mercredi 29 juin 2011

Le drapeau noir : des canuts de 1831 à l’anarchisme de 1883

Ce n’est véritablement qu’en 1883 que le drapeau noir deviendra le symbole du mouvement anarchiste remplaçant le drapeau rouge. Et c’est bien la révolte des Canuts des 21, 22 et 23 novembre 1831 qui conduit les anarchistes Lyonnais à publier le 12 août 1883 le Drapeau Noir, organe anarchiste, dont les bureaux et la rédaction sont au 26 de la rue Vauban. En première page un article qui porte en exergue « Vivre en travaillant ou mourir en combattant », explique le choix de la couleur du drapeau.
« Ce n’est pas seulement pour jeter un nouveau défi à la société bourgeoise que nous avons donné à ce journal, destiné à continuer le combat soutenu par la Lutte, le titre de Drapeau Noir et que nous avons inscrit en tête de ses colonnes l’immortelle devise de nos frères les canuts. Nous avons voulu ainsi rendre plus vivant encore le souvenir de cette glorieuse insurrection ouvrière, la rappeler à ceux qui l’ont déjà oubliée et l’apprendre à ceux qui l’ont toujours ignorée ; nous avons voulu que la bourgeoisie soit d’ores et déjà bien avertie que le seul drapeau sous lequel nous puissions maintenant nous ranger est celui-là même que la misère et le désespoir faisait se dresser, au milieu des rues de la Croix-Rousse, le 21 novembre 1831 et que jusqu’au jour de la victoire prochaine, nous n’en aurons point d’autre. »

Un coiffeur croix-roussien en 1828

Le Précurseur, journal constitutionnel de Lyon et du Midi, fait paraître ce publireportage dan son numéro du 7 octobre 1828. On remarquera que ce coiffeur qui tient salon en plein quartier des négociants, ne manquera pas de faire du commerce d’habillement… Mais avec des articles venus de Paris !

« Le sieur Allongue, coiffeur, rue St-Polycarpe, n°5, a l’honneur de prévenir le public qu’il vient de joindre à son établissement un nouveau salon, à l’entresol, pour la coupe des cheveux et la coiffure.
Il espère que l’élégance et la propreté qui y règnent lui mériteront la confiance des personnes qui l’honoreront de leur présence.
Avantageusement connu pour la perfection des perruques, toupets, nattes, tours à monture, tours à bandeau, tours à élastiques, tours indéfrisables etc… il espère que les personnes qui lui feront des commandes n’auront qu’à se louer de ses nouveaux procédés.
On trouvera chez lui tous ce qu’on désirera pour la toilette, tel que :
Les dépôts d’huile de likaolak, pour faire croître les cheveux et les empêcher de blanchir
Des brosses mystérieuses, pour teindre les cheveux et favoris à l’instant même.
Des râpes minérales aimantées, pour détruire les cors et les durillons
Huiles et pommades de toutes odeurs etc
On y trouvera enfin, plusieurs articles de nouveauté dans le dernier goût, qu’il fait venir de Paris, tels que, etc
Foulards, cols, cols de chemises, cravates, sacs, ceintures etc Ainsi qu’un dépôt de gants de Paris et de Grenoble
On trouvera chez lui un dépôt de moutarde de Duvertpré de Paris. »

mardi 28 juin 2011

Les canuts solidaires de la garde nationale parisienne

En mars 1848 le journal l’Ami des Travailleurs fait état d’un geste de solidarité des canuts envers la garde nationale parisienne :

« Les soussignés, tisseurs de la Croix-Rousse, font faire un drapeau pour l’offrir à la brave garde nationale de Paris, qui a vaillamment défendu nos liberté, et qui a reconquis tous nos droits ; ils préviennent les vrais patriotes qu’une souscription est ouverte chez les citoyens :
Auzat, mécanicien, 3 rue du Mail
Morel, débitant, 12 Grande Place de la Croix-Rousse
Maréchal, cafetier, 1 rue des Fossés*
Bejux, débitant, place Saint Laurent**
Bordax, cafetier, 4 rue du Mail
Loubière, débitant, rue du Chapeau-Rouge***
Martinet, débitant, cours des Tapis****
Bonaret, débitant, cours des Tapis
Debarit, à l’entrée de la Croix-Rousse, marchand de vin
Murat, 9 rue du Commerce*****

AUZAT, MOREL, DESVIGNES fils »

*rue d’Austerlitz
**place Bellevue
***rue de Belfort
****avenue Cabias
*****rue Burdeau

lundi 27 juin 2011

Les obsèques du Commandant Arnaud

Le déroulement des obsèques nationales d'Arnaud relaté avec précision par le Petit Journal le 24 décembre 1870

« Dès 10 heures du matin, la foule commençait à envahir la rue Dumont d’Urville et les rues adjacentes, d’Ivry et de Sainte Rose.
La rue Dumont d’Urville est fort large et forme une espèce de place devant le numéro 2 où demeurait M. Arnaud. Le logement de la famille est au fond de la cour, au premier étage ; un garde national en faction se tient à la porte ; tout le monde est admis à visiter la chambre mortuaire.
C’est un grand atelier qui contient trois métier de tissage ; la pièce est claire, belle est très élevée ; à l’entrée est apposée la proclamation adressée par le général Baudesson de Richebourg à la garde nationale, lors de sa nomination au commandement de cette arme ; au milieu, un poêle ; au fond, un petit secrétaire couvert de volumes ; malgré le temps, qui est sombre, la lumière entre large et abondante dans la pièce et joue sur les soie de couleurs brillantes qui sont sur les métiers ; au fond, une porte entr’ouverte laisse voir le logement ; tout respire ici le travail, l’aisance, l’honnêteté.
A droite contre le mur, est placé le cercueil de chêne qui contient les restes du malheureux commandant.
Le cercueil est recouvert d’un simple drap blanc ; on a placé dessus le képi du défunt, une couronne d’immortelles et les insignes de grade qu’il occupait dans la loge des francs-maçons, dits les Lyonnais de la loyauté.
C’est madame Arnaud elle-même qui dépose et arrange ces insignes sur le cercueil de son mari.
On ouvre le cercueil pour placer sur la poitrine du défunt d’autres emblèmes de la franc-maçonnerie. La figure du commandant est martiale encore avec sa barbe noire, malgré la pâleur de la mort répandue sur ses traits ; on voit sur le nez la trace d’un coup de baïonnette.
Au pied du cercueil veille un garde national l’arme au bras ; le public entre et se découvre devant le cercueil ; les amis de la famille viennent serrer la main du frère de M. Arnaud qui les reçoit.
La scène est poignante, plutôt encore que lugubre ; la veuve, les sœurs du défunt sont là ; mais les enfants ne paraissent point.
Ils sont au nombre de trois : l’aîné à seize ans ; le second, un garçon de quatorze ans, est un des meilleurs élèves du lycée de Lyon ; le plus jeune à six ans. M. Arnaud était le cadet de la famille ; il était né le 29 mars 1831.
Cependant la foule au dehors continue à grossir ; elle a encombré tout l’espace devant la maison.
Arrivant successivement un nombre considérable d’officiers de tous rangs, de toutes les armes, troupes, mobiles, gardes nationaux, gendarmerie, pompiers dont les képis chamarrés et les casques tranchent au milieu de la mer de chapeaux, de casquettes et de bonnets de femmes.
Viennent ensuite les compagnons tisseurs de la « Ferrandine », avec de larges rubans de satin blanc.
Un détachement de hussards escortant les officiers supérieurs de la garnison et des officiers supérieurs de mobiles à cheval, se range en bataille devant la maison mortuaire.
La compagnie des gardes nationaux, dont le défunt était autrefois capitaine, les guidons et les tambours couverts d’un crêpe noir, se range également en ligne dans la rue.
En même temps, dans toutes les rues adjacentes, on voit poindre les tête de colonnes des bataillons de la garde nationale sans armes, qui veulent tous assister au cortège et donner un dernier hommage de sympathie au malheureux commandant tombé d’une façon si déplorable puis arrive un détachement de la cavalerie de la garde nationale etc.
Vers midi, le cortège officiel s’avance dans la rue d’Ivry et vient déboucher dans la rue Dumont d’Urville au milieu des cris de : Vive la République ! Vive Gambetta !
En tête du cortège, marche en effet le ministre de l’Intérieur et de la Guerre ; à la droite sont le préfet et le maire ; ils sont suivis de toutes les notabilités civiles, judiciaire et d’un nombre considérable d’officiers
Le cortège qui avance entre deux haies serrées de spectateurs s’arrête devant la maison mortuaire ; bientôt on descend le cercueil mortuaire couvert d’un drap noir et des insignes que nous avons citées plus haut ; il est descendu à bras par les compagnons de tissage. Le cortège se met en marche, précédé par la cavalerie qui se fraie péniblement un passage à travers la foule énorme agglomérée sur tout le parcours.
Le cortège a suivi le rue Dumenge, le boulevard de la Croix-Rousse jusqu’au fort Saint-Jean, le cours des Chartreux, la rue de l’Annonciade, la rue du Jardin des Plantes, la rue Terme, la rue d’Algérie, place des Terreaux, rue Lafond, place de la Comédie, rue Puits –Gaillot, port Saint Clair puis il a remonté à la Croix-Rousse par la grande rue des Feuillants, la place Croix-Pâquet, la montée Saint-Sébastien, et sait rendu au cimetière par le chemin de la Voûte.
Comme on le voit, le cortège expiatoire a suivi dans la première partie de son parcours, la route même sur laquelle les misérables avaient entraîné leur innocente victime ; et tous les assistants, le cœur serré regardaient tristement le lieu du supplice du commandant Arnaud.
Le cortège était composé de la manière suivante :
En tête un peloton de la cavalerie de la garde nationale
Les tambours voilés de deuil et les clairons entourés de crêpe
La compagnie des sapeurs pompiers
Un fort détachement des compagnies de la garde nationale
Le cercueil
Porté par des gardes nationaux qui se relevaient de distance en distance
Les cordons du poêle étaient tenus par des représentants de l’autorité et de la garde nationale qui alternativement rendaient honneur au défunt.
Le cercueil était suivi immédiatement par un très grand nombre d’officiers de la garde nationale
Puis venaient M. Gambetta, le bras ceint d’un crêpe, ayant à ses côtés M. Challemel-Lacour, préfet du Rhône et M. Hénon maire de Lyon
MM les adjoints Chépié, Chaverot, et Condamin
Le conseil municipal et les autorités civiles et judiciaires
M. le général Bressoles, commandant le division de Lyon, suivi d’un nombreux état-major et d’un nombre considérable d’officiers de toutes armes et de tous grades.
Les francs-maçons ayant à leur tête le grand maître.
Une foule énorme de gardes nationaux sans armes qui, sans être officiellement convoqués ont suivi le cortège.
Sur tout le parcours, des gardes nationaux en arme formaient une haie et maintenaient la foule des curieux qui assistaient émus à cette imposante manifestation.
Sur tout le parcours aussi des couronnes d’immortelles ont été déposées sur le cercueil du commandant Arnaud.
Le bataillon que commandait cet honnête citoyen a assisté au défilé, sur la place de la Croix-Rousse, sans arme. Tous les hommes avaient à la boutonnière, un bouquet d’immortelle en signe de deuil.
A quatre heures après-midi, le commandant Arnaud était inhumé dans le terrain concédé à sa famille, par la ville de Lyon, après avoir reçu sur sa tombe les adieux suprêmes de MM Challemel-Lacour, dont le discours a été très remarquable, Chépié au nom de la ville de Lyon et le général Baudesson au nom de la garde nationale.
Nous avons retenu les dernières phrases du discours de M. Chépié qui ont vivement impressionné l’auditoire ;
« Les cœurs sont soulevés, les consciences alarmées devant l’assassinat odieux d’un républicain honnête et convaincu.
Pour que pareil malheur ne se renouvelle pas, il faut que tous les citoyens se pénètrent des principes qui ont inspiré la vie entière de la victime : la liberté dans la justice.
Dès le début de la cérémonie, le drapeau noir av ait été hissé sur la façade de l’Hôtel de Ville et la grande cloche du b effroi à sonné le glas funèbre.
La ville de Lyon était véritablement en deuil d’un de ses enfants les plus dévoués. »

