mirent en marche se tenant par le bras, dans le dessein de se promener à Lyon comme au 25 octobre ; mais bientôt devait commencer une série de malheurs, malheurs incalculables qui devaient porter pendant trois jours la désolation dans notre ville. Des gardes-nationaux de la 1re légion, principalement des rues habitées par le commerce, s'étaient rassemblés dès le matin ; moins pacifiques que les ouvriers, ils s'étaient munis de cartouches et étaient décidés à les disperser par la force des armes. Ils étaient échelonnés depuis le bas de la Grande-Côte en longeant la rue des Capucins jusqu'à la place de la Croix-Pâquet ; ce fut vers les onze heures et demie que les ouvriers de la Croix-Rousse furent en vue du piquet établi dans la Cour du Soleil à la Grande-Côte ; là, sans aucune sommation, ils furent accueillis par une fusillade... Aveuglement inconcevable ! funeste initiative que le Précurseur a voulu pallier en laissant dans le doute de quel côté était venue l'agression. Dans cette première décharge huit ouvriers furent grièvement blessés ; ainsi surpris sans défense ils remontèrent la Grande-Côte en toute hâte et portèrent l'alarme dans la ville de la Croix-Rousse ; des cris aux armes ! se firent aussitôt entendre de toute part ; la population presque entière s'arma, on ne pensa qu'à la défense ; des barricades furent élevées sur tous les points, et les ouvriers qui dans l'imprévoyance de tels événement n'avaient songé à se procurer ni armes ni munitions, ne durent plus que se dévouer à la mort comme leurs frères.
Ce fut après cette première scène que M. le préfet et M. le général Ordonneau, commandant en chef la garde nationale, se rendirent à la Croix-Rousse pour juger par eux-mêmes et de la situation des esprits et des dangers qui semblaient vouloir menacer notre cité. Tandis que MM. le préfet et le général cherchaient à concilier les esprits, leur autorité était méconnue et une colonne de gardes nationaux et de troupes de ligne vinrent attaquer les barricades de la Croix-Rousse ; les assiégés se croyant trompés retinrent MM. le préfet et le général en otage. Ici, sans doute, le peuple aurait dû penser que le préfet était ce magistrat qu'il avait appelé son père, titre justement mérité, et que le général était étranger aux débats qui avaient lieu ; mais un peuple à la misère duquel on ne répond que par des feux de pelotons ne raisonne pas toujours juste. Cependant (et nous pouvons le dire sans craindre d'être démentis ni par le magistrat ni par le général) aucune insulte ne leur fut faite ; des ordres pacifiques étaient à chaque instant envoyés par eux, on n'en fit aucun cas. Alors un combat sanglant s'engagea entre la ligne, la garde-nationale et les ouvriers ; et les assaillants, combattant contre des hommes sans munition et la moitié sans armes, restèrent maîtres de toutes les positions qui dominent la place de la Croix-Rousse. La nuit mit enfin un terme au combat ; à huit heures du soir M. le préfet se présenta aux ouvriers sur la porte du Louvre, et après une allocution où se peignait l’ame généreuse du premier magistrat, il leur dit ces propres paroles : Ouvriers, écoutez-moi ! Si vous croyez un seul instant que j'aie trahi vos intérêts, gardez-moi en otage ; mais si vous croyez que je puisse vous être utile, laissez-moi retourner à mon administration. Ces paroles furent accueillies par des cris de vive le préfet ! Vive notre père ! Aussitôt une vingtaine d'hommes armés s'offrirent pour lui servir d'escorte, et il partit, accompagné par une foule attendrie qui répétait les cris de vive le préfet ! Vive le père des ouvriers ! Le général Ordonneau resta encore en otage et ne fut mis en liberté qu'à deux heures du matin, après avoir promis de faire cesser le feu.
Le mardi la fusillade recommença dans les rues qui aboutissent à la Croix-Rousse ; les ouvriers se voyant trompés d'après les promesses du général Ordonneau, sonnèrent le tocsin et firent battre la générale ; alors un combat acharné commença pour durer toute la journée. Pendant cette lutte sanglante féconde en traits de courage et de générosité, les ouvriers combattirent comme des héros, et, nous le répétons, il est à déplorer que tant de nobles actions n'aient point eu pour but le salut et la gloire de la patrie. Tandis que le combat était ainsi engagé, les ouvriers de la rue Tholozan et des rues adjacentes prirent aussi les armes et se portèrent vers la côte des Carmélites où montaient des troupes de ligne et quelques gardes nationaux ; des barricades furent élevées. Divers combats eurent lieu dans cette direction, dans la rue de l'Annonciade dominée par la place Rouville et la maison Brunet, où les ouvriers avaient pris position, à la côte des Carmélites et au Jardin des Plantes. Là une poignée d'hommes soutint le choc de plusieurs compagnies. Cette défense imprévue des ouvriers et maîtres de la rue Tholozan fit faire une diversion qui fut très utile aux ouvriers de la Croix-Rousse. Enfin le combat devint général ; la population ouvrière des Broteaux, de la Guillotière et de St-Just se mit en mouvement. Des barricades de planches et de madriers furent construites sur les quais de la Saône et du Rhône, sur les ponts de la Saône, dans les rues, etc. Vers les dix heures le général Roguet, qui avait fait établir une batterie sur le port St-Clair, pour empêcher le passage du pont Morand et du pont Lafayette, ordonna de tirer sur les Broteaux, d'où les ouvriers entretenaient un feu nourri, dirigé sur le quai du Rhône. Toute la ville fut bientôt un vaste champ de bataille ; pas un seul quartier qui n'eût son combat ; les rues étaient dépavées et une grêle de tuiles tombait sur les troupes de ligne. Les compagnies entières mettaient bas les armes, et les ouvriers étaient maîtres des casernes des Collinettes et de Serin. Enfin les troupes repoussées de partout ne songèrent qu'à la retraite.
Dans ces journées où l'on a calomnié les intentions, où l'on a voulu donner un but politique à ce qui n'était que la misère secouant ses haillons, un fait seul justifie la classe ouvrière. Dans un combat partiel qui se livra le mardi sur la place des Cordeliers, le peuple monté sur les toits lançait des pierres sur la troupe de ligne ; les soldats ayant mis bas les armes, les pierres ne cessaient de tomber, quand un homme, pour faire terminer le combat, sortit un mouchoir blanc et l'agita en signe de paix, en s'écriant à ceux qui étaient sur les toits : Cessez ! Cessez ! ils ont mis bas les armes ! Une grêle de pierres tomba de nouveau et tout le peuple se mit à crier : Cachez cette couleur ! Qu’elle disparaisse ! Nous n’en voulons point !
Le soir, les forces militaires, et ce qui restait de la garde nationale en armes étaient resserrés sur la place des Terreaux et dans l'Hôtel-de-Ville où se trouvaient réunies les autorités de la Lyon et du département.
Après une journée de mort, la nuit devait être affreuse. Le feu avait pourtant cessé, mais les rues étaient jonchées de cadavres, et la désolation était dans tous les cœurs.
Le mercredi, à deux heures du matin, deux détachements d'ouvriers s'emparèrent de la poudrière et de l'arsenal. C'est à cette même heure qu'une alarme générale se répandit dans tous les quartiers. Les autorités civiles décidèrent M. le général Roguet à quitter la ville avec les troupes qu'il commandait, et qui se composaient du 66e et de plusieurs bataillons des 40e et 13e de ligne. Les ouvriers avaient un poste à la barrière de St-Clair, qui tenta d'arrêter la colonne en retraite. Une décharge générale fut faite par la ligne, le poste se replia et le général passa avec sa colonne ; mais arrivée le long du quai d’Herbouville, elle fut accompagnée par des feux et une grêle de tuiles jusqu'au bout du faubourg de Bresse où, se croyant toujours poursuivie, elle tira quelques coups de canon à mitraille. La nuit était obscure, on entendait des feux nourris qui se mêlaient aux cris aux armes ! Et au tocsin que sonnaient presque toutes les cloches. Ce fut la dernière scène de ce drame épouvantable, drame affreux où le sang français a été versé à flots, où des concitoyens se sont déchirés entre eux… Ah ! Que n'est-il en notre pouvoir de jeter un voile sur tant d'erreurs ! Que n'est-il en notre pouvoir de faire oublier ces journées de désastre et de deuil ! Hommes de toutes les classes qui avez échappé au trépas, tendez-vous la main ! Oubliez le passé ! C’est cette patrie que vous aimez tous qui vous en conjure ! Que les haines s'éteignent, et que des jours plus heureux succèdent enfin à ces jours de détresse et de mort.Dans la matinée, tout était calme, mais d'un calme affreux ; les boutiques étaient toutes fermées, et les combattants erraient par les rues avec leurs armes ; cependant on voyait déjà que Lyon n'avait rien à craindre des vainqueurs ; des sauvegardes avaient été placées par les ouvriers à la porte de plusieurs négocians, principalement de ceux qui avaient provoqué le plus la classe industrielle. De fortes gardes furent établies dans les quartiers commerçants, et les autorités reprirent leurs fonctions."

