mardi 1 janvier 2008

L'histoire des remparts et du boulevard de la Croix-Rousse

L’histoire des remparts de la Croix-Rousse et du boulevard

A la Croix-Rousse, peut-être plus qu’ailleurs, nous adorons brouiller les cartes, faire que celui qui veut évoquer le passé du quartier se trouve confronté à de multiples obstacles, à de nombreuses fausses routes où une parcelle de vérité historique va se heurter à la part de légende, où les mots employés ne sont pas exactement ceux qu’il faudrait employer, où les légendes deviennent vérités, où la vérité se trouve relookée afin d’être conforme à l’idée qu’on s’en fait.

Les exemples sont nombreux. A commencer par le mot canut qui résulterait d’un jeu de mot digne de l’almanach Vermot « … tiens voilà des cannes… nues ! » D’ailleurs dans quelques années peut-être modifiera-t-on cette expression en disant que les maîtres tisseurs lancèrent la mode du bermuda : « tiens leurs cannes sont nues ! ». Toujours à propos de canut, certains tisseurs du XXème siècle se mettaient en colère si on les traitait de « canuts ». Or force est de constater qu’en 1832 des maîtres tisseurs n’hésitaient pas à le revendiquer haut et fort ce terme, adjoignant même le qualificatif courageux à l’époque de Louis Philippe de : « Républicain ! ». Brouiller les cartes, ça nous connaît. En vrac : les traboules qui serviraient à protéger des intempéries les ballots de soie (je vous invite un jour à faire le parcours des tisseurs par temps pluvieux) ; les métiers Jacquard installés dans les couvents de la Croix-Rousse ; les marchands-fabricants qui ne fabriquent rien ils sont commerçants, la porte visible de la rue Aimée Boussange qui serait la porte principale d’entrée et de sortie de Lyon, alors que cette dernière était en haut de la rue des Pierres Plantées ; la place des Tapis qui serait le haut lieu de fabrication de cette pièce d’étoffe… alors qu’il s’agit de la partie herbeuse aux pieds des remparts ; et bientôt la rue du Mail sera consacrée rue où a été inventé le courrier électronique… j’entends déjà prononcer : « rue de Mèle ». Toujours au sujet des tisseurs, certains les voient descendre les pentes le 21 novembre 1831 en chantant le texte de Bruant… écrit 60 ans plus tard, d’autres croient voir apparaître ce jour là pour la première fois, le drapeau noir, drapeau du deuil et de la misère alors qu’il est présent sur le dôme de l’Hôtel Dieu lors du siège de Lyon par la Convention en 1793. Le Gros Caillou n’est pas épargné dans ce déluge de vraies fausses vérités. Récemment les fenottes et les gones s’indignent : « On a mis le Gros Caillou sur le 1er arrondissement ! C’est quasiment un hold-up ! » pétitionnent les habitants du 4ème arrondissement. J’ai vu quelques sympathiques touristes Japonais poser un jour la main dessus en fermant les yeux. Comme sur le buste de Kardec au père Lachaize ! Quand à sa légende que d’autres font remonter à la nuit des temps, elle a été écrite par Emile Leroudier autour de 1930. Même l’épisode tragique de l’Histoire de la Résistance où Klaus Barbie arrêta dans la villa du Docteur Dugoujon, Jean Moulin et ses compagnons, n’est pas à l’abri d’une erreur. Dans le film Lucie Aubrac ne voit-on pas un écriteau lors de la scène où il emprunte la Ficelle : « Funiculaire de la rue Terme » ? Alors qu’il s’agit de celle dite « Croix-Pâquet ».
Je ne déteste pas que l’histoire soit parfois colorée de légendes, après tout je suis d’une génération où souvent l’anecdote, les déclarations approximatives et immortelles permettaient de se passionner pour elle. Mais de temps en temps, il ne faut pas hésiter à passer une couche de couleurs plus authentiques plus conforme à la réalité. Cela n’enlève rien à l’intérêt de l’histoire et c’est pour le moins une marque de respect à l’égard de ceux qui nous ont précédés.