Les canuts contre les communautés-ateliers religieuses

Dans les années 1840 on voit se multiplier les ateliers religieux. Les canuts ne vont pas laisser faire et de nombreuses actions seront entreprises notamment auprès de M. de Bonald l’archevêque de Lyon qui d’ailleurs ne sera pas insensible à leurs arguments. Exemple les extraits d’un article de mars 1841 dans l’Echo des Ouvriers « journal des intérêts de la Fabrique et des chefs d’ateliers. »

« La pétition qui depuis si longtemps devait être présentée à M. de Bonald, pour obtenir de ce prélat l’abolition du travail des étoffes de soie dans les communautés religieuses, lui a été adressée jeudi 4 mars.
A 10 h du matin, la commission de 12 chefs d’atelier se rendit à l’archevêché et présenta la pétition. Après avoir interrogé les chefs d’atelier et s’être assuré, par le franchise de leurs réponses, que leurs intentions n’étaient que des intentions de paix et de concorde, qu’ils voulaient non pas l’abolition des maisons religieuses et des Providences en général, mais bien l’extinction seulement d’un monopole établi au détriment de leurs familles et de la Fabrique lyonnaise, M. de Bonald leur a promis appui et protection sans borne, ajoutant qu’il ferait tout ce qui dépendrait de lui pour assurer la prospérité des ouvriers de Lyon. Il les a assurés qu’à l’avenir, nulle permission émanant de son pouvoir spirituel ne serait donné pour l’établissement de nouvelles communautés-ateliers, communautés qui ne peuvent être considérées comme soumises à ses ordres que d’autant qu’elles appartiennent à un ordre quelconque et qu’il les pourvoit d’un aumônier. Il a également donné promesse de faire cesser le dévidage qui s’exploite également au détriment d’une multitude de femmes n’ayant que cela pour soutenir leur existence. Ces derniers jours il a d’ailleurs spécifié à une communauté nouvelle qu’elle n’aurait son accord qu’à la condition expresse et spéciale que cette communauté ne contiendrait non seulement aucun métier à tisser mais pas même une mécanique à dévider. »

dimanche 26 juin 2011

Une religieuse devant les Prud'hommes

Dans le 1er numéro du journal L’Echo des Ouvriers* du mois de septembre 1840 on peut lire ce compte-rendu d’une séance du conseil des Prud’hommes du mercredi 8 juillet présidé par M. Riboud.

« Une demoiselle d’une quarantaine d’années et portant un costume d’une nouvelle communauté religieuse, avait engagé des jeunes filles connaissant le travail du tissage, à entrer dans une communauté qu’elle disait être dans l’intention de fonder. Mais provisoirement c’était un atelier qui avait été monté pour le tissage des étoffes unies et les aspirantes religieuses faisaient leur noviciat sur la banquette. La supérieure trouvait sans doute bon ce proverbe : Qui travaille prie ; mais ceci n’était pas du goût des novices qui prétendaient n’avoir quitté les ateliers où elles étaient employées que pour se consacrer à la prière ; alléguant que si leur désir eût été de travailler comme elles sont forcées de la faire, un salaire eût été stipulé et leur était dû. Travailler, être considérées comme des apprenties sans liberté et sans bénéfice, était chose qui ne pouvait durer toujours ; et après un essai du cloître, c’était leur libération après laquelle elles soupiraient.
Le Conseil, considérant que l’on avait abusé de la crédulité de ces filles, en leur promettant une vie religieuse, et vu l’absence de contrat d’apprentissage, les déclare libres de tout engagement envers leur maîtresse.


*L’imprimerie est au 12 de la Grande Rue de la Croix-Rousse et M. Collomb, habitant au 3 du cours d’Herbouville, prend les abonnements.

Hommage à l’ouvrier par l’Indicateur de 1834

Le journal lyonnais* du 16 novembre 1834 donne une définition de l’ouvrier dans un article intitulé : Utilité du Prolétaire.

« L’esprit, les talents, le génie, procurent la célébrité ; c’est le premier pas vers la renommé ; mais si l’on doit admirer le génie qui tire du néant, par ses innovations, tans de belles choses, quel tribut de louanges ne doit-on pas à celui qui anime le génie par son exécution ? Si l’amateur contemple avec admiration la hardiesse de tels ou tels monuments, il ne peut s’empêcher d’y reconnaître et le ciseau délicat qui en a taillé les pièces, et la main habile qui en a ajusté les compartiments. Si nous avons parmi nous de ces tableaux dignes de la contemplation de tous les siècles, que dire de ce pinceau qui ressuscite en quelque sorte le héros, pour nous retracer longtemps après lui, et son dévouement, et ses actions mémorables ? Si l’intérieur des temples, dans les pours de solennité, si les salons des rois et les ameublements des princes, sont embellis par les étoffes rares et précieuses, dont on ne peut se lasser d’admirer la fraîcheur, l’éclat et le fini ; qui n’y reconnaît les doigts subtils qui les ont tissés ? »
*Le canut Daverne prend les abonnements concernant ce journal au 5 de la rue de Belfort

vendredi 24 juin 2011

La mortalité infantile à la Croix-Rousse

Les décès d’enfants en 1843 à la Croix-Rousse :
En prenant comme référence les six premiers mois de l’année 1843 on constate une mortalité infantile très importante.
Pour 182 décès constaté de janvier à juin 1843 on note 63 enfants, soit près de 35 %. Si l’on ajoute les 27 enfants dits « morts nés » on atteint près de 50 %.

Les Canuts et les Prud'hommes

Déjà, au lendemain de la révolte des 21, 22 et 23 novembre 1831, les canuts dans l’Echo de la Fabrique, désignaient clairement leur volonté de se battre pour l’amélioration du fonctionnement des Prud’hommes. En donnant entre autres des comptes-rendus hebdomadaires, en instituant un recueil de jugements appelés à faire jurisprudence, en écrivant sans relâche des articles pour obtenir la libre défense, la parité entre Prud’hommes négociants et Prud’hommes chefs d’atelier. Dix ans plus tard, ce combat est toujours d’actualité. Comme souvent les rédacteurs n’hésitent pas à employer l’humour pour dénoncer le système. Dans le nouvel Echo de la Fabrique dont le gérant est J. Louison, herboriste habitant le 2 de l’actuelle rue d’Ivry, on trouve en 1843 ce texte qui ne manque pas de saveur.

« Confiteor d’un Prud’homme

Je me confesse au glorieux Jacquard, à la classe ouvrière toute puissante, à l’Echo de la Fabrique, toujours indépendant et dévoué à la chose publique, à son rédacteur, à son gérant et à tous les anciens gérants les bienheureux Falconnet, Vidal, Berger, Sigaud, Legras et à mes collègues parce que j’ai péché en parole et en œuvres : en ne réclamant pas la libre défense et la jurisprudence fixe ; en signant des jugements sans les lire ; en abandonnant les tirelles, les déchets et en défendant mollement les droits des ouvriers dans les arbitrages et en séances ; en admettant les prescriptions mensuelles et les aliénations récemment inventées qui sont un oubli de la justice et un vol des salaire ; les écritures en chiffre et autres méfaits ; en ne stipulant pas de justes indemnités pour le laçage de cartons, pour le montage des métiers et en consentant à les remplacer par des promesses illusoires. Je l’avoue, je me sens coupable, par ma faute, par ma faute, par ma très grande faute.
C’est pourquoi je pris la malheureuse classe ouvrière, l’Echo de la Fabrique, son rédacteur, son gérant, et vous mes collègues, de prier pour moi le grand Jacquard.
Que Jacquard me fasse miséricorde, et qu’après m’avoir pardonné il m’accorde la rémission de mes péchés. Ainsi soit-il. »

Mère à 12 ans !

La Croix-Rousse en 1841n’est pas à l’abri de faits divers surprenants.
Dans le numéro de novembre de l’Echo de la Fabrique 1841 on peut lire :

«Une jeune fille de la Croix-Rousse, âgée de douze ans et demi, demeurant avec sa mère, vient d’accoucher d’un enfant de sexe masculin, d’une très bonne conformation. Quelques jours avant l’accouchement, la mère reçut un bon sur la poste de 5 000 frs avec ces mots : « Pour les couches de votre fille. » En vain, la mère à employé tous les moyens pour connaître l’auteur de ce don imprévu, la jeune fille s’est obstinée à garder le plus profond silence. La chronique scandaleuse donne quelques probabilités que nous nous abstenons de reproduire. »

Le recensement de Lyon en 1841

43 800 garçons
28 904 hommes mariés
2 149 veufs
44 752 filles
28 777 femmes mariées
7 557 veuves
Soit un total de 155 939 habitants

Comme l’ont fait les rédacteurs de l’Echo de la Fabrique, on note que 127 femmes ne vivent pas avec leurs maris. Autrement on ne saurait comprendre la différence existante entre les hommes mariés et les femmes mariées.

jeudi 23 juin 2011

Vaucanson

Dans l’Echo de la Fabrique de 1841, l’héritier de l’Echo de la Fabrique des années 1831 à 1834, on trouve le 30 septembre cet hommage à Vaucanson où il n’est pas question d’un mouvement d’humeur des tisseurs à son égard.