mercredi 30 janvier 2008

lundi 28 janvier 2008

Les cinématographes à la Croix-Rousse

CINÉMA (LE) 18 rue Saint-Polycarpe (1er arrondissement).Ouverture en 1976.Cinéma d'Art et Essai (catégorie Recherche).Spécialisé à l'ouverture dans les films expérimentaux, ensuite dans les films de répertoire.Fonctionne en 16m/m jusqu'en 1990 puis en 35m/m (à partir de cette même année).Propriétaire : S.A.R.L. Le Cinéma (gérant : Georges Rey)

C.N.P. LYON 40 rue du président Édouard Herriot (1er arrondissement).Ouverture en 1976.Autres noms : C.N.P. LYON TERREAUX (1982-1985), C.N.P. TERREAUX (à partir de 1985).
Les quatre salles sont dédiées au cinéma Art et Essai (catégorie Recherche).Exploitants : S.A. Compagnie du Théâtre de la Cité, Gilbert, Planchon.

CROIX-ROUSSE (CINÉ)
6 place des Tapis (4ème arrondissement).Mentionné de 1901 à 1927 dans l'indicateur Henri.Exploitants connus : Geoffray et Girod.

DIDEROT (LE) 7 rue Diderot (1er arrondissement).Installé par Dargère en 1915.Autres noms : LACROIX, MON CINÉ (1953-1958).Exploitants connus : Dargère (1915), Raclot (1918), Dufreney (1919), Vierne-Imbert (1919), Borcier (1919), Pernod (1920), Barbier et Bavosat (1920), Lambert (1921), Poirieux, Guidot, Gobert, Villeboeuf, Clère, Lacroix (1933), Massa (1953-1958).Fermeture le 23 décembre 1958.

DULAAR 8 place de la Croix-Rousse (4ème arrondissement).Attesté à partir de 1912 (Rapin, Chroniques croix-roussiennes, 1987).Autres noms : FORCHERON CINÉMA (1920), LA PERLE (1937-1960).Exploitants connus : Dulaar (Jérôme) (1912-1919, 1921-1937), Forcheron (1920), Melle Dulaar.
Fermeture le 8 décembre 1959 : remplacé par une grande surface d'alimentation.

FAMILY (LE) 3 bis rue de Dijon (actuelle rue Eugène Pons) (4ème arrondissement).Attesté de 1922 à 1935.300 places.Exploitants connus : Guillermin, Kus (1927 - 1929), Maréchal (1930), Barthélemy (1931), Drubay (1932).