Les remparts :
En 1512, Louis XII va décider de construire de remparts au nord de la ville en remplacement des fossés et des murs du quartier Terreaux. Il les verrait bien en bas des pentes mais le bourg Saint-Vincent se retrouverait hors des murs. Les autorités de l’époque proposent que ces remparts soient édifiés sur le rebord des pentes de ce que l’on nomme la montagne Saint-Sébastien. Le chantier va durer. Il faudra 25 ans. Son financement est original : Le clergé prend en charge la partie côté Saône, un septième du mur, le reste provient des dons des marchands étrangers, des impôts supplémentaires, des subventions royales.

A quoi ressemblent-ils ?

Les pierres proviennent des carrières du versant ouest de la colline puis des carrières de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, plus solides. Ce mur fait 2 km environ, il est haut d’une dizaine de mètres et large de plus de 2 mètres. Il est borné à l’ouest par un bastion en forme de tour, celui de Saint-Jean et à l’est par le bastion de Saint-Clair. Sur le versant côté Rhône le faîte du mur est transformé en escalier. Il faut ajouter 6 autres bastions de formes diverses qui flanquent ce mur au nord, à l’avant du mur des fossés. Le passage s’effectue uniquement par la porte Saint-Sébastien, dans le prolongement de la montée de la Grande-Côte. Un pont-levis permet de franchir les fossés. Une autre petite porte, en haut de la côte Saint-Vincent qui est aujourd’hui la montée des Carmélites. Ces fortifications seront complétées. En 1564 Charles IX fera construire une citadelle imposante dans le secteur de la rue du Bon Pasteur, mais les autorités lyonnaises obtiendront qu’elle soit rasée, 20 ans plus tard. Du côté du Rhône on détruit la tour et on la remplace par une énorme masse de maçonnerie qui est percée par une minuscule porte à peine suffisante pour le passage d’un carrosse. Côté Saône, un nouveau bastion, rectangulaire remplace l’ancien et au-dessus, le fort Saint-Jean est élevé sur le rocher de l’Aigle en partie arasé.

Au XVIIème de nouveau des améliorations. L’ancienne porte Saint-Sébastien fait place à un bastion à l’intérieur duquel il y a un passage coudé et étroit et le pont-levis fait place à un pont en pierre. On rénove également les autres bastions. Des fossés, des demi-lunes, des ouvrages avancés en forme de triangle (les futures places côté nord du boulevard) et précédés de glacis gazonnés ou tapis (les voilà les fameux tapis de la place du même nom). Ces fortifications ont à ce moment là pour objectif de protéger la ville des invasions étrangères. Les événements de novembre 1831 font modifier cet objectif. S’il y a des remparts, ça n’empêche pas les canuts du faubourg indépendant de la Croix-Rousse de se rendre par nécessité économique, régulièrement dans Lyon intra muros. Les négociants sont en bas des pentes, ils leur faut livrer la soie tissée afin d’être payés en fonction de tarifs. Les tisseurs sur soie ont conscience d’être d’abord de l’industrie de la soie. Il n’y a pas de différence entre ceux de Lyon et ceux de la Croix-Rousse pas plus qu’il n’y en a entre tisseurs de Vaise, de Saint-Georges, de Saint-Jean, de Saint-Paul ou de la Guillotière. Malgré tout c’est bien du faubourg de la Croix-Rousse que démarrera la révolte des canuts. Le 21 novembre après une première échauffourée avec la 1er légion de la Garde Nationale, composée d’habitants du quartier des Capucins, des négociants, les canuts rassemblés sur la place de la Croix-Rousse vont descendre par la Grande-Côte avant d’être stoppés, dans un premier temps, par la fusillade de l’angle de la rue de la Vieille Monnaie aujourd’hui René Leynaud. Fusillade qui va déclancher ces trois jours d’émeute, la révolte des Canuts, fondatrice du mouvement social organisé. Pour en revenir aux remparts, à l’évidence, le pouvoir se rend compte qu’ils n’ont été d’aucune utilité lors de ces journées tragiques. « Pas question de se faire avoir une seconde fois ».