Né rue des Clercs, à Grenoble, le 24 février 1709 d’une famille titrée, Vaucanson sentit, dès son enfance un goût prononcé pour la mécanique. Un jour, le jeune Vaucanson s’amusait à examiner à travers les fenêtres d’une cloison, une horloge placée dans la chambre voisine. A force d’observations, il en étudia le mouvement, en dessina la structure, et découvrit le jeu des pièces dont il ne voyait qu’une partie. Mais il ne pouvait se rendre un compte précis du moteur. Enfin, poursuivi par cette idée qui l’occupait sans cesse, il saisit d’un coup le mécanisme de l’échappement qu’il cherchait depuis plusieurs mois. Dès ce moment, toutes ses idées se tournèrent vers la mécanique ; il fit en bois et avec des instruments grossiers, une horloge qui marquait les heures assez exactement. Il composa pour une chapelle d’enfants de petits anges qui agitaient leurs ailes et des prêtres automates qui imitaient quelques fonctions ecclésiastiques. Le hasard l’ayant fixé à Lyon, il appris que l’on voulait construire une machine hydraulique pour donner de l’eau à la ville et en imagina une qu’il n’osa proposer par modestie ; mais arrivé quelques temps après à Paris, il vit, avec une joie difficile à exprimer que la machine de la Samaritaine était précisément celle qu’il avait imaginé à Lyon. Ayant remarqué combien il lui manquait de connaissance en anatomie en musique et en mécanique, il employa plusieurs années à étudier les sciences. Le Flûteur des Tuileries lui fit naître l’idée d’une statue qui jouerait dans les airs. Les reproche d’un oncle, qui traitait ce projet d’extravaguant, en suspendit l’exécution. Trois ans plus tard il reprit son travail ; il réussit au point que sans correction, sans tâtonnement, l’automate joua de la flûte. Aux premiers sons qu’elle rendit le domestique de Vaucanson qui se tenait caché dans l’appartement, tombe aux genoux de son maître qui lui paraît plus qu’un homme, et tous deux sombrassent en pleurant. A cette machine succéda bientôt un automate qui jouait du tambourin et du galoubet. Enfin l’on vit paraître de lui deux canards qui barbotaient, allaient chercher le grain, le saisissaient dans l’auge et l’avalaient ; ce qui n’était pas moins singulier, c’est que ce grain éprouvait dans leur estomac une espèce de trituration et passait dans les intestins, suivant ainsi tous les degrés de la digestion humaine. En 1740, Vaucanson refusa les offres du roi de Prusse qui l’appelait dans ses états et fut chargé de l’inspection des manufactures de soie. ; il perfectionna les moulins à organsin. Il fit encore, pour la représentation de Cléopâtre de Marmontel un aspic qui s’élançait en sifflant sur le sein de l’actrice, ce qui fit dire à un homme de lettres que l’on consultait sur le mérite de cette tragédie, qu’il était de l’avis de l’aspic. Vaucanson s’occupait en secret d’une idée qui souriait à Louis XV, c’était la construction d’un automate dans l’intérieur duquel devait s’opérer tout le mécanisme de la circulation du sang ; mais il en fut dégoûté par les lenteurs qu’éprouva l’exécution des ordres du roi. Après une longue suite de travaux important il mourut en 1782.

La fête à Serin en 1839

Le journal « L’Homme de la Roche, chronique lyonnaise » annonce dans son numéro du 18 août 1839 le programme de la fête baladoire du quartier de Serin du dimanche 18 et lundi 19 aout 1839

« La fête baladoire du quartier de Serin, instituée sous le vocable de l’assomption de Notre-Dame, sera célébrée les dimanches et lundis courant. Cette fête sera annoncée la veille au soir par des détonations de boîtes qui seront répétées le lendemain à l’aube du jour.
Les jeunes gens qui tiennent la fête seront vêtus de pantalons et gilets blancs, vestes bleues, chapeaux à bords relevés, ornés de panaches tricolores ; ils seront en outre décorés d’écharpes en soie et porteront les rames destinées à la joute. Dans la matinée, ils parcourront ainsi la ville avec tambours et musique en tête. A deux heures, l’ascension d’un ballon et le tir des boîtes annonceront l’ouverture d’une grande joute dans les bateaux ornés et disposés à cet effet.
Immédiatement après, les jouteurs se livreront, toujours sur la rivière, au tir de l’anguille. Le prix décerné au vainqueur sera un couvert d’argent.
A la suite de ces exercices un mât de cocagne ayant pour prix une montre en argent, plusieurs foulards et autres objets, sera livré au public, en face du pont de la gare.
Après ces divertissements, des danses publiques seront ouvertes dans divers établissements du quai de Serin.
Le lendemain lundi 19, les jeunes gens qui tiennent la fête feront comme la veille une promenade en traversant la ville de Lyon. A deux heures, ils monteront à un mât de cocagne disposé horizontalement sur la Saône. Le prix sera un super gobelet d’argent. Cet exercice sera suivi du jeu, dit, du tourniquet. Le pris sera une bague en or. A la chute du jour, près du pont de la gare, ascension d’un ballon garni d’artifices.
Les danses publiques seront ouvertes comme la veille.
Les détonations de boîtes et la musique annonçant l’ouverture et la clôture de chaque exercice. Les autorités locales et les spectateurs particulièrement invités seront placés sur des bateaux et pontons richement pavoisés
Pour copie conforme, le 1er adjoint remplissant les fonctions de maire de la Croix-Rousse, Peysselon. »

mercredi 22 juin 2011

Le Cercle Littéraire de la Croix-Rousse

En 1841 le mutuellisme c’est aussi la mise en commun des écrits - il y a comme les prémices des bibliothèques - et des informations concernant le travail début des coopératives. Le Cercle se situait au 21 de la Grande Rue de la Croix-Rousse. Il était ouvert de 8 heures du matin jusqu’à 10 heures le soir. Il se chargeait de tous les renseignements de fabrique, de la vente et de l’achat des ateliers. Tous les soirs réunion des chefs d’atelier pour discuter des intérêts de la Fabrique. Les propriétaires et les personnes ayant des appartements à louer pouvaient s’y adresser.
L’Echo des 0uvriers publie cette information en 1841.
« C’est toujours du 1er au 5 mai que se fera l’ouverture du CERCLE LITTERAIRE de la Croix-Rousse. Précédemment nous avons expliqué de quel intérêt il serait pour les chefs d’atelier. Le prix de la séance est fixé à 10 centimes pour la lecture de tous les journaux. Tout lecteur ne pourra avoir en main qu’un seul journal. Les chefs d’atelier qui désireraient lire un journal chez eux pourront l’envoyer chercher en déposant (comme cela se pratique à Paris) 50 cts, lesquels seront rendus à la remise de l’exemplaire. Ils devront 1 sou par heure pour frais de location.
On se chargera de l’abonnement à tous les journaux de Paris et des départements, ainsi que toutes les écritures à l’usage des chefs d’atelier, tels que beaux de loyer, conventions d’appentis etc…
On trouvera toujours au CERCLE LITTERAIRE des abonnements en première, seconde et troisième main aux journaux ci-après :
National, Commerce de Paris, Charivari, Siècle, Journal du Peuple, feuille spéciale des ouvriers ; Quotidienne, Censeur de Lyon, Temps, Rhône, Moniteur industriel et une foule d’autres journaux quotidiens et hebdomadaires, etc…
Incessamment un registre sera tenu au CERCLE LITTERAIRE qui indiquera tous les articles qui se monteront ainsi que le nom des négociants chez lesquels on pourra prendre les commissions. Nous prions les chefs d’atelier, dans leur intérêt, de nous faire parvenir les noms des maisons de commerce leur offrant le montage de tel ou tel article.
»

dimanche 19 juin 2011

Les canuts de 1848 et Claude-Joseph Bonnet

Dans le Nouvelliste Lyonnais du 19 mai 1848, on peut lire :

« Une très vive agitation a régné hier dans notre ville et notamment à la Croix-Rousse tant à cause des événements de Paris, et de l’incertitude qui, jusque dans la soirée a plané sur les résultats, qu’à raison du commencement de ce conflit qui avait eu lieu :
Nous voulons parler des travailleurs du chantier national détenus à la maison d’arrêt de Roanne pour avoir brûlé quelques morceaux de bois servant à confectionner des étoffes de soie et appartenant à un certain négociant nommé Bonnet qui les envoyait à Jujurieux, commune non loin de Lyon, pour occuper des gens qui, pour la plupart du temps, sont nécessaires aux besoin de l’agriculture, au détriment des ouvriers de Lyon. Ces mêmes travailleurs, après de mûres réflexions de la part des autorités ont été mis en liberté hier dans la journée. »

samedi 18 juin 2011

Une idée qui n’est pas nouvelle

L’idée de vouloir, comme la journaliste Florence Aubenas auteur du livre Le quai de Ouistreham « se plonger dans l’univers » des précaires, des plus pauvres n’est pas nouvelle. L’Echo de Lyon du 2 juillet 1891fait état d’une information venue d’Allemagne.

« Trois mois de prolétariat
Welmar le 1er juillet

Un étudiant en théologie vient de s’attirer les foudres des industriels allemands dans des conditions assez curieuses.
Ce jeune homme a eu l’idée de se faire passer pour un pauvre diable et de se faire admettre aux ateliers de constructions mécaniques de Chemnitz. Pendant trois mois il partagea la vie des ouvriers, subit les épreuves de l’apprentissage, observant tout, étudiant tout, à la fabrique et à la maison.
De ce stage il écrivit un livre dans lequel il énuméra toutes les injustices des patrons, la misère et les privations des ouvriers. Bref c’est une amère description du sort de travailleur allemand.
Cet ouvrage obtient un succès énorme en Allemagne et le socialisme s’en servira avec empressement pour faire une fois de plus le procès du capital. »

Monsieur le maire Hénon et la vogue

C’est dans le Guignol Illustré du 8 octobre 1871que l’on trouve cet article qui défend de « façon musclée » le maire Jacques-Louis Hénon.

« Nous nous faisons un plaisir de réfuter les bruits que l’on fait courir sur M. Hénon. Des folliculaires mal intentionnés se plaisent à le représenter comme un vieillard sans vigueur et sans énergie ; voici une anecdote qui suffira pour réduire au silence tout ces vains bruits.
L’autre jour, à la vogue de la Croix-Rousse au moment où un lutteur, mettait au défi les assistants, l’un d’entre eux, à la barbe blanche et touffue est descendu dans l’arène, a posé son habit et, à trois reprises différentes, a couché sur le sol son imprudent adversaire, qui s’est avoué vaincu. Puis pour compléter son triomphe, il s’est mis à jongler avec des kilos les plus lourds, aux applaudissements enthousiastes de la foule. C’est homme était notre vénéré maire M Hénon. »

Ouais…mais ça n’empêchera pas Hénon de mourir le 28 mai 1872

On ne plaisante pas avec la République en 1886 !