FOYER (LE) 35 rue du Bon Pasteur (1er arrondissement).Existence probable au début des années 1940 ; apparemment arrêté en 1944.

FOYER SAINT-AUGUSTIN 14 rue Bournes (4ème arrondissement).Salle paroissiale.Attesté de 1958 à 1964.Exploitant connu : Association Foyer Saint-Augustin.Arrêt de l'exploitation cinématographique le 21 juin 1964.

GRAND-THÉÂTRE 1 place de la Comédie (1er arrondissement).Projections de petits films muets dès 1907 ; ils sont accompagnés d'oeuvres musicales (Gounod, Massenet).La salle est maintenue ouverte pendant la guerre grâce à la poursuite de cette formule.1927 à 1929 : nouvelle tentative avec des longs métrages.Sources : Bibliothèque municipale de Lyon, Trois siècles d'opéra à Lyon
(Catalogue d'exposition), 1982, pp. 178-179, programmes du Grand-Théâtre.

LACROIX 27 place de la Croix-Rousse (4ème arrondissement).Attesté de 1920 à 1933 (Rapin, Chroniques croix-roussiennes, 1987).Autres noms : ALPHONSE, LE SELECTA (1931).Autres activités : café, salle des fêtes.Exploitants : Lacroix, Laurier.

MARLY (LE) 32 rue de la Vieille Monnaie (actuelle avenue René Leynaud) (1er arrondissement).Attesté de 1941 à 1981.Installé dans l'ancienne brasserie Chevallon aménagée en salle de cinéma par l'architecte Berne de Gervésie au cours des années 1939-1940.318 places.Autre nom : LE CANUT (1974-1981).Classé Art et Essai le 1er janvier 1976, classé catégorie Recherche le 28 avril 1984.Exploitants connus : Blattes (dit Marly), Mme Blattes (1957-1969), de Founes (1969-1974), S.A.R.L depuis 1974).Fermeture du CANUT en 1981. Actuellement Théâtre de la Platte.

NOAILLY (LE) 136 boulevard de la Croix-Rousse (4ème arrondissement).L'établissement le NOAILLY, du nom de son propriétaire, est attesté de 1919 1920. Il est installé dans l'ancienne brasserie Dupuis.Remplacé par le PALACE CITY CINÉMA qui ne connaît pas une existence durable.1933 : la salle est transformée par l'architecte Armbruster pour donner le jour au CHANTECLAIR (capacité d'un millier de places) qui fonctionne jusqu'en juillet 1985.1977 : le CHANTECLAIR est réaménagé et divisé en trois salles : deux de 320 places et une plus petite de 79 places.Exploitants et propriétaires : Noailly, Rodiansky, Palmade et Bertholet (1961), Bertholet (1973), Jalibert (1974), Lemoine (1976), U.G.C. (1980).Fermeture le 13 juillet 1985 ; démolition en 1986.

ODÉON (L') 6 rue Lafont (actuelle rue Joseph Serlin) (1er arrondissement).Attesté depuis 1918.Autres noms : NORMANDY (1938-1969), C.N.P. OPÉRA (1970-1975), CINÉMA OPÉRA (depuis 1975).Le NORMANDY est spécialisé dans les films érotiques pendant les années 1960.Le cinéma est entièrement rénové pour l'ouverture du C.N.P. OPÉRA. Il est classé Art et Essai en 1971.Le CINÉMA OPÉRA est classé X de 1976 à 1980. A partir de 1983, il est à nouveau classé Art et Essai (après son rachat par M. Rey).Exploitants connus : Fraisse (1918), Brossy (1920 et 1933-1936), Philip (1955), Gamet (1960), Albertini (1975), Martin (1978), S.A.R.L. Le Cinéma (Rey, 1982).Façade décorée par Ben au début des années 80.Rénovation en 1988.

PHOTOGRAPHIE ANIMÉE (LA) 1 rue de la République (angle nord-est de la rue de la République et de la rue Pizay) (1er arrondissement).Attesté à partir de janvier 1896.Fermé en 1898.Exploitants : Lumière (Auguste et Louis).Programmes annoncés chaque semaine dans Le Progrès.

POINÇON 23 rue de la Tourette (1er arrondissement).Attesté en 1910.Cinéma forain.Exploitant : Poinçon.Installé en 1913 - 1914 au 2 rue Notre-Dame.

RAMEAU (SALLE) Rue de la Martinière (1er arrondissement).Activités cinématographiques attestées en 1923.Activité principale : salle de spectacles.Exploitant : Witkowsky.

RIALTO (LE) 39 rue de Dijon (actuelle rue Eugène Pons) (4ème arrondissement).Attesté de 1937 à 1964.Exploitants connus : Sahuc (1946), Martin (1951), Gonczarow (1952), Allix Courboy (1954).Fermeture le 15 mai 1964.

SAINT-BRUNO 9 rue des Chartreux (1er arrondissement).Attesté vers 1953.Salle paroissiale.Exploitants connus : Association " les Amis du Clos Jouve ", Lapp (1953), Fontaine (1956), Cottet (1959), Collet (1962). Arrêt de l'exploitation cinématographique le 4 juin 1967.

SAINT-DENIS 77 grande rue de la Croix-Rousse (4ème arrondissement).Attesté de 1920 à 1995.D'abord cinéma de paroisse, puis cinéma familial géré par l'Association Espoir du Plateau depuis 1948.Exploitants connus : paroisse Saint-Denis, Association Espoir du Plateau, Ferlay (1948), Mme Georges (1987).

TERREAUX (LES) 17 rue du Puits Gaillot (1er arrondissement).Attesté de 1907 à 1979.Autre nom : LE SPLENDOR (1911, 1932-1979).Installé dans l'ancien café de la Gaule.Exploitants connus : Bertuca, Rousset et André (1913), Micheletti et André (1914), Micheletti (1915), Herbin (1928), Pupier (1932-1936), Finand (dernier exploitant).Fermeture le 31 décembre 1979.