Le danger ne vient plus de l’étranger mais il est ouvrier et faubourien. Alors il va réaménager les fortifications, construire de nouveaux ouvrages plus appropriés. D’abord au nord du faubourg : le fort de Montessuy et celui de Caluire. Au sud le fort Saint-Jean est renforcé de murs munis de meurtrières et de canonnières. On y stocke des munitions. Au sud-est, en face du quartier des Canuts, sur 300 mètres, on conforte les bâtiments militaires, on érige une nouvelle caserne, dite des Bernardines à l’Est de la Grande-Côte. Le bastion d’Orléans, en face de la rue du Chapeau-Rouge (rue Belfort) est renforcé. Celui de Saint-Laurent est réaménagé et une caserne neuve s’installe, elle est toujours là. Une nouvelle porte est percée pour permettre aux soldats des casernes Saint-Laurent et des Colinettes (hôpital Villemanzy) de se rendre rapidement dans le faubourg. A l’évidence cette restructuration va être efficace. En effet, lors de la seconde révolte des canuts, celle de printemps 1834, dont l’origine est le renforcement des lois restreignant la liberté d’association, la liberté de la presse et le procès fait aux leaders des mutuellistes, les canuts du faubourg ne pourront à aucun moment venir se joindre à la révolte. L’armée les maintiendra sur le plateau en installant une ligne de feu face à la Grande Rue. Ces remparts vont être encore le théâtre d’une autre révolte, en 1848, celle dite des Voraces, chefs d’ateliers partisans d’une République sociale. Ils proclameront la seconde République avant Paris puis Arago va les convaincre de rendre les armes. Du moins momentanément puisqu’en 1849, c’est de nouveau l’insurrection. Une révolte rapidement réprimée malgré le courage des insurgés. Ce 15 juin 1849 on comptera 26 morts du côté de l’armée et 31 parmi les Voraces.

La création du boulevard :

Ces événements vont laisser des traces dans les esprits mais aussi sur les remparts. On note que les ouvriers en soie, en période de crise, sont souvent employés à restaurer les remparts de la ville. Bref, sans trahir la vérité historique on peut penser qu’ils n’étaient pas en très bon état. D’ailleurs, si le funiculaire de la rue Terme est inauguré le 3 juin 1862, c’est bien qu’on n’a eu aucune difficulté à installer tranquillement la gare d’arrivée. C’est la même chose pour la ligne de chemin de fer entre la Croix-Rousse et Sathonay inaugurée le 30 juillet 1863. Et puis on imagine sans peine les encombrements autours de la porte de la place de la Croix-Rousse. Surtout, depuis le 24 mars 1852, la Croix-Rousse n’est plus indépendante. Un décret de Louis Napoléon Bonaparte qui vient de faire son coup d’Etat le 2 décembre 1851 et qui deviendra Napoléon III un an après le 2 décembre 1852, vient de faire de ce faubourg, le IVème arrondissement. Alors, même si le 20 juin 1865, ce même Napoléon se fend d’une déclaration « pleine d’émotion et de tendresse » à l’égard de la population lyonnaise : « Les fortifications n’ont plus aucune raison d’être ; elles sont inutiles contre l’ennemi et nous ne sommes plus au temps où l’on se croyait obligé d’élever de redoutables défenses contre l’émeute. Un vaste boulevard planté témoignera de ma confiance dans le bon sens et le patriotisme lyonnais », en fait ces remparts sont très encombrants. On va donc les raser en gardant souvent les fondations et les remblais vont servir à installer le boulevard qui devait d’après Napoléon III, avoir 40 mètres de large. Il n’en aura que 36, une chaussée de 12 mètres avec 2 allées latérales de 12 mètres également. On connaît la suite. Ce lieu qu’il a fallu lotir rapidement à cause des vents forts du nord et du sud va devenir la fierté des Croix-Roussiens et accueillir l’extension de deux manifestations sans lesquelles la Croix-Rousse ne serait pas la Croix-Rousse : le marché de la petite place de la Croix-Rousse et la vogue des marrons et du vin blanc doux nouveau, héritière de la fête patronale de Saint-Denis qui était cantonnée dans la Grande Rue, sur la place et le long du gymnase militaire dont il nous reste une porte.

(Conférence du 1er et 4 octobre à la mairie du 4ème arrondissement)

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