C’est article est extrait de l’hebdomadaire La Discussion, « journal politique, littéraire et mondain » de novembre 1886

« Nous signalons à l’intelligence et au républicanisme large, sensé et libéral de nos édiles, un crime de lèse-république qui leur a, paraît-il, échappé et qu’il convient de réprimer au plus tôt dans l’intérêt même de la bonne marche des affaires.
Sur la place Sathonay, qu’on ferait mieux d’appeler place Jacquard*, au pied de ces deux escaliers qui conduisent au jardin dit des plantes, se trouvent deux lions qui servent de fontaines.
Or sur le socle de ces deux lions, armes parlantes de la ville, on peut lire – sans lunettes – la mention suivante qui a fait monter le rouge à notre front de républicain d’hier, et nous a paru une insulte sanglante aux sentiments démocratiques du peuple français en général et la population lyonnaise en particulier
« Fonderie Royale du Creusot 1823 »C’est un état de chose qui ne peut durer plus longtemps ; il est impossible de se promener un quart d’heure sans être arrêté par un de ces mots qui nous rappelle cette exécrable royauté qui durant quatorze siècle a causé la ruine et le malheur de la France : rue Royale, fonderie Royale etc…
Nous signalons ce fait à la municipalité et nous espérons qu’elle prendra des mesures pour que dorénavant les yeux des bons républicains et de la liberté des citoyens, ne soient plus blessés au vif par de semblables inscriptions.
Peut-être même sera-ce une occasion excellente pour activer l’épuration du personnel que l’on ne pousse pas assez activement à notre avis. »

*La statue de Jacquard ne sera sur la place de la Croix-Rousse qu’en 1901. Jusqu’à cette date elle était sur la place Sathonay. C’est celle du sergent Blandan qui lui a succédé.

vendredi 17 juin 2011

Le parler lyonnais et Guignol

Dans le numéro 1 du Journal de Guignol du 30 avril 1865 dont les 3 rédacteurs sont : Cogne-Mou, Claque-Posse et Caque-Nano, tout un programme, un grand concours est lancé :

« Comme Alexandre Dumas, le Petit Journal et le Journal Illustré, Guignol ouvre un tournoi à ses élèves versificateurs. Il s’agit de remplir les bouts rimés, ci-dessous. Ce n’est pas le Rubicon à passer que douze vers à aligner quand les rimes sont déjà en ordre de bataille. Le juge en ce journal publiera les meilleurs, mais il ne s’engage pas à les faire imprimer tous en volume à un franc. Tout ce qu’il promet, c’est sa biographie et un abonnement gratuit au vainqueur.
A l’œuvre donc. Voici les armes :
…………………………….catole
…………………………….brandigolle
…………………………….baluchon
…………………………….coquelichon
…………………………….sansouille
…………………………….fripouille
…………………………….sigroler
…………………………….regroller
…………………………….panosse
…………………………….cabosse
…………………………….carquelins
…………………………….escalins »

Et si l’on redonnait vie à ce concours ? Chiche ! Pas d’abonnement mais la publication des poèmes dans ce blog et une bambane gratuite dans les traboules de la Croix-Rousse.

mercredi 15 juin 2011

Le meurtre du commandant Arnaud (témoignage)

Antoine Arnaud tisseur sur soie, chef d’atelier, républicain et franc-maçon est né le 30 mars 1831 au 2 de la place de la Croix-Rousse. Il fut assassiné au Clos Jouve par des émeutiers le 20 décembre 1870, au lendemain de la défaite de Nuits Saint-Georges

Le Petit Journal du 23 décembre 1870, 3 jours après l’assassinat du chef d’atelier tisseur Antoine Arnaud, publie un long témoignage écrit par un témoin oculaire ami de la victime, Mazière fabricant de battant qui habite 32 rue du Mail.
« Monsieur le directeur,
Dans l’intérêt de la vérité, je viens vous prier de publier le récit des violences exercées contre le commandant Arnaud dans le journée du 20 décembre à 11 h et demie du matin.
Je m’approchais d’une foule compacte devant la salle Valentino et là je vis un homme étendu à terre, que je reconnus de suite comme le commandant Arnaud.
Quoique terrassé, il put sortir un révolver de sa poche et faire reculer ses agresseurs, ce qui lui permis de se relever et de s’élancer de l’autre côté de la rue vers les baraques de revendeuse herbages, en disant aux personnes qui criaient « à mort le traître » que si elles le poursuivaient, il ferait feu. Le citoyen X …, un de ses amis pensant le sauver, le prit par derrière et le désarma. Le commandant Arnaud ne fit aucune résistance et s’enfuit vers la rue du Mail ; mais les hommes armés le poursuivaient la baïonnette dans les reins ; un, entre autres, le tenait en joue prêt à faire feu.
Arrivé à l’angle de la place, il reçu un coup de baïonnette dans le côté ou dans les reins, ce qui le fit se retourner ; alors il sortit un second révolver de sa poche et en tira deux coups en l’air ; car, s’il eût tiré à hauteur d’homme, j’aurais été atteint. Il était dans un tel état d’exaspération qu’il ne me reconnut pas…
Je me retournai pour voir si quelqu’un était blessé et arrêter ceux qui le poursuivaient ; dans ce mouvement qui dura une minute à peine, Arnaud tomba par terre, et un homme lui donna un coup de crosse de fusil sur la figure. Je fus assez heureux pour détourner un second coup.
Je le dégageai et il put alors se relever et se sauver jusqu’à l’angle de la rue du Mail ; mais là la foule le rattrapa et voulait le fusiller de suite. J’obtins qu’on emmenât à la salle Valentino.
J’espérais trouver des hommes qui feraient cesser cette boucherie : on le fit monter sur l’estrade à côté du commandant Chavant qui lui donna un verre d’eau. Un citoyen demande la parole et proposa l’exécution immédiate du commandant Arnaud.
Un second citoyen réclama la création d’une cour martiale, le président répondit que cela ne se pouvait pas mais que les commandants Arnaud et Chavant ne voulant pas accepter les propositions du peuple à eux faites par l’organe du bureau de l’assemblée, ils étaient des traites et allaient être comme tels conduits à la prison de la mairie.
Pensant qu’Arnaud était sauvé, je rentrai à mon domicile et ce ne fut qu’à une heure que j’appris que des scélérats l’avaient assassiné au Clos Jouve, au lieu de la conduire à la prison de la mairie.
Signé : MAZIERE
Fabricant de battant, rue du Mail 32

mardi 14 juin 2011

Les piétons déjà sacrifiés !

Le 22 octobre 1904 Le Rappel Républicain, « journal démocratique quotidien » publie un article qui évoque des problèmes qui restent actuels.

« Pour les piétons

A cette époque de vitesse à outrance, aujourd’hui que nos voies sont sillonnées de véhicules plus rapides les uns que les autres, les piétons ne comptent plus. Non seulement les trottoirs, derniers refuges pour les pédestrians, ne sont pas élargis, mais encore ici sont réduits à leur plus simple expression.
De la construction de tramway Lyon-Croix-Rousse, le premier arrondissement a eu surtout à se plaindre si nous nous plaçons à ce point de vue. Les rues Terme, du Jardin des Plantes, de l’Annonciade ont vu prélever sur la partie réservée aux piétons, une large bande de terrain affectée désormais à la circulation des voitures . Rue du Jardin des Plantes devant les deux gares du chemin de fer de Bourg et du funiculaire de la Croix-Rousse les trottoirs ont perdu une bonne partie de leur largeur.
Rue de l’Annonciade c’est encore plus simple. Sur un côté de la rue, à certains endroits, il n’y a plus passage que pour une seule personne.
Nous savons très bien que la construction de cette ligne répond à un besoin, et que nombreux sont les services que rendra ce réseau. Mais les piétons, ceux qui par goût ou par besoin vont à pied, doivent-ils pour cela se faire écraser ? »

Sully Prud’homme à la Croix-Rousse

Le promeneur qui longe la place Bellevue s’étonne de voir une imposante statue dédiée à Sully Prud’homme. Or celui-ci est né à Paris en 1839 et même s'il a eu le premier prix Nobel de littérature en 1901 il ne semble pas qu’il fut un gone du plateau ou même des pentes. Seulement il avait par sa mère des origines croix-roussiennes. En 1911, Camille Hémon qui fut professeur de philosophie au lycée Ampère, a donné une conférence à la Société des Amis de l’Université où il révèle que le poète et philosophe aimait à venir se reposer dans la maison familiale de la rue des Gloriettes, aujourd’hui rue Joséphin Soulary. Une raison comme une autre d’avoir cette imposante œuvre. Reste qu’aujourd’hui Sully Prud’homme est tombé dans les oubliettes de l’histoire et de la littérature malgré les efforts de Lucky Luke et Morris dans l’album « Sarah Bernhardt » où l’on voit le cowboy solitaire protéger la comédienne des ligues de vertu et de la femme du président. Elle déclame toujours le même poème de Sully Prud’homme, du moins les deux premiers vers :

« Le vase où meurt cette verveine
D’un coup d’éventail fut fêlé ;
Le coup dut l’effleurer à peine :
Aucun bruit ne l’a révélé.

Mais la légère meurtrissure,
Mordant le cristal chaque jour
D’une marche invisible mais sûre
En a fait lentement le tour.

Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
Le suc des fleurs s’est épuisé ;
Personne encore ne s’en doute,
N’y touchez pas, il est brisé.

Souvent aussi la main qu’on aime
Effleurant le cœur, le meurtrit ;
Puis le cœur se fend de lui-même,
La fleur de son amour périt ;

Toujours intact aux yeux du monde
Il sent croître et pleurer tout bas
Sa blessure fine et profonde,
Il est brisé, n’y touchez pas. »

lundi 13 juin 2011

La vogue de la Croix-Rousse en 1868

La Vie Lyonnaise, un hebdomadaire dirigé par Adrien Duvand qui collabora à de nombreux journaux, notamment stéphanois (une rue porte son nom à Saint-Etienne)a comme ligne éditoriale « enlever ce faux vernis qui recouvre notre physionomie lyonnaise comme on gratte un monument maladroitement badigeonné, pour lui restituer son caractère primitif ». Un des journalistes, L. Garel, signe un article sur la vogue de la Croix-Rousse le 10 octobre 1868.