TERREAUX (LES) 8 place des Terreaux (1er arrondissement).Attesté depuis 1914.Cinéma parlant à partir de 1930 (appareil " synchrosonore ", 2 projecteurs simplex).Autres noms : LEXTRAT, ZOOM (1972 - 1988).Changement de format en 1972 : passe du 16 m/m au 35 m/m.Création d'une deuxième salle en 1981.Exploitants connus : Lextrat, Veuve Lextrat (1932 - 1936), Bouvet (1972).Fermeture le 28 septembre 1988.

dimanche 20 janvier 2008

En savoir plus

Par mesure d’économie ?
Sur la plaque ronde de la fontaine de la place Louis Pradel, est écrit un vers : « Permets m’amour penser quelque folie », mais il n’est pas signé ! Est-ce parce que chacun est sensé connaître par cœur l’œuvre de Louise Labé ou par mesure d’économie ? Et puis, pourquoi n’avoir pas mis le titre du sonnet… par pudeur ? Il est vrai que : « Baise m’encor, rebaise-moi et baise »aurait fait frémir plus d’un Lyonnais se rendant à l’Opéra ou à l’Hôtel de Ville !

Mariage royal
Souvent le visiteur qui lève son regard sur la façade de l’Hôtel de Ville se demande qui est cet homme fier sur son cheval. Une fois renseigné, il s’agit d’Henri IV, il ne peut s’empêcher de demander pour quelle raison les Lyonnais l’honore, la poule au pot n’entrant pas dans les spécialités culinaires des gones. C’est que le 17 décembre 1601 il convola en justes noces avec Marie de Médicis en la cathédrale Saint-Jean. Lyon vaut bien un second mariage…

La fresque de la Bourse du Travail
Les murs peints sont à la mode et personne ne s’en plaint. Il y a une fresque beaucoup plus ancienne sur la façade de la Bourse du Travail. Cette mosaïque de 172 m² est due à Ferdinand Fargeot à qui l’on avait imposé un thème : « La vie embellie par le travail ». Les personnages représentants des ouvriers côtoient six personnalités. Trois architectes, Meysson, Baud et Gabriel Rambaud, le docteur Sahuc, le fondateur de la coopérative « l’Avenir » et Edouard Herriot maire de Lyon.

Faute d’orthographe ?
Sur le plateau croix-roussien une rue porte un nom qui est souvent sujet à polémique. En effet la rue de Nuits a un S ! Certains guides assurent qu’il s’agit d’une faute d’orthographe, soupçonnant ainsi les employés de la Ville d’être mauvais en français. Et bien ces derniers ont raison car il s’agit d’évoquer la bataille du 18 décembre 1870 de Nuits-Saint-Georges où tant de Lyonnais trouvèrent la mort. Cette tragédie donna lieu à une émeute à la Croix-Rousse.

L’auteur des grilles du Parc
La porte monumentale du Parc de la Tête d’Or fait l’admiration de tous. Elle n’est d’ailleurs pas sans rappeler les grilles de la place Stanislas à Nancy qui elles sont l’œuvre de Jean Lamour. A Lyon c’est le serrurier d’art Joseph Bernard qui les réalisa en 1901. Ce bon gone est l’exemple même d’une réinsertion réussie. En effet il sortait de prison pour activités anarchistes quand on lui confia se travail pour un prix non négligeable : 104 800 francs or !

La première coopérative est lyonnaise
Au 95 de la montée de la Grande Côte une plaque rappelle qu’ici fut fondée en 1835 la première coopérative de consommation : « Le commerce Véridique et Social. Inspirée par les idées de Fourier elle prouve combien les tisseurs sur soie n’hésitaient pas à imaginer une société fondée sur la solidarité et la fraternité. Un petit monument dans le jardin des plantes rappelle ce grand rêve et honore les deux principaux créateurs, Michel Derrion et Joseph Reynier.

Pierre Poivre : un casse tête pour les biographes
Une rue du 1er arrondissement rend hommage à Pierre Poivre (1719-1786), grand voyageur, naturaliste et économiste de talent. Il est un casse tête pour les biographes. En effet on a écrit que c’est lui qui avait donné son nom à cet épice, il n’en est rien. Le « piper aromaticus » était connu depuis longtemps. D’autre part on le fait mourir à Saint-Romain-de-Couzon alors que le docteur Beauvisage assure qu’il décéda place Louis-le-Grand, aujourd’hui place Bellecour.

Impressionnant mâchon !

Le premier mâchon des Amis de Guignol se déroula à la brasserie Kléber, place de la Comédie le 24 février 1914, à 7 h ½ du soir. Ils sont soixante gones à s’attabler pour un repas qui laisse rêveur. Qu’on en juge : « paquets de couenne, gratons, os de china, rouelle de veau, gratin de pommes de terre, dinde de marrons, salade de groin d’âne et de dents de lion avec « de z’harengs », bugnes, fromage bleu, rigotes, rougerets, dessert et pots de Beaujolais… une moyenne de…trois pots par personne !

La colline aux trois 8

Le regretté René Dejean désignait Fourvière comme la colline aux trois 8. Le 8 septembre 1643 date depuis laquelle le chef du diocèse bénit la ville et le maire fait don d’un écu. Le 8 décembre 1852 quand les habitants mirent spontanément des lampions aux fenêtres en honneur de la statue de la Vierge et le 8 octobre 1870 qui rappelle la promesse faite d’édifier une grande chapelle si les Prussiens n’entraient pas à Lyon. Un vœu exaucé et une promesse tenue : la basilique.