« La vogue de la Croix-Rousse est, de toutes les vogues lyonnaises, la seule qui survive et dont l’importance n’ait pas diminué. Le souvenir de celle de Saint-Clair se perd dans la nuit des temps-dix ans environ. Celles de Vaise et de Serin n’existent plus que par les joutes, et encore cette année les joutes étaient bien tristes, les Givordins ne voulant plus se mesurer aux maigres garçons boulangers qui s’y présentent. La vogue de la Guillotière, faubourg dont le caractère local subsiste cependant très distinct, n’a plus de terrains où s’espandre et s’esbaudir à l’aise, le cours des Brosses les ayant par trop nettoyés. D’ailleurs, les communications plus promptes offrent tant de facilités aux excursions fantaisiste du dimanche que ces fêtes plus ou moins urbaines n’ont plus guère de raison d’être, si bien que tout l’été on s’écrierait volontiers sur le rythme tristement psalmodié du dieu Pan ; « Les vogues s’en vont ! »

Et pourtant, quand revient l’automne, au premier dimanche d’octobre, tous se souviennent de la vogue de la Croix-Rousse, et tous montent à la Grand’Place ou aux Tapis, sûrs d’y trouver une foule grouillante, des saltimbanques tambourinant et tympanisant, des bals où se trémoussent des conquêtes faciles au premier abord, et des cabarets où tintent et chantent les voix des verres.

A quoi doit donc cette vogue de conserver ainsi son importance et de se perpétuer, résistant aux modes nouvelles ? A la saison où elle a lieu ? A son emplacement favorable ? A la persistance de son caractère local ? A ces trois raisons peut-être !
La saison y est pour beaucoup ; il fait déjà froid, et on ne se hasarde plus, par les brumes du soir, loin de sa chambre et du lit. Adieu le canotage et les bals champêtres ! Et il ne fait pas assez froid encore pour ne plus sortir de chez soi ou s’enfermer dans les brasseries ou les théâtres. Puis les vendanges sont à peine finies, les fruits des derniers jours arrivent à peine, et la vogue de la Croix-Rousse a toujours la vieille réputation d’être le premier marché de ces primeurs d’automne. On vient là boire du vin blanc doux et manger des marrons, comme on allait autrefois à la Guillotière ou à Saint Fons s’empiffrer de bugnes. Les indigestions ont un charme auquel nul ne se peut soustraire.

L’emplacement ! Au lieu d’avoir perdu, il a gagné. Et quat au caractère local, la démolition des murs d’enceinte, remplacé par un magnifique boulevard, ne le fera pas si tôt disparaître. La Croix-Rousse est toujours la Croix-Rousse et les Croix-Roussiens disent encore aux Lyonnais :
- Il n’y a qu’une ficelle qui nous relie.

Ce sont là toujours canuts et canuses. Aux jours de vogue seulement, les apprentisses sortent, bien attifées, de l’atelier et de la soupente, et les commis de ronde qui, sous la robe grossière et la chevelure mal peignée, ont su reconnaître un corps gracieux et vu briller de jeunes yeux, viennent, pour la promenade ou la danse, offrir leur bras séducteur à la belle naïve, au grand désappointement du galant à qui elle est néanmoins réservée.

Le canut n’est pas riche ; aussi ses amis de Lyon ou des Brotteaux ne le viennent pas voir souvent, sachant quelle maigre réception les attend. Mais lors de la vogue, on ne se gêne pas. S’il n’y a rien chez lui, on descend au cabaret ; le cabaret est dans son quartier, il doit y être comme chez lui ; on paye chacun son pot, mais il offre le premier !

Le pot ! Le pot de vin bleu ! On ne le sert plus dans la ville, et c’est bien mal vu dans les cafés. Mais ces gens habitués aux bocks, aux moos, ne rechignent pas, arrivés aux faubourgs, à la vulgaire bouteille. Leurs estomacs, oubliant les scrupules de bon ton, s’y font de suite. Au milieu d’ouvriers, l’homme qui ne travaille pas s’efforce de leur ressembler et s’enorgueillit (c’est logique !) de se mettre à leur niveau. Il abdique sa tenue de convention pour leur sans-gêne. Et cela parfois devient même une pose : « Ah ! Le vin, c’est encore ce qu’il y de mieux ! » C’est à celui qui en boira le plus, et mieux qu’eux !

Généralement, de la vogue de la Croix-Rousse on redescend abominablement saoul.

Ce jour-là, les canuts s’habillent. Mais ne croyez pas qu’ils aillent promener leurs beaux effets dans la foule et le bruit, ça n’est pas dans leur caractère. Pendant que garçons, femmes et filles inspectent baraque, jeux et danse, eux ils vont, un peu plus tôt que d’habitude, à leur cabaret – mieux balayé, ou s’il leur est venu des gens de la ville au café – qui est devenu cabaret. On chante des chansons, chacun la sienne, ou on cause politique et association. Allez donc avec cela boire de la bière. Mystiques de brasseries, échappés de bureaux, une demi-heure de ce bruit et de cette vie vous assourdirait et vous tuerait !

Mais cette année, ils sortent cependant. Ils sont fiers de montrer leur boulevard net surtout leur mairie !
-Dans vos arrondissements de Lyon, on ne sait pas où trouver la maison commune. Quand vous n’aviez qu’un seul maire, il était très bien à l’Hôtel de Ville. Mais depuis que vous en avez six, je crois qu’on les loge au troisième.
-Oui, mais chez vous on ne trouve pas d’église.
-La belle affaire !

Et si, devant cette mairie, on leur fait observer que la porte est bien étroite, ils répondent :
-C’est vrai, mais on l’élargira quand on ne chômera plus !

La femme et les enfants viennent rejoindre le père ; ils boivent un verre, cassent une croûte de pain, et l’on rentre après avoir dit adieu aux gens qui redescendent par la Grand-Côte.
-N’est-ce pas, femme, ça fait plaisir tout de même, d’entendre ce bruit de vogue. C’est comme si tous les battants marchaient !

Allons les enfants, au lit ! Il faut travailler demain. »

Le décès de Boccuse

Le 17 octobre 1868 le journal La Vie Lyonnaise publie dans sa rubrique Lyon au jour le jour, cet article :
« Que les canotiers de la Saône mettent un crêpe à leurs drapeaux et à leurs casquettes ! Le père Boccuse est mort ! Un temps d’arrêt devant Collonges et que les rames se lèvent et saluent.
Cependant le père Boccuse n’était pas un type : son nez seul était légendaire et son restaurant était plus connu que lui-même. Il y aura toujours là des fritures et des pots de vin bleu. Baissez-vous rames agiles et à l’œuvre ! »

L’enseignement des adultes en 1872

La Société Lyonnaise Coopérative pour le développement de l’Enseignement libre et laïque publie un avis dans le journal « La France Républicaine » du 6 décembre 1872

« Le 16 courant à sept heures moins un quart du soir, des cours d’adultes gratuits seront ouverts dans les locaux des écoles existantes.
1er arrondissement : cours d’adultes femmes au 99 de la Montée de la Grande Côte. Local de l’école de filles qui va s’ouvrir au 2ème étage. Inscriptions chez les citoyens Amat, 6 place Colbert, Chapitet, 1 place du Perron (Chardonnet ndlr)
4ème arrondissement : cours d’adultes hommes et cours d’adultes femmes. Le premier au 19 de la rue du Chariot d’Or au 1er étage et le second 5 rue Dumont au rez-de-chaussée. Se faire inscrire pour les deux cours chez les citoyens Comte 17 rue d’Austerlitz et Barthélemy Garnier* 9 rue des Gloriettes (Joséphin Soulary ndlr)


*GARNIER Barthélemy 9 tisseur un rapport de la police impériale de 1870 le définit ainsi : républicain radical, libre-penseur des plus tolérants. Il a marqué son passage dans toutes les manœuvres hostiles à l’ordre actuel des choses. En 1848 il fut l’un des organisateurs des Travailleurs-Unis et en 1863 de l’association des tisseurs. Il a figuré dans l’administration de ces deux sociétés dans lesquelles il a apporté ses principes outrés. Son nom figure dans les comités radicaux pour les élections et parmi les plus ardents propagateurs de la libre-pensée. On m’a assuré qu’il avait été nommé président de la commission des Tisseurs.) Vend les billets pour la conférence de Wolowski (juriste et économiste centre gauche qui a une part importante dans la loi du 19 juin 1871 sur le travail des enfants et des femmes) à la salle Valentino (Journal L’avant-garde organe des Francs-Parleurs du 8 janvier 1870

dimanche 12 juin 2011

Les Voraces* et la révolte de 1849 vus par les Napoléoniens

Les événements du 15 juin 1849 à Lyon et plus particulièrement à la Croix-Rousse prolongent la journée révolutionnaire du 13 juin à Paris. Cette dernière commence par une manifestation menée par Ledru-Rollin, leader de « La Montagne » pour s’opposer à l’expédition de Rome visant à rétablir la puissance temporelle du pape au détriment de la République romaine. Il faut savoir le préambule de la Constitution de 1848 stipule l’interdiction de toute entreprise « contre la liberté d’aucun peuple ». Cette manifestation tentera en vain de constituer un gouvernement révolutionnaire
Les Voraces Croix-Roussiens sont très proches politiquement de « La Montagne ». S’ils avaient rendu quelques services aux autorités lors de la révolution de 1848 en assurant notamment l’ordre dans la commune canuse, manifestement aujourd’hui, ils gênent. D’ailleurs l’organe des napoléoniens « Le Président » écrit le 19 juin 1849 : "le 2ème de ligne renvoyé de Lyon par suite de ses liaisons avec les ennemis de la République a été le jour de son départ, l’objet d’un scandale renouvelé des beaux jours d’Emmanuel Arago : chaque section de soldats était suivie d’une section de Voraces en blouse et les bataillons ainsi alternés défilaient en chantant La Marseillaise." Mieux, note ce journal tout acquis à la cause de Louis Napoléon Bonaparte, « le régiment a continué sa route en montrant partout les mêmes dispositions. A Saint-Rambert et à Saint-Didier, les soldats ont passé la nuit dans les cabarets en chantant et en troublant le repos public (…) L’officier qui commandait l’avant-garde a distribué lui-même une trentaine de numéros du Peuple Souverain. **Comme à Paris la répression est sévère. Pour les Napoléoniens ce doit être une leçon : « Aux ennemis de l’ordre, à tous ceux qui ont encore au fond du cœur de coupables pensées, nous leur répèteront le parole du général d’Arbouville : « allez voir à la Croix-Rousse et vous serez guéris de l’envie de faire des émeutes, des révolutions. » L’article décrit l’état où se trouve la Croix-Rousse : « Toutes les maisons à partir du cours des Tapis et de la Grande Place, une partie de la Grande Rue, les rues du Chariot d’Or, du Mail et des Fossés*** sont criblées d’empreintes faites par les balles ou les boulets ; pas une vitre n’est demeurée intacte. Les maisons qui formant l’angle des rues du Mail et des Fossés, de la Grande Rue et de la rue du Chariot d’Or, ont été tellement maltraitées par les boulets qu’on a été obligé de la étayer immédiatement pour éviter un écroulement.

*Voir texte les Voraces du 26 décembre 2007
**Le Peuple Souverain : journal des intérêts démocratiques et du progrès social.
***Rue d’Austerlitz

Elections municipales

L’abstentionnisme…déjà ! Article du 15 juin 1848 paru dans le Nouvelliste Lyonnais.

« L’indifférence et l’apathie de plus d’un tiers des électeurs, appartenant presque tous à diverses corporations de travailleurs, ont gravement compromis la cause démocratique dans les élections municipale d’avant-hier. La presque totalité des élus sont des hommes totalement étrangers, si ce n’est opposés, à nos principes franchement républicains.
Toutefois, il y a pour nous encore quelques chances de salut dans le scrutin de ballotage qui a lieu aujourd’hui ; mais pour cela, il faut vaincre la timidité coupable de quelques uns d’entre nous. L’arrêt prononcé contre la démocratie sera sans appel, si un petit nombre oublie le drapeau.
Une sainte ardeur animera, nous l’espérons, le cœur et le patriotisme de nos frères ; ils comprendront enfin le danger et par leur concours relèveront la démocratie de l’échec qu’elle a reçu il y a deux jours. »

Trop rapide le bateau de Seguin

Le Précurseur « journal de Lyon et du Midi » publie le 18 décembre 1826 ce fait divers :
« Aujourd’hui, le bateau à vapeur de MM. Seguin a fait un nouvel essai qui, de même que les précédents, a parfaitement réussi. Seulement, à l’instant où il passait sous le pont Morand, la vitesse avec laquelle il remontait le Rhône n’a pas permis de baisser assez tôt la cheminée qui a un peu touché la voûte d’une des arches. Cet accident n’a pas eu de résultats fâcheux. »

Le bonnet rouge

Le 8 mars 1849 le journal napoléonien Le Président rend compte d’un incident place de la Croix-Rousse
« Hier, à trois heure de l’après-dîner, on a enlevé le bonnet rouge qui surmontait l’arbre de la Liberté sur la Grande Place de la Croix-Rousse. L’autorité avait cru devoir envoyer deux ou trois détachements de dragons et de chasseurs de Vincennes, mais l’ordre n’a pas été troublé. Il n’y eu ni cri, ni sifflets, rien en un mot qui fût répréhensible. Cette nuit on a enlevé aussi le même insigne qui décorait l’arbre de la Guillotière et cela sans qu’il se soit manifesté aucun désordre.
A la Croix-Rousse comme à la Guillotière, le bonnet terroriste a été remplacé par le drapeau tricolore. »

vendredi 10 juin 2011

Les canuts et l’Eglise

Au printemps 1832 le choléra fait rage à Paris et menace Lyon. L’Echo de la Fabrique du 29 avril publie un article qui éclaire sur les relations entre les canuts et l’Eglise. Une foi sincère mais un refus de toute superstition et de toute récupération politique.

« Le journal Le Revenant publie l’extrait d’une lettre de Lyon ; cet extrait est rapporté par la Gazette du Lyonnais. Nous allons le reproduire à notre tour, pour montrer jusqu’à quel point sont fines les plaisanteries de ces deux feuilles. Il s’agit des canuts de Lyon (ce sont les propres expressions du Revenant) et voici ce qu’il dit : « Depuis l’invasion du choléra-morbus à Paris, la population se porte en foule et en pèlerinage à la montagne sur laquelle est située l’église de Notre-Dame de Fourvière. La classe ouvrière s’y fait surtout remarquer par la ferveur de ses sentiments religieux. « Mon Dieu ! s’écrient les braves canuts dans leurs prières, et tout haut, nous n’avons pas chassé notre roi ni notre archevêque, nous n’avons pas pillé les églises ni renversé les croix. Mon Dieu ayez pitié de nous, et préservez-nous de la peste de Paris. »Voilà le langage que les feuilles d’un régime passé prêtent à nos ouvriers en soie, à ces hommes assez éclairés pour reconnaître de faux amis qui les trouvent religieux aujourd’hui et qui, sous les missions du gouvernement déchu les traitaient d’impies, de réprouvés. Sans doute nos ouvriers sont religieux, mais sans superstition ; ils rougiraient de mettre en action les mômeries qu’on leur prête et si les feuilles des jésuites s’amusent à les montrer ridicules, qu’elles sachent que leurs patrons et elles, seront toujours pour la classe industrielle de Lyon, des objets dignes de mépris. Nos ouvriers en soie restent dans leurs ateliers et ne vont pas en foule à Notre-Dame de Fourvière accuser leurs frères de Paris ; ils sympathisent trop avec eux ! »

jeudi 9 juin 2011

Les Conseils municipaux d’antan

Le 8 mai 1847 :
« M. Collon signale les dégâts que les enfants font aux arbres de la promenade des Tapis. Il se plaint du peu de surveillance qui y est exercée et appelle l’attention de l’autorité sur ce point. M. le Maire expose la difficulté de parer à ces dégâts. M. Auberchier ajoute qu’il a de nouveau recommandé aux agents de police d’y porter la plus grande attention. Des observations ont été faites aux frères des écoles chrétiennes ainsi qu’à M. Tholomet. Il y a tout lieu de croire que le mal cessera. »

Les canuts et l’Europe

Dans l’Echo de la Fabrique de mai 1832 on peut lire cet article :

« Sur l’Europe des peuples.

Si trop longtemps une classe d’hommes s’est liguée sous le nom de Sainte-Alliance pour arrêter les progrès et partant, le bonheur des classes inférieures, le jour est arrivé où les travailleurs doivent former une alliance qui sera au moins plus sainte. Cette alliance ne troublera pas, comme la première, le repos des gouvernants ; elle ne bouleversera pas les états ; au contraire, elle en rétablira l’harmonie en assurant aux nations une paix durable. La borne des états ne sera plus une ligne de démarcation où doivent s’arrêter les sympathies et les peuples, pressés par les mêmes besoins, ne formeront qu’une grande et heureuse famille.
Que l’homme pensant, l’être doué d’une âme généreuse descende en lui-même ; pourquoi, lorsqu’il est obligé de travailler sans relâche, de gagner son pain à la sueur de son front, pourquoi serait-il l’ennemi de celui qui éprouve les mêmes peines, les mêmes souffrances, parce qu’il est né sur les bords de la Tamise ou sous le ciel brûlant de l’Andalousie ? Cet homme n’est-il pas un industriel comme lui ? Comme lui n’a-t-il pas besoin que l’association des peuples vienne améliorer son sort ? Et que sont les rivalités des nations à côté de ce besoin de paix et de prospérité ? De qui les guerres dévorent-elles le sang, si ce n’est celui des prolétaires ? Le temps des conquêtes est passé et la plus belle, celle qui reste à faire, c’est de mettre en rapport tous les peuples, de faire que les sociétés industrielles se développent et franchissent les bornes des états pour porter, en tous lieus, cet amour mutuel que se doivent les hommes et faire disparaître d’anciens préjugés."

mercredi 8 juin 2011

L'abolition de la peine de mort

L'Echo de la Fabrique reçoit en février cette demande d'insérer :

"Lyon, 20 février 1833

Monsieur,

Je vous prie de faire insérer dans votre journal, l'article suivant :
Les Compagnons de la Femme avaient apposé sur le mur de la maison qui leur sert d'habitation, une tenture noire portant l'inscription : Plus de sang ! en face de l'échafaud dressé hier sur la place Louis XVIII (place Carnot)
En vertu de l'ordre de M. le commissaire central, M. le commissaire de police de l'arrondissement de Perrache, est venu faire enlever le corps du délit."

mardi 7 juin 2011

L’humour des canuts de l’Echo de la Fabrique

Dans la rubrique « Coup de navette » le canut de l’Echo de la Fabrique* peut donner libre court à son humour. Parfois très codées des réflexions sont pour nous difficile à comprendre. Mais il en est d’autres qui ont franchies 180 ans sans une ride.

« Commandements d’un fabricant :
Dimanche et fête ne feras
Qu’aux fins de pièces seulement.
Dix-huit heures travailleras
Même les nuits pareillement.
Tous les métiers tu monteras
Sans demander défraiement.
Toutes les pièces recevras
Prix de façon verbalement.
Et dans la cage attendras
Sans murmurer et patiemment.
Argent tu ne demanderas
Qu’au jour fixé par règlement. »

« On demandait à un homme de loi pourquoi il y aurait 9 prud’hommes marchands et seulement 8 ouvriers. C’est, répondit-il, pour qu’il y ait autant de raison d’un côté que de l’autre. »

« Oraison d’un ouvrier :
Notre père qui êtes aux Capucins, que la conscience vous advienne ; que votre volonté soit modeste dans vos comptes comme dans vos prix ; donnez des façons pour vivre en travaillant ; pardonnez nos besoins factices comme nous vous pardonnons nos courses inutiles, ne nous laissez pas succomber sous le poids de nos veilles et délivrez nous de la concurrence en vous contentant d’un petit bénéfice. »

« Quand on dit à un égoïste que les ouvriers se meurent de faim, il répond : ce ne sont ceux-là qui se plaignent. »

« On félicitait un ouvrier de ce qu’il n’avait pas été blessé dans les trois journées** : Parbleu, répondit-il, les négociants nous avaient tellement fait maigrir qu’ils ne pouvaient plus nous ajuster. »

*Journal des canuts mutuellistes de 1831 à 1834 voir : http://echo-fabrique.ens-Ish.fr
** La révolte des canuts des 21, 22 et 23 novembre 1831

lundi 6 juin 2011

Il y a 120 ans : deux vogues de la Croix-Rousse !