Les devises de Lyon
La devise la plus connue est sans doute : « Avant ! Avant ! Lion le Melhor ! » C’est le cri que poussaient les commerçants et artisans, les bourgeois de la rive gauche, en lutte contre le clergé pendant la rebeyne de 1269. L’autre devise : « Suis le Lion qui ne mord point sinon quand l’ennemi me poingt » est un extrait d’un poème de Clément Marot écrit en 1536 dans lequel il évoque également le « Lion plus doux que cent pucelles. »

lundi 14 janvier 2008

Bambane avec l'Esprit Canut

Bambane avec l’Esprit Canut

En décembre 2005, l’association L’Esprit Canut m’a demandé d’accompagner par des commentaires une déambulation, la marche des chelus, du nom de la lampe qu’utilisaient les tisseurs pour travailler la nuit, à travers la Croix-Rousse. Une manifestation à laquelle ont participé plusieurs associations.

Place Joannès Ambre
Nous sommes le 8 décembre 1852 … Depuis le 24 mars la Croix-Rousse n’est plus une ville indépendante mais un arrondissement de Lyon… comme Vaise, comme la Guillotière qui s’étend des marais des Brotteaux aux lônes de la Mouche et Gerland. La Croix-Rousse essuie encore ses plaies sanglantes provoquées par les affrontements entre les héritiers de Chalier, partisans d’une République vertueuse à la façon de Robespierre, les Voraces, et la troupe, le 15 juin 1849. De 30 à 100 morts. En cette année 1852 les Croix-Roussiens pensent à autre chose. On leur a promis depuis l’année passée, une Vierge de l’Immaculée Conception, haute de 5 mètres et revêtue d’une épaisse couche d’or. Une œuvre assez simple, sans détails qui ne seraient pas visibles à cette hauteur. Le gone chargé de la sculpter s’appelle Joseph Hugues Fabisch, il est professeur à l’Ecole des Beaux-Arts. Il va devenir un spécialiste des Vierges puisqu’on lui confiera plus tard celle de Lourdes et celle de la Salette. Le travail de la fonte du bronze est confié aux ateliers Lanfrey et Constant Baud, des Lyonnais, installés du côté du Vieux Lyon, au bord de la Saône. Ils doivent livrer le 8 septembre, jour le fête de la Vierge, mais y a eu des problèmes. Le boulot prend du retard, des inondations paraît-il… Alors ça sera le 8 décembre, une date qui rappelle le vœu des échevins de 1643. On a prévu une couronne de fusées aux étoiles bleues et blanches et les Lyonnais se pressent vers Fourvière. Seulement voilà… le ciel se déchaîne… c’est la tempête et le matériel d’illumination ne peut être posé. Les édiles de la ville annulent l’éclairage, se mettent au chaud en vidant le buffet préparé et discutent de choses et d’autres…
Pensez les fenottes et les gones d’en bas, y sont déçus. On leur avait promis un feu d’artifice et rien. C’est tout sombre en haut de Fourvière qui n’a pas encore la basilique. On ne voit même pas la Vierge plaquée d’or. Et voilà qu’apparaissent sur les fenêtres, une, puis dix, puis cent, puis mille bougies ! Des somptueux quartiers comme des immeubles ateliers des Canuts… y en a partout ! Deux ans avant le dogme de l’immaculé Conception fixé au 8 décembre, les Lyonnais célèbrent Marie et depuis… ça continue…

Eglise Saint-Denis
Nous sommes en 1624. Les Croix-Roussiens et les habitants de Cuire sont plutôt contents. C’est que chenuses fenottes et bons gones, depuis le temps qu’ils réclamaient un lieu de culte, c’est aujourd’hui chose faite. C’est comme aujourd’hui pour des salles de réunions, des espaces verts, voir des parkings… y faut réclamer sans relâche, savoir être patients sans se décourager. C’est ce qu’ils ont fait les chrétiens du XVIIème siècle de Cuire-la Croix-Rousse. Les moines Augustins Réformés qui avaient été accueillis en France par Louis XIII, ils ont retroussé leurs manches de leurs robes en bure, craché dans leurs mains et construit une chapelle et un couvent. Comme il faut laisser le temps au temps, 90 ans plus tard on consacre la chapelle qui sensément avant ça, n’était pas tout à fait aux normes spirituels. On se gratte un peu le cotivet pour savoir qu’elle nom on va lui donner. Un gone plus futé que les autres ou qui avait lu les bouquins du père Bobichon lève le doigt : « belins belines (en fait il n’a dit que belin parce que d’après ce qu’on dit les femmes n’avaient guère la paroles à cette époque) il dit donc le gone futé : « Belins, y a qu’à dédier la chapelle à Saint-Denis, vu qu’il fut un des bonhommes convertis par Saint-Paul à Athènes et comme, vous me suivez, l’évêque de Marquemont qui avait accueilli les Augustins à Lyon, son petit nom c’est Denis… y va être tout joye le monseigneur et par les temps qui coure vaut mieux avoir des sponsors à la hauteur ! » A la Révolution, les Croix-Roussiens font comme les autres, ils écrivent sur des cahiers d’écoliers tout leurs rouspétances et notamment ils demandent que la chapelle devienne église paroissiale sous le vocable d’église Saint Augustin en souvenir des moines. Seulement c’est une période très agitées et aussi sec, on transforme St Augustin et on donne à ce lieu le nom beaucoup plus révolutionnaire de « temple décadaire ». Aucun succès. Alors on essaie « temple de la Raison ». Pas mieux. En définitive, on revient au vocable de St Denis et sa fonction d’église. Les canuts qui arrivent à la Croix-Rousse à partir de 1810 offriront une bannière encore visible aujourd’hui. Témoin de la tolérance des Croix-Roussiens, l’Amicale Laïque réside dans les anciens locaux du monastère depuis plus de 100 ans !

Angle Grande Rue – rue du Chariot d’Or
La Grande Rue, notre plus ancienne voie, est bordée de part et d’autre de maisons qui sont comme autant de témoins de l’histoire de la Croix-Rousse. Son dynamisme économique n’est pas à prouver et il en a été toujours ainsi. Normal quand on sait qu’au sud, elle se termine par la place de la Croix-Rousse qui fait face à la porte d’accès à Lyon. Elle est fermée la nuit cette porte. Les voyageurs, les marchands doivent pouvoir se restaurer, dormir en attendant de pénétrer dans la ville de Lyon. De chaque côté de la Grande-Rue, des auberges, des mécaniciens qui réparent les charrettes, les chariots, les diligences qui ont souffert pendant les longs trajets. Certains aubergistes astucieux font comme à Lyon, ils accrochent à leurs portes cochères, un fagot de branchages signalant ainsi qu’il est possible de « bouchonner » les chevaux… On désignera ces lieux hospitaliers, où la cuisines est excellente… les bouchons, tout simplement. Autre avantage de la Grande-Rue de la Croix-Rousse, tout y est moins cher… Opération commerciale… ??? Peut-être mais surtout les octrois, les taxes y sont moins importantes qu’à Lyon. D’ailleurs le bourgeois lyonnais ne s’y trompe pas et vient le dimanche et les jours de fêtes carillonnées s’encanailler à la Croix-Rousse et se rincer le corgnolon sans vergogne dans l’auberge du Chariot d’Or par exemple... Et puis c’est la campagne tout autour de la Grande-Rue. A l’ouest les propriétés religieuse, à l’Est, des vignes, des jardins et quelques propriétés de Lyonnais. Leurs maisons de campagne, leurs gloriettes… Mais au début du XIXème siècle, tout va changer… on va le voir plus loin… suivez moi…

Place Bertone
L’ancienne place de la Visitation… et la première école de tissage… Les canuts, comme les imprimeurs savent lire et écrire, envoient leurs enfants à l’école. N’ont-ils pas créé leur premier journal, l’Echo de la Fabrique, en 1831 quelques semaines avant leur révolte. Ils lisent, discutent, écrivent. Le savoir est un bien précieux pour eux. Mettre sur pied le mutuellisme, les épiceries sociales nécessitent cette maîtrise du calcul, de la phrase, de l’argumentation. Plus près de nous, un autre gone qui habitait à deux pas d’ici, écrira du fond de sa cellule, une page combien émouvante… C’est Marcel Bertone, jeune militant communiste… il s’adresse à sa fille…

« Ma petite Hélène. Lorsque tu liras cette lettre ton petit cerveau commencera sans doute à comprendre la vie. Tu regretteras de ne pas avoir à tes côtés ton papa et ta maman. Mon Hélène, tu dois savoir un jour pourquoi ton papa est mort à vingt et un ans, pourquoi il s’est sacrifié, pourquoi il a fait semblant de t’abandonner… Ma petite Hélène, il est deux heures, il faut être prêt. Il faut me dépêcher… Apprends à connaître les raisons pour lesquelles je suis tombé. Apprends à connaître ceux qui t’entourent et juge les gens non d’après ce qu’ils te diront, mais d’après ce que tu les verras faire…Aie l’esprit de sacrifice pour les choses nobles et généreuses. Ne te laisse pas arrêter par les choses qui paraîtront te convaincre que ton sacrifice est vain, inutile… Si dans la vie tu ne connais pas la richesse, console-toi en pensant que là ne se trouvent pas les sources du vrai bonheur. Choisi un honnête travailleur pour mari. Choisis-le généreux, aimant travailler, capable de t’aimer. Ma fille, en pensée, je t’embrasse. On ne nous a pas accordé l’autorisation de nous voir. Peut-être cela vaut-il mieux ? Adieu Hélène, ton papa est mort en criant : « Vive la France »
Fait à la prison de la Santé, le 17 avril 1942, date de mon exécution. Marcel Bertone.
Ne baisse pas la tête parce que ton papa est fusillé. »


Angle rue du Chariot d’Or – rue Dumont D’Urville
Les fils d’or, d’argent et de soie sont exclusivement tissés à Lyon depuis 1536. A Lyon… pas à la Croix-Rousse. Du côté de Saint-Jean, Saint-Georges, Saint Paul et montée de la Grande Côte. Seulement voila-t-y pas qu’un gone, Joseph Marie Charles dit Jacquard vers 1805, invente pour le tissage, un système de cartons perforés assurant mécaniquement la levée des fils de chaîne permettant selon le décor voulu, le passage des fils de trame lancés par le tisseur au moyen d’une navette. Entre nous cette amélioration va entraîner la suppression d’un emploi, celui du tireur de lacs, et ne sera réellement utilisé que sous la Restauration. N’empêche, si les canuts veulent être compétitifs il faut qu’ils utilisent cette nouvelle mécanique qui se place au dessus du métier. Les ateliers du Vieux Lyon ont des plafonds trop bas. Il faut plus de 4 mètres. Le haut des pentes et le plateau Est de la commune de la Croix-Rousse sont peu construits. A l’Ouest, des propriétés religieuses. Ce n’est pas là que l’on va construire. Par contre au levant, des jardin, des vignes, de petites propriétés bourgeoises, des maisons de campagnes, les gloriettes. On peut acheter et construire très rapidement des immeubles-ateliers. De hautes fenêtres, sur les vitres du papier collant pour que la lumière soit diffusée mais que les rayons du soleil ne viennent pas décolorés les fils teints. Pas de balcon, par de chapiteaux ou d’embellissement de la pierre…c’est une architecture d’usine. A l’intérieur les métiers mais aussi une alcôve pour le chef d’atelier et sa fenotte, le chef d’atelier c’est le canut propriétaire des moyens de production. A mi-hauteur un plancher pour que les compagnons, les apprentis et les enfants du couple puissent dormir… la soupente… aujourd’hui mezzanine.