Le quotidien L’Echo de Lyon du 20 mars 1892 salue les vogues de la Croix-Rousse

« C’est après-demain que commence la vogue des Tapis à la Croix-Rousse. Le « plateau » a toujours tenu honneur de donner le signal de ce genre de réjouissances et à en marquer la fin. On sait en effet que la dernière vogue est aussi celle de la Croix-Rousse à deux pas de la place des Tapis. Le printemps et l’hiver ! Après-demain la tradition lyonnaise veut que l’on mange à la Croix-Rousse les premières cerises tandis qu’à la vogue d’octobre les gourmets du « plateau » dégustent les premiers marrons rissolés et le vin blanc de la récolte nouvelle qui pétille dans les verres. »

Le 14 juillet à la Croix-Rousse

« La Croix-Rousse avait tenu à célébrer brillamment la Fête Nationale. Nulle part peut-être on ne remarquait, comme sur le plateau une plus grande profusion de drapeaux et d’oriflammes, nulle part non plus les fêtes de quartiers ont été plus animées.
Rue Célu notamment avec une petite Bastille avec des tourelles et des créneaux avait été aménagée au sommet des escaliers donnant accès à la rue Dumont d’Urville.
Des bambins hauts comme ça, coiffés du bonnet phrygien, de vrais sans culotte en miniature, traînant des canons et jouant du tambour, sont venus prêter serment sur l’autel de la Patrie, installé sur un palier de l’escalier désigné plus haut.
Une foule énorme avait pris position sur la place Saint-Jacques et aux abords de la montée Rey pour assister à ce spectacle curieux qui se renouvelle régulièrement chaque année à l’occasion de la Fête Nationale. »
L’Echo de Lyon du 15 juillet 1891

Les républicains lyonnais et la fontaine des Terreaux

Le 7 novembre 1891 le quotidien républicain L’Echo de Lyon publie une lettre qui lui a été adressée par un groupe de républicains lyonnais :

« Monsieur le directeur,
Veuillez être assez bon pour nous donner des nouvelles de la fontaine Bartholdi qui devait être érigée place des Terreaux ?
Et les autres grands travaux de la ville ?
Qu’en fait la municipalité ?
1° L’Hôtel des Postes ???
2° Le pont des facultés ?
3° Le pont de Fourvière ??
4° Les abattoirs ?????
5° La caserne des pompiers ?
Et voilà des projets qui attendant une exécution !
A quand le commencement des travaux ?
Un groupe de républicains lyonnais

A quand ? chi le sa ! Ce n’est pas à nous qu’il faudrait le demander mais à M. le Maire* qui répond à ces questions… quand il daigne.
L’autre jour nous avons fait notre petite enquête sur la fontaine qui nous coûte 150 000 frs pour nous représenter non pas le Rhône qui est un homme mais la Gironde (Ah ! la bonne farce).
La fontaine en plomb (encore une autre bonne farce) est toujours chez le fondeur qui la répare (déjà).
Espérons qu’elle finira un jour ou l’autre par être entièrement remise des accrocs de l’Exposition. »

*Antoine Gailleton maire de Lyon de 1881 à 1900

La vogue de la Croix-Rousse

A ceux qui sont persuadés que les vogues d’antan étaient sereines et exemptées de propos xénophobes, cet article paru, de plus est dans le Journal de Guignol du 28 mai 1887 signé par Cogne-Mou, prête à relativiser.

« On sait qu’un industriel prussien du nom de Richard avait, à la dernière vogue de la Croix-Rousse installé un char tournant à plusieurs étages. On sait aussi que devant les réclamations de nos concitoyens, l’administration, pour éviter des scènes de désordre, avait prié le peu sympathique Teuton d’aller se faire rosser ailleurs. Mais ce que l’on ignore c’est que l’administration a en même temps fait fermer l’établissement de son concurrent M. Chorgnon lequel M. Chorgnon est cependant français, tout ce qu’il y a de plus français.
A quel mobile inavouable a obéi l’administration en agissant ainsi ? Si c’est pour compenser les déboires du Prussien Richard, l’administration a commis une lâcheté. Or jusqu’à preuve du contraire nous ne voyons pas d’autres raisons à la mesure dont notre compatriote M. Chorgnon a été victime. Et jusqu’à preuve du contraire nous ne cesserons de dire à l’Administration :
-Vous avez commis une lâcheté ! Une insigne lâcheté ! Justifiez-vous, si vous l’osez. »

dimanche 5 juin 2011

La vogue de la Croix-Rousse

A ceux qui assurent haut et fort que les vogues d’antan étaient beaucoup plus conviviales, humaines, familiales voir écologiques que celles d’aujourd’hui, cet article paru le 19 mai 1887 dans le journal lyonnais « Le Mousquetaire »

« La vogue des Tapis

Toujours très peu de curiosités à signaler : trois cirques, quelques femmes-torpilles, une ménagerie. Ah ! J’allais oublier Doua Houdah la jeune négresse. Très avenante et plus gracieuse que jamais ; elle se montre dans un costume fort joli, maillot rouge, vert ou vieil or, le plus souvent couleur chair, sur la poitrine une peau tigrée très bas décolletée et qui moule admirablement les formes. A voir. »

vendredi 3 juin 2011

Aristide Bruant

Si Aristide Bruant a composé le Chant des Canuts devenu symbole des luttes ouvrières, de la résistance, de la dignité des travailleurs et du combat révolutionnaire, il n'a pas écrit que ce poème, certes peu reflet de la révolte des 21, 22 et 23 novembre 1831, mais dont l'impact émotionnel est considérable.
Il a écrit également ce texte ci-dessous et ainsi se pose la question : quand est-il sincère ? La réponse pourrait faire peur.

La Lanterne de Bruant

Pour le drapeau

Oui, c’est entendu, les youpins
Sont tous des gonciers à la r’dresse,
I’s sont partout, i’s sont à la presse
Et plus marlous qu’les marloupins ;
I’s sont de la balle, i’s sont de la banque,
I’s ont bouffé Sidi l’Arbi,
Et quand i’s sont dans le fourbi,
C’est jamais un truc à la manque

Nous bons gogos, nous supportons
Qu’ils volent sur nos champs de course,
Qu’ils nous barbottent à la Bourse,
Qu’ils nous tondent kif des moutons ;
Qu’ils vident nos vieux bas de laine
Et qu’ils emportent nos écus ;
Mais…entendons-nous : n’en faut plus
S’ils veulent jouer les Benzaine*

Qu’on les fusille, les Judas
Les bandits, les félons, les traitres
Qui vendent les sol des ancêtres
Et le sang des petits soldats ;
Qu’on les fusille et qu’on le crie
A tous ceux qui donnent leur peau
Pour la défense du Drapeau
Et pour l’honneur de la Patrie.
1898

Achille Benzaine (1811-1888) fut maréchal de France. Il se distingue en Crimée, commandant en chef au Mexique. En 1870-1871 il est chargé de la défense de Metz. Pour la III République : « par son incurie, son incapacité, l’étroitesse et l’égoïsme de ses vues, il trahit véritablement son pays. Il se laissa renfermer dans le place, ne tenta que des efforts dérisoires pour en sortir, engagea de louches négociations avec Bismarck, puis rendit la ville. » Il fut condamné à mort, s’évada et s’établit en Espagne.

La santé des tisseurs et dévideuses

La tuberculose pulmonaire chez les canuts dans les années 1860

La phtisie des tisseurs et des dévideuses à fait l’objet d’étude de la part du docteur Hugues-François Chatin médecin du tout nouvel hôpital de la Croix-Rousse.
De 1862 à 1866 il y a eu dans cet établissement 2 024 décès. 38 % de ceux-ci (771) sont dû à la phtisie et parmi ces décès on compte 139 tisseurs, 164 tisseuses et 105 dévideuses. Le docteur Chatin note que sur les 105 dévideuses décédées, 47 avaient entre 15 et 18 ans. Pour les tisseuses on constate un quart des décès touche les jeunes de 15 à 20 ans.
Dans un classement en 1857 concernant les décès par tuberculose, sur 100 décès de toute cause, Lyon arrive en tête avec 22,2 % devançant l’hôpital des invalides de Naples 20 %, le bagne de Brest 21,5 %, Londres 18 %, Edimbourg 11,9 %. Les bagnes de Toulon et de Rochefort font 4,5 % et 2,5 %.
Par profession, les ouvriers en soie morts de la tuberculisation du poumon arrivent dans le Rhône largement en tête. 204 sur 893 décès. Les journaliers arrivent en seconde position avec 109 décès.
Pour le docteur Chatin il y a au moins trois causes qui expliquent ce fléau.
La vie sédentaire, l’atmosphère viciée des ateliers et la position courbée des tisseurs et dévideuses.

jeudi 2 juin 2011

La rue de Mademoiselle Célu

Cette rue est une exception ! En effet cette voie publique qui prolonge de façon plus étroite la rue Dumont d’Urville jusqu’à la rue d’Austerlitz, porte le nom d’une femme ! Plus est, une « canuse » ! Une autre femme seulement est honorée dans le 4ème arrondissement : Marie-Henriette Maunard, femme d’un propriétaire de terrain sur lequel la rue a été percée et dont seul le prénom a été retenu. Elle se trouve perpendiculaire à la rue de Cuire, près de la place de la Croix-de-Bois qui accueille pas moins de trois rues, les rues Hénon, de Cuire et Denfert-Rochereau. Pour revenir à Jeanne-Marie Celu, sans accent si l’on en croit les documents de l’état civil, elle est née le 6 août 1780 à Lyon et plus précisément rue de la Vieille Monnaie (rue René Leynaud) dans la paroisse Saint-Piere-Saint-Saturnin. Cette paroisse n’existe plus aujourd’hui, seul reste l’église Saint-Pierre place Moissonnier. L’église Saint-Saturnin détruite à la Révolution se trouvait à hauteur du 23 de la rue Paul Chenavard. Jeanne Marie est la fille d’André Celu, marchand fabriquant d’étoffe de soie et de Catherine Commarmot. Elle appartient donc à une famille de tisseurs sur soie, d’ailleurs son frère Louis était lui aussi chef d’atelier. Elle va se marier avec un propriétaire de terrain, Jacques Rey tout en gardant son métier de canuse. En 1827 son époux fait tracer la rue qui portera longtemps son nom et qui est aujourd’hui la rue Justin Godart. Nous sommes en plein boom immobilier, les canuts et leurs métiers Jacquard arrivent sur le plateau de la Croix-Rousse, il faut aménager des voies publiques et celle qui sera tracée perpendiculairement à la montée Rey va porter le nom en 1831, de cette fabricante d’étoffe de soie. Elle a failli disparaître cette voie typiquement Croix-Roussienne lorsque le préfet Vaïsse, notre Haussmann lyonnais songea à relier la toute nouvelle rue de la République au turbulent plateau de la Croix-Rousse par une large avenue. Un temps elle se nomma rue Descorle en 1849, puis Manuel en 1850 pour revenir en 1831, rue Celu. C’est dans son appartement, au 9 de la montée Rey qu’elle devait décéder le 26 septembre 1846, 15 ans après l’attribution de son nom à cette rue bordée essentiellement d’immeubles ateliers canuts.

C'était dans l'temps

Déjà les arbres !