Place Bellevue
1865… Depuis 13 ans la Croix-Rousse est Lyonnaise… mais nom d’un rat c’est pas très pratique d’aller à Lyon… c’est que les remparts, plus ou moins détériorés par les différentes révoltes sont encore bien présents. Avec à l’Ouest le fort St Jean, sur le bords de la Saône et à l’Est, le fort St Laurent. On va les démolir les remparts et il ne restera plus que la porte du gymnase militaire, derrière la poste, sur le terrain du Crédit Lyonnais, et les deux forts, dont celui-là. Construit comme les immeubles ateliers avec la pierre de la carrière de Couzon, la même pierre que la croix de couleur orangée… de couleur rousse, érigée à la fin du XVème siècle… eu nord de la commune à la limite de Caluire. C’est elle qui va donner son nom à l’ensemble de la paroisse, de la commune, de la colline. Les immeubles ateliers que nous allons longer jusqu’à la place Colbert ont été témoins des combats des révoltes… pendant trois jours.
Marceline Desbordes Valmore, poétesse était là…

« Quand le sang inondait cette ville éperdue,
Quand la tombe et le plomb balayant chaque rue
Excitaient les sanglots des tocsins effrayés,
Quand le rouge incendie aux longs bras déployés,
Etreignait dans ses nœuds les enfants et les pères,
Refoulés sous leurs toits par les feux militaires,
J’étais là ! Quand brisant les caveaux ébranlés,
Pressant d’un pied cruel les combles écroulés,
La mort disciplinée et savante au carnage,
Etouffait lâchement le vieillard, le jeune âge,
Et la mère en douleurs près d’un vierge berceau,
Dont les flancs refermés se changeaient en tombeau,
J’étais là : j’écoutais mourir la ville en flammes ;
Savez-vous que c’est grand tout un peuple qui crie !
Savez vous que c’est triste une ville meurtrie,
Appelant de ses sœurs la lointaine pitié,
Et cousant au linceul sa livide moitié,
Ecrasée au galop de la guerre civile ! »


Place Colbert et la cour des Voraces
Mort à la fin du XIXème siècle, Nizier de Puitspelu nous parle des Voraces. « Ca date de 1846. Pas de but politique au départ. Quelques ouvriers canuts voyant que les cafetiers de la Croix-Rousse ne pouvaient se résoudre à servir le vin au litre, se liguèrent pour obtenir cette réforme. Ils se rendaient par petits groupes dans les cafés et demandaient un litre de vin. Le patron répondait invariablement : Nous ne servons qu’à la bouteille. » Les canuts de sortir et d’aller dans un établissement voisin renouveler l’expérience. D’où le nom de Voraces.
Ce fut là le début de cette société absolument distincte des autres organisations ouvrières du quartier, des Ferrandiniers et des Mutuellistes. Le Voraces commencèrent à se réunir périodiquement chez Mme Maréchal, à l’angle de la rue Austerlitz et du Mail. Le samedi et le lundi. Au début de 1848 quelques canuts politisés décidèrent d’admettre dans ces réunions que des républicains. 300 à la chute de la Monarchie de Juillet.
Le 24 février ils descendent à Bellecour sans armes, sans uniforme, pour s’emparer du poste. Puis ils se rendent à l’Hôtel de Ville dont ils font le siège. Ils donnent l’assaut à coup de pierres. Ils deviennent maîtres de l’Hôtel de Ville. Puis à la Préfecture (Place des Jacobins) Tout cela dans la soirée. Le lendemain ils se rendent au fort St Laurent. Ils prennent les armes. Puis ils s’emparent du séminaire du bas de la côte St Sébastien. Puis le bastion en face du Mont Sauvage. (2 tués)
Ils tiennent le bastion des Bernardines, le fort de Montessuy, le fort St Laurent, le Palais de Justice.
Le 18 mars Arago vient à Lyon. Il les persuade qu’il ne vient pas pour renverser la République. Les Voraces se retirent des forts. Les sociétés disparaissent.

Le Boulevard de la Croix-Rousse
Le boulevard de la Croix-Rousse… c’est d’abord l’étrange bruit des étals dans la nuit usée par sa veille. Le geste machinal qui installe par habitude les tréteaux, soulève les cagots de légumes, aligne les rondeurs brillantes des fruits sous la lumière épuisée d’un réverbère. Le silence se déchire en gémissant dans la clarté hésitante du matin. Les rêves ont fait le voyage et cherchent encore à poursuivre leur brève existence. Le peuple des maraîchers met en place le décor d’une matinée qui reste encore tapis dans les coulisses.
Un juron claque sur l’asphalte. Un éclat de rire le relève, suivi d’un mot qui vient réveiller les bonjours qui tardaient à se manifester.
Le soleil n’est pas en reste. Comme s’il n’attendait que ce signal, il tend le bras pour flatter la verve du peuple du boulevard. Les conversations s’imposent, passent d’un banc à un autre, se croisent, se heurtent parfois et rebondissent sans toujours se relever.
Les ardoises se couvrent de chiffres, les balances se redressent, une tomate malade qui s’était glissée en douce pour réchauffer sa vieille peau est expulsée sans ménagement, un bataillon de plantes aromatiques distribue des rêves de vacances, les regards des premiers clients s’attardent, hésitent, comparent.
C’est ainsi que le peuple du boulevard peu à peu se retrouve. Par touches successives, suivant un rite immuable, maraîchers et chalands transforment le boulevard de la Croix-Rousse en un théâtre de la vie. Point de dialogues écrits ciselant les répliques, point de répétition réglant le mouvement lent des uns, la déambulation saccadée des autres et pourtant chacun tient sa place. Tout en innovant, tout en créant des scènes improbables, des dialogues qui échappent aux bibliothèques poussiéreuses, aux anthologies poétiques.
Quand le soleil débarrassé des brumes qui voilent son regard, s’accoude d’un air gourmand à la terrasse d’un nuage, le mouvement s’amplifie et mêle dans un désordre rassurant les habitants que la vie aurait dû séparer.
Le peuple du boulevard sait des jours de pluie. Quand le marché s’étire avec peine sur le bitume luisant. Quand les gouttes s’amusent à rebondir de la bâche qui pleure à la joue du gamin. Le vent s’invite aussi à ces matins de deuil. Il gifle l’étal, défeuille les platanes, courtise les parapluies à la hussarde, et repart hilare, content de lui
Le peuple du boulevard se sépare, peu à peu. Quelques choux-fleurs tendent la main à des mains fatiguées qui guettent quelques espoirs. La misère n’ignore pas le marché.

Place des Tapis
Le boulevard… c’est la vogue de la Croix-Rousse… S’il est difficile de préciser la date exacte de sa création, on peut la situer à l’époque de la construction par les Augustins en 1624 de l’église dédiée à l’évêque Denis de Marquemont. Or la saint Denis se fête le 9 octobre, époque de la récolte des marrons et du premier vin blanc peu fermenté et les paroissiens ont décidé de célébrer le saint patron. Au fil du temps elle est devenue vogue. Quand à sa configuration, voilà un témoignage d’un ancien, rédigé à la fin du XIXème siècle.
« Toute la Grande-Rue était encombrée de faiseuses de matefaims, de marchands de pâtés aux poires cuisse-dame ou aux brignoles, et de rissoleurs de marrons ; car vous n’ignorez pas que la vogue de la Croix-Rousse est en possession de privilège immémorial d’offrir aux promeneurs les premiers marrons de la saison et le premier vin blanc – l’un, sans doute, corrigeant l’autre. Sur la place, c’était une cohue dont on ne peut se faire une idée, en se rappelant que le boulevard n’existait pas et que tout était massé sur le marché (petite place de la Croix-Rousse) et l’étroit carré où s’élevait la croix. A peine quelques baraques perdues s’aventuraient à l’entrée du cours des Tapis. De tradition, le cirque était toujours dressé contre le gymnase militaire et M. Roque, « physicien du roi », trônait le long du rempart. »
Le boulevard… c’est aussi les funiculaires… les ficelles et celle de la croix Pâquet… qui nous offrit le Gros Caillou… la ficelle Croix-Pâquet et le dernier voyage d’homme libre de Jean Moulin
21 juin 1943 : Tony de Graff amène le colonel Schwarzfeld à la Ficelle Croix-Pâquet où celui-ci retrouve Raymond Aubrac et Jean moulin. Aubry, Hardy et Lassagne prennent la ficelle au environ de 14 h place Croix-Pâquet. Ils arrivent à la gare supérieure (aujourd’hui le petit terrain de sport à l’angle de la rue Vaucanson) et se rendent place de la Croix-Rousse. Aubry et Hardy prennent le tram 33 en direction de Caluire. André Lassagne est à bicyclette. Vers 14 h 30, C’est au tour de Jean Moulin et Aubrac de prendre la ficelle. Au terminus ils attendent une demi-heure le colonel Schwarzfeld et se rende chez Dugoujon.
Arrive un peu plus tard, la gestapo…

Ainsi s’achève la marche des chelus chantant… Nous allons rejoindre la place de la Croix-Rousse et continuer à chanter. Avant de me taire, avant que vous entonniez le chant qui ici nous est si cher, celui des Canuts, une chose encore. Il est arrivé que certains s’interrogent et ce demande s’il était convenable d’utiliser le mot de Canut qui paraît-il serait injurieux à l’égard des maîtres tisseurs. En 1832, les tisseurs se posaient déjà la question et l’Echo de la Fabrique organisait un grand concours pour trouver une autre appellation. Mais dans le courrier reçu à la rédaction du journal des ouvriers en soie, une lettre qui devrait aujourd’hui régler une fois pour toute ce problème :

« J’ai cru, Monsieur, que c’était une plaisanterie que votre concours ouvert pour trouver un nom euphonique, dites-vous, à la classe générale des ouvriers en soie. Je vois avec peine que vous y persistez : pourquoi donc, enfants ingrats, rougirions-nous du nom que nos pères nous ont laissé ! Pourquoi cette susceptibilité, pour mieux dire, cette pruderie ? Qu’a donc de déshonorant le nom de canut ? Qu’importe que ce soit par raillerie ou autrement qu’on nous le donne ? Par lui-même un mot n’a rien de fâcheux.
Appelons-nous canuts et soyons citoyens.
Votre concours à mon avis est inutile, et son but est oiseux ; ce n’est pas de trouver un nom à notre profession qu’il faut vous enquérir, permettez-moi de vous le dire, mais bien des améliorations à notre état social. Je me suis laissé dire que dans une ville qu’on appelait Byzance, et qui était assiégée par une armée ennemie, des moines qui l’habitaient discutaient gravement une question théologique ; pendant ce temps l’ennemi prit la ville, et les moines allèrent en esclavage continuer leur lumineuse discussion. Sans remonter à une époque éloignée, sous le consulat de Bonaparte, on discuta beaucoup sur l’importance relative des mots citoyens et Monsieur ; et pendant ce débat, la république périt Serions-nous, par hasard, à notre insu, dans une position analogue.
Je vous propose donc de fermer une discussion au moins intempestive, et de chercher au contraire à rendre au nom de canut toute la gloire qu’il mérite, étant porté par des hommes probes et laborieux.
Intitulez-vous hautement journal des canuts, on en rira d’abord, ensuite on s’y accoutumera ; ce nom deviendra aussi noble que celui de banquier, médecin, avocat, etc., et vous aurez fait un acte de haute sagesse. »
Labory.


Robert Luc le 8 décembre 2005