« La municipalité de la Croix-Rousse est fort embarrassée pour parer aux nécessités financière de son administration. Elle réduit les traitements des employés. L’un d’eux a proposé de couper les arbres du cours d’Herbouville. Aux yeux de cet honorable l’ombre est sans doute un luxe réactionnaire. »
Le Président journal napoléonien du 2 mars 1849

C'était dans l'temps

La soie croix-roussienne à Bethléem

« Des tentures de soie se composant de 61 mètres de lampas tissés par les ouvriers de la Croix-Rousse et sortant de la Maison Victor Perret et Charpenel ont été exposées dans la salle d’asile des sœurs Saint-Charles de la rue Grataloup. Ces tentures seront expédiées à Bethléem pour garnir la célèbre grotte. »
La Discussion de novembre 1886

C’était dans l’temps

Un propriétaire Croix-Roussien

« Un propriétaire de la Croix-Rousse dans la crainte de voir ses locataires lui échapper avant de payer leur terme a obtenu de l’autorité militaire deux sentinelles qui pendant quelques jours ont monté la garde de sa porte. Il paraît que ce service n’a pas été de leur goût, car elles ont été remplacées par un gendarme qui s’acquitte pour le mieux de cette fonction. »
Le Précurseur du 18 décembre 1826

C'était dans l'temps

Un impôt sur les vélos !

"La Chambre vient de voter coup sur coup, dans l’espace d’une semaine, deux impôts nouveaux de 10 frs. L’un sur les vélocipèdes, l’autre sur les pianos. On compte en France 600 000 vélocipèdes d’où 6 millions pour le Trésor. Le nombre de pianos est à peu près le même. L’ensemble de ces deux nouveaux impôts rapportent 12 millions pour les caisses de l’Etat."
Bulletin Officiel de l'exposition de 1894 du 23 février 1893

Lyon fête Jean-Jacques Rousseau

Une lettre rédigée le 22 Vendémiaire de l’an III, par Pocholle, représentant du peuple à la Convention Nationale, ordonne au citoyen Teipyez, botaniste, d’organiser à Lyon la fête de Rousseau, le 25 vendémiaire. En fait ce n’est pas à Lyon que cette lettre a été envoyée mais à Commune-Affranchie, puisque notre ville a perdu son nom depuis le décret de la Convention « Lyon n’est plus » suite au siège de 1793. Pourquoi s’adresser à un botaniste ? Pocholle s’en explique : « Il appartient à ceux qui font leur étude particulière de la nature, d’honorer l’homme qui en fut l’ami le plus vrai ». Il invite donc le citoyen Teipyez à composer le cortège afin d’y « réunir tous les citoyens qui comme lui ont cherché dans la connaissance des plantes et de leurs vertus, les moyens d’être utiles à leurs semblables ». On ne peut s’empêcher, aujourd’hui, de trouver quelque peu surréalistes ces phrases évoquant la nature, alors que le siège particulièrement sanglant vient à peine de s’achever. Toujours est-il que le citoyen botaniste s’exécute et avec talent puisque à l’heure dite, sur la place de la Maison-Commune, tout est prêt. Le Conseil Général de la Commune s’est réuni d’abord dans une salle de la Mairie pour célébrer la fête de la translation des cendres de J-J Rousseau. Il y a là les divers corps constitués et les représentants du peuple Charlier et Pocholle, ainsi que Albitte et Salicetti, également de la Convention Nationale qui eux, étaient de passage. En ordre, les différents groupes, rangés sous des bannières indicatives, sortent sur la place de la Liberté, puisque c’est le nom de la place des Terreaux cette année là. Il y a de nombreuses délégations. Un groupe de jeunes garçons sous un drapeau où l’on peut lire : « Il nous a donné Emile pour modèle ». Un peu plus loin, des jeunes filles, un drapeau où était écrit : « On voit parmi nous la candeur de Sophie ». Les mères allaitant leurs enfants sont également présentes avec une bannière portant ces mots : « Il rendit les mères à leur devoir et les enfants au bonheur ». Les Lyonnais qui ont connu et reçu J-J Rousseau sont bien entendu dignement représentés avec cette inscription : « Il connut à Lyon les charmes de l’amitié ». Il convient de ne pas oublier que Rousseau est né à Genève qui est, jusqu’à preuve du contraire, en Suisse. Un groupe de Genevois a fait le voyage et porte le drapeau où est inscrit la phrase décrétée par la Convention Nationale : « Genève aristocrate l’avait proscrit, Genève libre a vengé sa mémoire ». Tout un groupe de vieillards, d’artistes et de citoyens, porte le livre du Contrat social. Un drapeau arbore des extraits du Contrat social comme : « L’Homme est né libre… Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’Homme, aux droits de l’Humanité, même à ses devoir. »
Le cortège accompagné d’une fanfare, s’ébranle pour rejoindre l’île J-J Rousseau, située sur la rive gauche du Rhône, en amont du pont Morand. On découvre un cénotaphe entouré de peupliers décorés de guirlandes de fleurs. Au faîte du tombeau, la statue de Rousseau réalisée par le sculpteur Chinard. L’artiste a eu très peu de temps pour réaliser cette œuvre mais le peuple semble apprécier ce groupe où l’on voit l’auteur des Confessions embrassant d’un côté deux enfants des deux sexes et s’appuyant de l’autre main sur deux tables de lois. « Ce groupe dont la vérité et la bonne composition ont rappelé en même temps les traits, les vertus, les talents et les habitudes du grand homme dont on célébrait la mémoire » juge les observateurs de l’époque. Mais pas de cérémonie sans discours. C’est d’abord Charlier qui voit en J-J Rousseau « le plus grand homme qui ait honoré l’humanité depuis les beaux siècles de la Grèce et de Rome », puis Pocholle prend à son tour le parole. Un discours politique où il fustige les « fêtes de la superstition qui n’offraient que des objets avilissants et répréhensibles et ne rappelaient que la mémoire de l’inutilité et de l’hypocrisie. » Et il conclut : Les fêtes des hommes libres n’offrent que des objets régénérateurs, la sagesse, le génie, la gloire. Les exemples offerts par la superstition tendaient à éteindre l’homme : les exemples offerts par la liberté tendant à l’élever et à l’agrandir. » Cette grande fête qui ne l’oublions pas se déroule au lendemain du siège de 1793, se terminera par un concert avec l’hymne à Jean-Jacques Rousseau.

C'était dans l'temps

Joseph Bard juge Lyon en 1848

Les polémiques sur les transformations de la ville, sur les restaurations plus ou moins réussies ne datent pas d’aujourd’hui. En 1847 Lyon reçoit la visite d’un personnage qui ne manie pas la langue de bois, Joseph Bard (1803-1861). Archéologue, spécialiste dans de nombreux domaines, grand voyageur, auteur de 187 ouvrages, collaborateur de plus de 130 titres de journaux, il est à la fois un homme cultivé et un homme vaniteux, parfois insupportable. Il s’en moque et ne craint pas de heurter la majorité de ses contemporains. Par ailleurs au début de sa carrière il fréquenta à Paris le conservateur de la bibliothèque de l’Arsenal, Charles Nodier, ce qui lui permettra de rencontrer Victor Hugo et Prosper Mérimée. Ce dernier le fit nommer inspecteur des Monuments Historiques pour les département de l’Ain, du Rhône et de l’Isère. On peut également le considérer comme l’un des fondateurs du tourisme en chemin de fer. C’est dire qu’il est très intéressant de l’accompagner dans sa visite de Lyon car son écriture ne s’embarrasse pas de précautions diplomatiques.

En 1846 on ouvre la rue Centrale qui deviendra en 1943, la rue de Brest. Qu’en pense-t-il un an après. Ce n’est pas à proprement parler l’enthousiasme. « Malgré les rêves d’or qui président au percement de cette voie, et font croire à beaucoup de nos frères qu’elle sera un lit somptueux où le pactole coulera à flot, je suis moi, je l’avoue, un ami froid de la rue Centrale. » Voilà qui est dit. Qu’est-ce qui chagrine notre homme ? D’abord, il aime la rue Mercière et ce percement va lui porter un coup mortel. « Cette vieille rue Mercière, centre de l’ancienne librairie lyonnaise, symbole de la cité lyonnaise, cousue de ces servitudes qui rappelaient les mœurs fraternelle et confiantes du Moyen-Age. » Il voit cette rue Mercière devenir un désert où il ne retrouvera plus « ces vieilles boutiques à l’enseigne faisant image et nos chères traditions du XVIème siècle. » Inconsolable et porté par son désespoir, il n’hésite pas à écrire : « J’ai toujours à Lyon défendu la cause du pauvre et de l’opprimé, et en pleurant le sort de la rue Mercière qui va se trouver déshéritée des avantages sur lesquels sa longue possession lui donnait le droit de compter toujours, je ne sort ni de mes habitudes, ni de mon rôle. N’aurait-on pas pu se borner à redresser la rue Mercière, axe naturel de la ville de Lyon, sans la frapper à mort ? »

Le Palais de Justice, lui aussi reçoit sa visite. Là ce sont les inscriptions qui attisent sa colère. « On a fait dans les légende du Palais de Justice un déplorable emploi de l’U et du J et des caractères monstrueux que le mauvais goût et le charlatanisme parisien ont adoptés pour les enseignes des boutiques. » Avec virulence il s’en prend aux architectes parisiens qui ne veulent point démordre de leurs habitudes. « Ce détestable goût de l’U et du J majuscule, des caractères gras et ignobles, Paris l’a propagé même en typographie. »
Un coup d’œil sur l’église Saint-Georges. S’il félicite l’architecte Bossan, « je n’ai que des éloges à donner à son exécution », il ne peut s’empêcher de glisser : « M. Bosson n’eût-il pas été mieux inspiré s’il eût pensé à créer là une belle apside romano-byzantine avec triforium extérieur, et a imiter un de ces imposants clochers coniques, flanqués de quatre cornes tumulaires, dont nous avons en Bourgogne, de si admirables types ? » Reste à savoir ce qu’il aurait dit, si ce brave Bosson avait justement fait « là une belle apside…. »
Ses avis ne s’arrêtent pas à l’architecture. Passant devant l’église Saint-Polycarpe, il remarque une affiche annonçant un concert pour le 25 février à 10 heures. Il l’a lit et bondit tout aussi tôt sur sa plume. « Dans l’église Saint Polycarpe, le 67ème régiment de ligne exécutera une messe en musique. Parmi les morceaux promis, on remarquait : l’ouverture de Lucie (Donizetti) le duo de Guillaume Tell (Rossini) etc… Quelles différences y avait-il entre cette affiche, entre ce style et ceux des théâtres lyriques ? Comment voulez-vous que la prière et le chant du peuple aient pu s’unir à cette musique si effrontément mondaine. » On se plaît à imaginer Joseph Bard, parcourant aujourd’hui les quartiers de Lyon et entrant dans une église !